Créé le: 02.04.2022
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Mythomagie

Fantastique, Humour

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© 2022-2025 a Marie Vallaury

Un monde différent, mais visiblement les mêmes préoccupations...
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–        Maman, maman, dépêche-toi, on va rater le passage de Mélodie !

–        Calme-toi, ma grenouille, on a le temps. Le ver passe à la demie, il nous reste dix minutes, et l’arrêt est devant la chaumière. Tu as pris ta cage à holos ?

–        Oui, oui ! J’ai même pris une fructopile de rechange, on ne sait jamais… Comment tu me trouves, maman, je suis jolie ? Je me suis maquillée comme Marraine Josette me l’a appris, tu t’imagines, je vais peut-être croiser Kevin ou Jonathan !

–        Ne rêve pas, l’accès à l’arène est très surveillé. Bon, il fait quoi ton frère ? Encore à nourrir ses salamandres, évidemment. Benjamin, on part !

–        J’ai pas envie d’y aller, à votre spectacle pour mollusques décérébrés ! C’est trop nul.

–        Je sais que tu n’aimes pas ça, mon scarabée, mais je ne veux pas que tu restes tout seul à la maison, et papa n’est pas encore rentré de sa convention de sorcellerie par correspondance. Allez, pas de discussion, enfile ta cape et prends ta belette, ça la sortira un peu, cette pauvre bête.

–        J’irai pas !

–        Si tu ne viens pas tout de suite, Benjamin, tu seras privé de Virtuovision pendant une semaine.

La punition est disproportionnée, mais elle fonctionne. Le garçonnet se lève d’un bond, la Virtuovision, c’est trop génial, t’es dans le film avec les acteurs, et il n’est pas question de rater le prochain épisode de Gargamel chez les Gaulois. Il remet sa salamandre dans son terrarium et appelle sa cape qui vient s’enrouler avec fluidité autour de lui. Sa mère, Sybille, une sorcière de niveau II, jette un dernier coup d’œil dans la maison pour s’assurer que tout est en ordre, que le feu sous les chaudrons est éteint et que les crapauds sont bien entassés dans leur bocal. Une fois, son mari en avait écrasé un en rentrant, il était tellement furieux qu’il avait jeté à sa femme un sort de nez crochu durant trois jours et Sybille, honteuse, n’avait pas osé se rendre à son groupe de lecture de grimoires. Rassurée, elle sort dans un tourbillon de robe violette et verrouille la porte avec un sortilège de haute sécurité.

Au cri de désespoir que pousse Laeticia, sa fille de quinze ans, elle comprend qu’ils viennent de manquer le ver de 15 h 30. Pour tout dire, Sybille en est secrètement soulagée. Les lignes régulières de vers géants sont certes très pratiques pour les courts déplacements, mais les sièges sont terriblement inconfortables et les ondulations lui provoquent à chaque fois de légères nausées. Qu’à cela ne tienne, ils seront plus vite arrivés par la voie des airs. D’un geste précis de sa main gauche, elle commande un dragon-taxi qui atterrit près d’eux moins d’une minute plus tard. Direction l’arène Dumbledore, où se déroule en continu l’émission de réalité directe la plus en vogue du continent, la Verity Academy.

En arrivant au-dessus de leur destination, Sybille et ses enfants ne regrettent pas d’être venus en dragon. En effet, la vue du ciel est saisissante. L’arène Dumbledore dresse ses impressionnantes murailles au sommet d’une colline toute ronde. Elle est immense, avec de hauts gradins cascadant en pente raide vers l’esplanade centrale, occupée par le fantastique décor de la Verity Academy. Tout autour du gigantesque bâtiment tournent des centaines de balais qui cherchent une place de parking, tout en essayant d’éviter les couloirs aériens réservés aux dragons-taxis. Pour le moment, le temps est au beau fixe, et le dôme au-dessus de l’arène est replié. On distingue nettement les petites cabanes d’habitation des concurrents, la place commune avec ses installations de sport et de loisirs, le petit lac et sa plagette, et plus loin, l’estrade des votations. Laeticia est tellement excitée qu’elle se penche pour tenter d’apercevoir ses idoles et manque de déséquilibrer le dragon en phase d’atterrissage. Celui-ci lâche un petit jet de vapeur d’exaspération, rectifie sa trajectoire d’un puissant coup d’aile et dépose ses passagers sur l’aire de dépose-minute. Benjamin a abandonné son air renfrogné et regarde avec étonnement le majestueux décor.

Sybille et les deux enfants se fraient un chemin parmi la foule et trouvent trois sièges libres, par chance plutôt bien placés. En revanche, s’ils veulent distinguer les détails, il leur faut quand même poser sur leur nez les lunettes magiques qui non seulement font office de jumelles grossissantes, mais également captent les sons et transmettent toutes les informations sur les joueurs et sur les résultats des votations. Laeticia prépare sa cage à holos, une petite boîte abritant une fée qui enregistre des images animées. Ces enregistrements sont ensuite reprojetés sous forme d’hologrammes, et on peut revoir les évènements passés autant de fois qu’on le désire. La jeune fille a l’intention de capturer tout ce qui se passe dans l’arène, et si sa fée donne des signes de fatigue, elle a prévu une pile au jus de fruits de rechange. Benjamin sort un coussin de sa besace, une sorte de champignon qui se gonfle automatiquement quand on s’assoit dessus ; le garçon pourra mieux voir, sans être gêné par l’adulte assis devant lui et qui n’a même pas enlevé son chapeau pointu de mage. Une fois son petit monde installé, Sybille distribue des sachets de friandises et des boissons, et s’absorbe dans la contemplation du spectacle.

Les candidats, appelés joueurs de vérité, sont enfermés dans l’arène pendant plusieurs semaines. Ils ont à leur disposition de minuscules maisonnettes individuelles dotées de tout le confort possible. Chaque jour, ils ont le choix entre diverses activités, et doivent aussi passer des épreuves obligatoires. Ils sont trente au départ, et chaque jour, selon l’issue des diverses votations, un concurrent doit quitter le jeu. Le dernier qui reste est le gagnant. Le but est d’arriver au bout du jeu sans jamais mentir, ou en tous cas sans se faire prendre à déformer la vérité. Le premier prix est une baguette en crin de licorne, la plus puissante et la plus rare des baguettes. Autant vous dire que la bataille est acharnée. Tous les coups sont permis et les concurrents rivalisent d’ingéniosité pour pousser leurs adversaires au mensonge.

L’arène est truffée de caméras, et l’émission est diffusée en continu sur le canal 1 de Virtuovision, ce qui n’empêche pas les spectateurs de se presser jour et nuit sur les gradins. Chacun peut entrer et sortir quand il veut, et certains fans, surtout de jeunes sorcières enamourées, suivent le divertissement du début à la fin, dormant dans les hamacs à disposition, et se nourrissant aux différents stands qui s’installent dans les galeries de l’arène. Il y a une animation particulière près du lac et Sybille règle ses lunettes pour pouvoir suivre l’action qui s’y déroule.

À la fin du défi, le jingle annonçant les votations retentit. La frénésie s’empare des spectateurs, ils adorent ce moment-là, c’est tellement excitant. Pour tout dire, ils ne viennent quasiment que pour ça. À part les adolescentes qui sont là pour reluquer leurs joueurs favoris, chacun préfèrerait voir l’émission tranquillement installé dans son canapé, à siroter un cocktail bien frais apporté par son gnome de service et à caresser son griffon apprivoisé. Mais il n’y a que dans l’arène que l’on peut voter, alors les gens se déplacent en masse pour vivre cette expérience haute en couleurs.

À côté de Sybille, une petite sorcière toute vêtue de noir s’agite. Sybille se penche vers elle :

–        C’est votre première fois ?

La petite sorcière rougit et hoquette :

–        Oui… Je…D’habitude je n’aime pas trop la foule, mais toutes mes amies m’ont dit qu’il ne fallait pas manquer ça. Mais je ne sais pas du tout ce que je dois faire…

–        Je vais vous montrer. Regardez sous votre siège. Vous voyez, le creuset et les deux petites fioles ? Voilà, prenez-les. À la suite de la dernière épreuve proposée, tous les candidats vont défiler un par un sur l’estrade, là-bas. Regardez, on voit déjà Nab-Hila, l’animatrice, qui monte sur la scène. Elle va présenter chaque joueur, et les réponses qu’il ou elle a données lors du jeu. C’est au public de décider si c’était un mensonge ou la vérité. Si vous pensez que le joueur a menti, vous versez dans le creuset une goutte de la fiole bleue, si vous pensez qu’il a dit la vérité, vous versez une goutte de la fiole rouge. C’est tout simple.

–        Et qu’est-ce que ça va faire ?

–        Vous allez voir !

Sur l’estrade, Nab-Hila, auréolée de projecteurs et scintillante comme une sirène sous la lune, est en train d’énumérer les performances de Firmin, un adolescent grand et maigre au un regard de fouine, pas très apprécié du public. Chaque spectateur prépare sa fiole, certains ouvertement, d’autres en la cachant dans leur main pour dissimuler leurs intentions. Au signal de l’animatrice, chacun verse une goutte dans le creuset. Aussitôt, une fumée monte du récipient, de la couleur de la fiole choisie. L’effet est stupéfiant, les gradins se remplissent de milliers de petites colonnes de fumée rouge ou bleue. En même temps s’élève une vague immense de murmures, de cris et de sifflements. La plupart des spectateurs se sont déjà levés, impatients de leur prochaine action collective : le verdict. Sur la scène, les juges se concertent sur la couleur majoritaire de la fumée, dans le cas de Firmin, c’est nettement le bleu qui prédomine. Le juge responsable de la décision lève sa baguette, l’agite, et derrière Nab-Hila, un grand écran bleu s’allume. La foule se dresse comme un seul homme et rugit :

–        Coup de balai !!!

Sybille a hurlé comme les autres, elle se sent transportée par cet élan commun qui anime les gradins comme une décharge électrique. Sa petite voisine a sursauté au cri de la foule. Elle a l’air perdue.

–        Pourquoi vous avez crié « Coup de balai » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

–        Il y a eu plus de fumée bleue, c’est donc que la majorité du public a pensé que Firmin est un menteur. Dès que l’écran bleu s’allume, tout le monde crie « Coup de balai » ! C’est le meilleur moment des votations ! Puis, toutes les vingt-quatre heures, le concurrent qui a eu le plus de coups de balai dans la journée est éliminé. Et si l’écran devient rouge, nous crions « Coup de baguette » ! Dans ce cas, le joueur reçoit un sort en cadeau.

La petite sorcière est tout excitée, et elle attrape ses fioles pour son prochain vote. C’est justement le tour de Mélodie, la joueuse de vérité préférée de Laeticia. La rumeur dit qu’elle est arrivée à ce stade de l’émission sans mentir une seule fois ! C’est une héroïne, et quand elle sortira de l’arène, sa carrière est déjà assurée. En plus, elle est ravissante, avec sa longue tresse blonde qui touche presque par terre et ses grands yeux bleus ingénus. Toutes les adolescentes rêvent de lui ressembler, et Laeticia refuse déjà depuis quelque temps de se laisser couper les cheveux. Au signal de l’animatrice, de nouvelles fumées s’élèvent dans les gradins, et c’est l’euphorie : elles sont toutes rouges ! Sans attendre l’allumage de l’écran, Sybille, ses enfants et la petite voisine beuglent à pleins poumons :

–        Coup de baguette !!!

La foule croyait avoir atteint le paroxysme de la tension, mais ce n’est pas fini. Lorsque Mélodie annonce que le sort qu’elle a choisi permettra d’offrir un nouveau chaudron tout neuf aux sorciers et sorcières au chômage, toute l’arène se met à vibrer sous les acclamations et les coups de baguette assourdissants assénés sur le dossier du siège de devant.

Après cet épisode de folie, les trois membres de la petite famille se laissent tomber sur leur siège et s’offrent un petit goûter pour se remettre de leurs émotions. Même Benjamin est conquis par l’ambiance, cela se voit à ses yeux brillants et à son sourire réjoui. Il en aura, des choses à raconter à ses copains demain, et quand il sera plus grand, lui aussi, il participera à la Verity Academy. C’est juré !

Commentaires (2)

Marie Vallaury
09.04.2022

Comme je suis de nature non-violente, vous ne risquez rien à vous exprimer, surtout en termes positifs. J'aime lâcher mon imagination, et la voir m'emmener de surprise en surprise, et grâce à Webstory, d'emmener les lecteurs en dehors d'une réalité parfois difficile. Merci de me suivre fidèlement, Omar.

Omar Bonany
09.04.2022

De nouveau ébloui par ces prodiges d’inventivité, je n’ose plus y aller de mes éloges à votre adrresse, mon naturel par trop enthousiaste menaçant de me valoir les pires sévices de la part de ma bergère ; mais je n'en persiste pas moins à vous suivre, au même titre que les meilleurs éléments de la plateforme, présents et à venir

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