God save the tweed ! Les sans-cravate à la guillotine !
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C’est en regardant Mathieu Bock-Côté qu’une nouvelle graine a germé dans mon cerveau. Ce mousquetaire, vêtu avec classe, commente l’actualité sur Cnews. Chevalier de l’art sartorial, il soutient que l’élégance classique est une dissidence, une manière douce de résister à l’avachissement de l’époque, de combattre les forces de la déconstruction, de se réapproprier une fierté masculine.

J’enseigne dans une école secondaire où, jusqu’en juin dernier, un seul homme portait la cravate : le directeur. Il faut dire qu’à Genève le corps professoral est très majoritairement de gauche. Or ces gens-là considèrent la cravate comme un accessoire marqué à droite et ne la tolèrent que chez un personnage exerçant le pouvoir.

Cet été, avant la rentrée scolaire, j’ai écumé les brocantes pour acquérir des vestes en pure laine et des cravates de soie. Depuis la mi-août, je suis le deuxième homme de mon établissement à toujours paraître en costume et cravate.

Désormais, je m’adresse à mes élèves, fussent-ils mineurs, en leur donnant du « Monsieur » ou du « Madame ». Les titres « Mix » et « Muniel », qui n’ont pas leur place dans la langue française, ne sortiront jamais de ma bouche. Les éventuels non binaires en sont réduits à tolérer une formule de politesse ne leur convenant qu’à moitié.

Devant ma transformation, les collègues réagissent différemment selon leur sexe. Les dames s’exclament, admiratives : « Quelle classe ! » ou « Quelle élégance ! » Souvent, un « Waouh ! » renforce le jugement. Les messieurs posent des questions sarcastiques : « Tu vas à un mariage ? »… « T’as gagné gros à la Bourse ? »… « Tu veux grimper dans la hiérarchie ? »… « T’as un flingue sous l’aisselle ? »… Il m’arrive de répondre : « Je souhaite remonter le niveau de cette école » ou « J’ai décidé de mettre une tenue en accord avec mes valeurs politiques. »

À mes débuts dans le métier, la cravate n’avait pas encore déserté le cou des enseignants, mais sa présence s’était déjà raréfiée. Ces dernières décennies, le mouvement vers le débraillé masculin n’a jamais reculé (chez les femmes, par contre, le sens de l’élégance persiste). Quand un professeur se fringue aussi mal que ses élèves, ça en dit long sur l’évolution du système éducatif… Le Maître se rabaisse au rang d’animateur ; le temple du savoir se mue en garderie ; les jeunes gens, au lieu de s’élever, comme le suggère le terme « élève », s’assoient par terre pour fumer du shit.

N’en déplaise aux néo-féministes, la biologie joue un rôle important dans le psychisme humain. En arborant un beau costume, le gentleman envoie aux femelles un message positif que l’on peut grosso modo traduire ainsi : « Je suis un mâle de bonne qualité ; j’ai un statut supérieur. Je suis en mesure de vous faire des enfants sains et de leur assurer des conditions propices à leur développement. » Une vraie femme (l’épithète énervera les fausses) est génétiquement programmée pour se donner à un homme dont l’apparence est prometteuse.

Moi qui ne connaissais presque rien à l’art de se vêtir, je découvre sur le tard, avec un bonheur juvénile, un monde peuplé de popeline et de pinpoint, de poignets mousquetaires et de boutons de manchette, de chapeaux feutres à porter légèrement inclinés, de gants taillés dans le cuir d’agneau, de cravates Austin Reed, Givenchy, Lanvin, de noeuds Windsor, de vestes Boggi, Scabal, Strellson, sans oublier les Zegna en poils de chameau.

Je me régale de revoir la série Chapeau melon & bottes de cuir qui enchanta mon enfance. « Madame Peel, on a besoin de nous ». Ce John Steed, habillé par Cardin, quel modèle ! Je me suis offert un parapluie à crosse de bambou, comme le sien. Enfin presque… J’ai renoncé à l’achat d’un parapluie qui dissimule une épée, parce que je ne veux pas enfreindre les lois sécuritaires de notre société de surveillance.

Mon regard a changé. Quand je me pose derrière un écran pour voir un film, je suis attentif aux costumes. Je privilégie le cinéma d’avant l’empire de la laideur. La contre-culture et ses héritiers ont répandu le moche et l’ont sacralisé. Mes goûts sont inactuels. Delon dans Le Samouraï. Newman, Redford et Shaw dans L’Arnaque. Cary Grant dans La mort aux trousses. Steve McQueen dans L’affaire Thomas Crown. Bogart dans Casablanca. Etc. Je remarque des éléments qui auparavant m’échappaient. Ainsi, dans une séquence de Peur sur la ville, la veste en pied-de-poule de Belmondo contraste avec les costumes sombres de ses supérieurs qui le sermonnent.

Du côté des livres, j’avais lu voici bien longtemps le traité Du dandysme et de George Brummell, de Barbey d’Aurevilly et l’essai Dandies, de Roger Kempf. Récemment, j’ai augmenté mon bagage en dévorant Le Guide du parfait gentleman, d’O’brien ; Le dandysme, de Favardin et Boüexière ; Le savoir-vivre chez les truands, d’Albert Simonin ; et surtout Le manifeste Chap, de Temple et Darkwood. Haute expérience que l’initiation au Chapisme, aussi nommé Anarcho-dandysme ! Ce mouvement, né en Grande-Bretagne dans les années 90, a tout pour me séduire. Ses symboles sont le rasoir et la pipe ; sa figure tutélaire : David Niven ; son but : la révolution par le tweed ; ses moyens : la courtoisie, l’élégance et l’humour.

En philosophe amateur, j’explore ma nouvelle passion et j’en tire quelques pensées susceptibles d’éclairer les abrutis. Le monde se divise en deux catégories : ceux qui portent la cravate et ceux qui traînent les savates. En public, une main de gentilhomme ne peut serrer qu’un parapluie, une canne à pommeau, un chapeau, une pipe, mais au grand jamais un téléphone portable. Deux tenues permettent d’assumer une masculinité qui resplendit de santé : le treillis du guerrier et le costume du lord. Sur une plage naturiste, le dandy ôtera tous ses vêtements, sauf la cravate. Le frémissement d’un noeud papillon au Grand Théâtre de Genève peut déclencher un orage dans les universités chinoises. Offrir un complet chic à un adolescent mâle augmente la probabilité de le préserver des fléaux que sont la consommation de cannabis, l’écoute de rap, la fluidité de genre.

L’anarcho-dandysme est une aventure qui m’exalte. Je n’en suis qu’à mes débuts. Il me reste à découvrir tant de choses… Comment se manipule un défroisseur ? Dois-je mettre un gilet de flanelle pour tricher au poker ? Quelle fleur accrocher à ma boutonnière ? Où trouver un Borsalino des années 30 ? Y a-t-il des monocles chez Visilab ? Comment nettoyer une tache de sang bleu sur un prince-de-galles beige ? Quel dessert pour accompagner le gin ? Est-il convenable d’utiliser ma pochette pour essuyer les larmes d’une Comtesse dont j’ai brisé le coeur ?

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