Créé le: 05.10.2025
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Mémoires de plages 1

A suivre..., Culture, Voyage

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© 2025 a Pausania

Chapitre 1

1

J'aimerais vous raconter les plages, d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui. La plage d'Ostia, près de Rome garde la mémoire d'un crime, celui de l'artiste dérangeant, Pasolini, un crime non élucidé commis il y a cinquante ans.
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Ostia (près de Rome)

 

Ils sont là, les gens du quartier, assemblés autour du corps qui gît sur le sol, recouvert d’un drap blanc, simplement là, sur l’une des plages d’Ostia.

Mis à mort dans la nuit du 1er au 2 février 1975.

Lui a rendez-vous à la gare de Firmini à 22 heures, lui, Pier Paolo Pasolini, cinquante-trois ans, au volant de son Alpha Romeo. Il a rendez-vous avec Giuseppe Pelosi, jeune prostitué quasi analphabète de dix-sept ans, ils partent pour toute la nuit, restaurant d’abord, bien arrosé, puis direction Idroscalo, une zone balnéaire créée artificiellement dans les années 1920 au bout de la plage d’Ostia, à l’embouchure du Tibre.

Cette nuit, la plage ressemble à un terrain vague. De jour, c’est un espace de jeu pour les enfants du quartier. Ils y ont un petit terrain de football en terre battue, avec la mer pas très loin.

C’est l’hiver, le milieu de la nuit, ils ont bu, ils se connaissent depuis quelques mois, pas de danger, mais craint-il le danger dans cette Italie largement homophobe ?

Tout le monde sait qu’il est gay.

Il ne le cache pas.

Le meurtre fera la Une des journaux.

Lui, l’artiste connu, controversé, sujet à de nouvelles polémiques après la sortie de Salò, son dernier film, lui traîné hors de sa voiture, battu à coups de barre de métal sur la plage, dans la nuit, puis aspergé d’essence, mais ça ne suffit pas comme mise à mort, lui le pauvre devenu riche par son œuvre scandaleuse, il lui fallait une fin plus tragique encore, il paiera pour son plaisir, il sera écrasé par sa propre Alpha Romeo Giulia GT, assassiné parce qu’homosexuel, riche, célèbre, assassiné par le jeune Giuseppe qui avoue l’horreur, Giuseppe Pelosi, alias Pino la grenouille, il avoue, Pasolini tué parce qu’il a tenté de le violer, d’après ses dires à lui, prostitué des nuits sur la plage d’Ostia, à une trentaine de minutes de Rome, il reconnaît les faits, « Bien joué Pino ! » crient des gens quand on vient l’arrêter, « Vas-y Pino ! », « Tiens bon Pino !», peu importe l’horreur sur la plage, le corps écrasé, la marque des pneus le long de la colonne vertébrale, le nez enfoncé, l’oreille gauche arrachée, la droite devait être contre le sol, et toutes ces fractures au sternum, à la mâchoire, dix côtes cassées, tous les doigts de la main gauche réduits en bouillie, ses bras constellés d’ecchymoses, comme de multiples taches noires sur sa peau claire, les cheveux entremêlés de terre boueuse et de sang, c’était l’hiver, lui, Pasolini, cinéaste, écrivain, intellectuel provocateur, recouvert d’un tissu blanc, et les badauds qui veulent voir, une rangée d’hommes, surtout des hommes, tout près, voyeurs, et les enfants qui tapent dans le ballon, et le ballon qui frôle le corps sur la plage d’Ostia et la grenouille qui avoue, la grenouille jetée en prison, crime sordide, et l’indifférence aussi, « Un pédé est mort. Et alors ? » dira un passant, ben quoi, un homosexuel en moins, on ne va quand même pas s’émouvoir.

L’affaire est close, peu importe les zones d’ombre, peu importe les traces ADN de plusieurs hommes sur le corps, Pelosi jeté en prison, enquête bouclée, l’opinion publique est satisfaite, neuf ans de prison pour Pino la grenouille, légitime défense lors d’une stupide altercation, Pier Paolo exigeant d’autres services sexuels, Pino refuse, la violence dégénère en meurtre, cela suffit pour convaincre la justice, les empreintes de pneus révélant plusieurs passages de la voiture sur le corps ne feront rien à l’affaire.

2005. La grenouille se rétracte en direct à la télévision, accuse trois hommes, des gens du sud, des mafieux, ou des fascistes, des siciliens peut-être, on ne sait pas, on n’a pas de noms, Pelosi est formel, menacé de mort il a avoué et gardé le silence pendant plus de trente ans.

 

Dossier réouvert.

Maccioni, avocat pénaliste, y consacrera seize années. Il y pense encore aujourd’hui.

Les ADN de plusieurs hommes ont bien été retrouvés sur les vêtements du mort.

Et tant d’autres éléments contradictoires.

Un jugement et une condamnation en dépit de l’enquête, dans une Italie des années soixante-dix en proie à de nombreux assassinats politiques, perpétrés en grande partie par des groupes d’extrême-droite en guerre contre le puissant parti communiste.

Les années de plomb.

Sans oublier le film Salò que termine Pasolini, dont les pellicules ont été volées dans sa voiture, une autre hypothèse, un rendez-vous fixé sur la plage d’Ostia pour les récupérer contre une forte somme d’argent.

Pier Paolo Pasolini, intellectuel dérangeant, appâté comme un poisson et éliminé sordidement sur une plage italienne.

On ne connaîtra peut-être jamais la vérité, les pellicules d’un film, le meurtre de l’homosexuel, l’assassinat politique d’un artiste dénonçant les compromissions du pouvoir.

 

Aujourd’hui,

La plage est lumineuse, écrasée de chaleur en été.

La mer est grise les soirs nuageux de novembre.

Aujourd’hui,

On a oublié les traces de pneus, les cheveux mêlés de terre et de sang, le destin de l’homo, les crimes politiques, Les 120 journées de Sodome.

Qui regarde encore Salò ou les 120 journées de Sodome ?

 

A suivre sur Mémoires de plages 2

Commentaires (1)

Starben Case
17.10.2025

Cet assassinat a marqué toute une génération. Selon une citation attribuée (sans référence de source) à Pasolini à propos de sa Trilogie de la vie, il aurait dit : « Le corps : voici une terre pas encore colonisée par le pouvoir... ». La réalité a prouvé et prouve encore le contraire, me semble-t-il... Pasolini en a payé le prix.

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