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© 2013-2024 Louise Ja

Si j’avais su j’aurais fait marche arrière et me serait acheté un des appétissants croissants au chocolat que j’avais aperçus dans la vitrine de la boulangerie. Je n’avais pas eu le temps de prendre mon petit déjeuner et la suite des événements vers lesquels nous roulions à tombeaux ouverts, toute sirène hurlante, allaient, me couper l’appétit.
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Si j’avais su, j’aurais fait marche arrière et invité au restaurant la belle jeune femme blonde qui venait de tourner au coin de la rue. Malheureusement, dans la vie, notre raison nous détourne trop souvent de notre instinct et dans la situation présente, cela aurait été fort utile que je suive mes sens.

Nous approchons de l’endroit. Il s’agit d’une banque. Deux autres véhicules de police sont déjà là. Nous descendons et je reconnais mes collègues à travers la porte vitrée.

Le message de la centrale était assez vague, la standardiste n’avait que peu de renseignements.

Nous savons seulement qu’un employé de banque a été assassiné.

Je me nomme Richard Lerner, je suis policier.

Amateur de femmes, je n’ai jamais éprouvé le besoin de me fixer avec une seule personne et de fonder une famille.

J’ai toujours eu une grande admiration pour les créatures dites du sexe faible. Leur grâce, leur douceur… en particulier pour celles dont la féminité transpire par tous les pores de leur peau. Celles qui soignent leur coiffure, leurs vêtements, leur maquillage et qui se parfument avec distinction et élégance.

Je crois que la féminité me rassure. Mon côté bestial d’homme s’envole lorsque j’aperçois un de ces êtres sensibles, fragiles…

Je crois aussi que j’essaye d’effacer les horreurs de mon métier à leur contact.

En les possédant, je m’imprègne de leur douceur.

Depuis peu de temps, je suis moins satisfait de mon travail.

Avant, j’avais l’impression que mon métier était assez diversifié pour remplir mes journées.

Maintenant je réalise que mon activité professionnelle est tissée de faits divers sordides et mornes.

Je ne ressens plus l’excitation d’autrefois et ma vie me paraît vide et triste.

Il me manque quelque chose, mais je ne sais pas quoi.

Je n’ai pas ressenti le frisson de mes beaux jours dans la police lorsque j’ai appris le drame. J’ai simplement démarré et ai tourné le volant de ma voiture en direction de l’adresse indiquée, me demandant qu’est-ce que cette nouvelle affaire impliquerait en temps de travail, en recherches.

J’ouvre et laisse entrer Zilla la première. Elle tient son appareil photo serré dans ses mains, elle est chargée de prendre les images nécessaire à la reconstitution du crime.

Je m’engage derrière elle et l’atmosphère chaude et lourde de la pièce contraste avec le froid extérieur.

Nous approchons de l’attroupement formé par six collègues et les témoins civils.

Une femme âgée d’une cinquantaine d’années est assise un peu à l’écart escortée d’un collègue qui lui tend un verre d’eau .

Je vois à son badge qu’elle est employée dans cette banque.

Au fur et à mesure que nous nous approchons, je sens l’air s’alourdir encore. Un calme traumatique règne dans le hall. Seules les voix sourdes se font entendre.

A l’arrivée de Zilla avec son matériel, la troupe des agents et civils s’écarte. Zilla est devant moi et me masque la scène. Je sens subitement une odeur âcre que je connais bien, l’odeur du sang coagulant. Il doit y en avoir beaucoup.Le fumet est écoeurant

Zilla s’arrête.

Agacé et impatient de savoir de quoi il en retourne, je la bouscule et me dirige droit devant moi vers le premier guichet.

Une flaque rouge s’étend à mes pieds, le corps n’est pas encore visible.

Je contourne le guichet et découvre une femme étendue sur le sol, les jambes et les bras repliés, la chaise sur laquelle elle était assise a roulé loin d’elle.

La femme a environ 25 ans. Elle a été poignardée avec une violence indescriptible. Une entaille profonde dans le cou détache pratiquement la tête du corps. Nous comptons sept coups de lame partant du bas ventre à la poitrine. Ils ont étés portés avec force sans aucune hésitation.

La victime a eu le temps de sentir chaque coup avant le dernier sur sa gorge.

Zilla s’approche avec son appareil.

L’odeur du sang est envahissante et me pénètre.

Le commissaire arrivé depuis peu, me demande de retourner le corps.

Zilla mitraille avec son appareil puis, soudainement, s’arrête. Pâli. Elle sort subitement.

Zilla est nouvelle, elle patrouille avec moi depuis deux semaines. Elle est plutôt mignonne. Yeux bruns, cheveux châtains mi-longs, 28 ans.

Dès son arrivée, j’ai tout de suite mis les choses au point. Je suis son responsable hiérarchique direct et elle doit me considérer comme tel.

Je n’ai jamais eu de relation amoureuse avec mes collègues féminines. C’est ma loi.

Le boulot doit être fait avec la tête froide en permanence.

L’amour, c’est accessoire, un défoulement après le travail, un exutoire à l’excès de pression et un passe temps agréable.

Zilla a compris immédiatement où était sa place.

Je pense que finalement, cela lui convient.

Elle aimerait devenir commissaire et monter en grade. La paperasse ne lui fait pas peur.

Moi, j’ai toujours besoin d’action et de sensations.

Nous formons une assez bonne équipe dans le fond.

-Mais où est donc passé la photographe bon sang ! crie le commissaire.

Je sors chercher Zilla.

Elle est assise par terre sur le parking, un petit tas fumant à côté d’elle.

-Alors Zilla tu craques ?dis-je maladroitement.

-Ne le dites pas au commissaire d’accord ? Je vais me ressaisir, ça va aller. Me répond-elle fébrilement.

-Le commissaire réclame tes services à corps et à cris.

-J’y vais, j’y vais. Sa voix tremble.

-Pourquoi as-tu choisis la police pour faire carrière ?

Ma sœur a été abattue dans une fête foraine par un type dont elle avait refusé des avances trop empressées. Il lui a tiré dessus avec un revolver et a disparu dans la foule. On ne l’a jamais retrouvé.

-Je vais me passer un peu d’eau sur la figure et je vous suis.

-A tout de suite Zilla.

-Richard ! ne dites pas aux autres que j’ai vomi d’accord ?me lance-t-elle lorsque je me dirige à nouveau vers la banque.

Nous avons tous craqué un jour ou l’autre dans ce métier. C’est normal, c’est humain.

On vois tellement de choses et je dois avouer que ce carnage-là n’est pas des plus facile à encaisser.

Une jeune femme, jolie à croquer comme la plupart des femmes de cette âge. Au début de sa vie adulte, mutilée aussi sauvagement…

L’arrivée des brancardiers me sort de ma rêverie. Zilla a finit son travail et le corps est emmené. Le commissaire emporte l’enregistrement vidéo et m’assigne à l’enquête.

-Lerner, tu viens avec nous ! m’ordonne-t-il.

Nous partons dans nos voitures respectives, Zilla rejoint l’équipe du labo pour leur remettre la pellicule avant de finir son service. Elle en a assez vu pour aujourd’hui.

Je me retrouve donc seul dans ma voiture laissant libre cours à mes pensées.

Je sais que je vais visionner un meurtre et cela ne m’enchante guère.

Dans la police, nous avons tous nos propres raisons de faire ce métier. Mais ce que nous avons tous en commun, c’est la haine des criminels. Nous sommes formés pour cela, comme des chiens dressés à arrêter ces individus quitte à y laisser notre peau. C’est notre raison de vivre.

Notre haine est attisée la plupart du temps par une expérience personnelle comme celle de Zilla.

Moi, c’est mon meilleur ami que j’ai perdu. Il a été poignardé dans le dos par un type imbibé d’alcool lors d’une fête.

Je suis fils unique, mon frêre c’était lui. Il est mort dans mes bras. Je n’ai jamais bu une goutte d’alcool depuis.

Lorsque je vois un type boire j’ai du mal à me contrôler. Alors j’ai décidé d’affronter mon problème de manière active. M’engager dans la police et faire mon possible pour empêcher les assassins de sévir.

Nous arrivons dans la salle de projection. C’est une salle comme au cinéma avec des sièges et un écran géant sauf que les films que nous y visionnons ne sont pas sortis de l’imagination délirante d’un cinéaste mais bien réels. La triste réalité des gens qui débloquent et de ceux qui les subissent lors de circonstances malheureuses

Nous n’avons pas toujours l’occasion de voir ce qui s’est passé sur une bande. Si cela facilite considérablement l’enquête, c’est extrêmement pénible à regarder et nous inspire des impressions étranges.

Nous devenons alors témoins et spectateurs d’une scène dans laquelle nous ne pouvons intervenir. Nous : professionnels de la sécurité.

Nous avons envie de faire appel à notre pudeur et de nous détourner de l’image mais nous n’en avons pas le droit. Nous devons voir, comprendre, nous imprégner de ce qui se passe et même, nous mettre à la place de l’assassin…

Noir dans la pièce. Tendus, nous sommes immobiles sur nos sièges et attendons que le technicien nous envoie l’image et le son qui ouvrira la séance d’horreur.

La bande est enclenchée sur vitesse arrière afin de remonter à la scène qui nous intéresse.

Nous avons été filmés lors de notre intervention juste avant notre arrivée un calme mortel règne dans la banque puis des employés paniqués courent dans tous les sens.

Ça y est, nous voyons maintenant l’agression toujours à reculons, la bande défile de plus en plus vite, je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine au fur et à mesure que je comprends ce qui se passe. Je n’arrive pas à distinguer l’assassin, l’image défile trop vite.

Enfin cette scène à l’envers se termine et le calme règne à nouveau dans la banque.

Le technicien arrête l’image et enclenche la touche « play ».

Nos yeux attentifs et écarquillés sont prêts.

Sur la défensive, nous scrutons l’écran de lumière.

Une silhouette assise au guichet nous tourne le dos. C’est Marcia bien vivante qui effectue son travail. Elle est occupée a découper quelque chose avec une paire de grands ciseaux qu’elle pose sur le guichet en apercevant entrer une personne.

La caméra est placée face au client et cadre les guichets ainsi que la porte d’entrée et filme jusqu’aux passants dans la rue.

Une femme est entrée.

Agée d’environ 30 ans, la femme s’approche du guichet, elle porte de longs cheveux blonds et bouclés. Elle est grande et a une silhouette souple et svelte.

Habillée avec goût on dirait un mannequin. Quelle classe elle a !

Elle sourit en s’adressant à Marcia.

Ses yeux sont grands et clairs en forme d’amandes, son nez ressemble à celui d’une poupée et sa bouche est ronde et rouge.

Son visage lisse dégage une douceur infinie et son sourire lui donne l’aspect d’un ange.

La femme que je dévisage sur cet écran incarne la femme idéale. Mon idéal. Secrètement dans ma tête, je la nomme Mary. Un nom angélique et pure. Le nom de quelqu’un de gentil.

A l’instant je comprends ce qui manque à ma vie, ce qui la rend si vide et triste. Mon cœur bat à éclater, une moiteur m’envahit. Je ne peux m’empêcher de fermer les yeux. J’ai oublié ma fonction. J’ai l’impression de sentir son odeur, de deviner le parfum qu’elle porte. Je la désire plus que tout au monde. J’ai une envie irascible de la rejoindre, de la protéger contre la suite. Je m’accroche à mon siège. Il faut pourtant rester et regarder.

La jeune banquière tapote sur son clavier

Un moment passe mais l’ange est en face de moi, impassible, patient.

Elle esquisse un refus.

Les yeux de Mary s’agrandissent, incrédules l’espace d’un instant, puis le sourire réapparaît. Elle a décidé visiblement d’être magnanime.

Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe en elle.

La haine se lit sur son visage. Marcia immobile est sûrement interloquée.

D’un bond de félin, Mary saute sur le comptoir du guichet, elle saisit la paire de ciseaux négligemment oubliée par Marcia et bondit sur elle.

La chaise de Marcia est projetée en arrière et la victime tombée à terre n’a même pas le temps de crier.

Mary, rapide comme l’éclair lui assène coups après coups dans l’abdomen.

Une employée accourue crie devant le carnage. Le sang de Marcia gicle en une pluie dispersant des milliers de gouttes écarlates projetées contre le sol, le guichet, jusque sur l’écran de l’ordinateur.

D’autres employés sont à présent rassemblés hésitants, se demandant sans doute s’il faut intervenir, l’un d’eux s’avance. Alors Mary saisit Marcia par le cheveux et ouvre les ciseaux plaçant une lame sur son cou. Elle n’a pas besoin de parler pour arrêter les téméraires qui menacent de s’approcher. Personne ne bouge, Mary regarde calmement les collègues de Marcia, tour à tour, droit dans les yeux. Elle a le regard perçant d’un fauve. Marcia gémit et pleure.

Soudain, d’un coup sec et précis, Mary tranche la gorge de sa victime. Un flot de sang rouge coule de l’entaille béante comme un ruisseau. Marcia ferme les yeux comme si elle s’endormait paisiblement sous l’effet d’une narcose et glisse mollement contre Mary jusqu’au sol.

Le sang forme rapidement un petit étang.

Mary toute sanglante se relève lentement, elle n’a pas quitté l’équipe atterrée des yeux

Les ciseaux à la main, elle s’éloigne calmement en faisant face à la porte.

Avant de sortir, elle se retourne et fixe la caméra. Son visage a retrouvé toute sa douceur comme si elle sortait d’un sommeil réparateur.

J’ai aussitôt la conviction qu’elle me regarde moi. Comme si elle me lançait un appel. J’oublie tout devant son regard et j’attends, suspendu au moindre mouvement de ses traits, ce qu’elle va me dire.

Sensiblement, doucement, ses pommettes se haussent, ses paupières se plissent et sa bouche découvre un merveilleux sourire.

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