Créé le: 11.04.2021
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Mammouth

Histoire de famille

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© 2021-2024 Joelle Oudard

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Chapitre 1 : Mammouth vieillit

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Je vais laisser ici, par chapitres pour le moment épars et décousus, une forme de témoignage sur mon lien à ma mère, dans toutes ses dimensions : son vieillissement, la fragilité de l'âge, mais aussi les moment privilégiés, la convocation des souvenirs, l'épaisseur de toute une vie.
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Dimanche 13 décembre 2020. C’est un dimanche sans Montreux . Depuis que Lisa vit à Genève, seule, puis en couple, puis avec un, puis deux enfants, il y a des dimanches à Montreux et des dimanches sans Montreux.
A Montreux il y a Maman, que l’on surnomme Mammouth, taquinerie affectueuse à l’égard de son poids, qui a depuis longtemps quitté le rivage des 40 kilos et surfe à une moyenne de 37, 38 kilos.
Jeune femme, Lisa venait lui rendre visite pour de longues balades au bord du lac ou en montagne. Elle tenait compagnie à Mammouth, l’instruisait de sa vie, de ses études, ses voyages, ses rencontres amoureuses, jamais concluantes. Mammouth travaillait encore en tant qu’aide-soignante à domicile, un métier auquel elle avait pu se former à la fin de sa vie professionnelle, après une période de chômage.
Elle trouvait un plaisir et un accomplissement certains à ce travail et lui parlait souvent de celles et ceux pour lesquels elle faisait des soins simples, préparait des repas, se promenait.
Parmi les patients qui ont compté pour elle, il y a eu Alain, un jeune homme marié de force à la paraplégie après un accident de plongeon, à 22 ans. Alain ne pouvait pas se laver seul, elle racontait à Lisa sa gêne, au début de sa mission auprès de lui, de devoir déshabiller, savonner, rincer ce jeune homme au physique plutôt agréable avec un haut du corps maintenu soigneusement musclé.
Il y a eu aussi Jean Moral, photographe de mode, mort en 1999 à Montreux, à l’âge honorable de 93 ans. Jean Moral était courtois, agréable, et ma mère, dont la sensibilité artistique était bien réelle, à défaut d’avoir pu être exploitée, n’a pu qu’être touchée par son contact. Elle possède d’ailleurs dans sa bibliothèque un exemplaire de « L’œil capteur », un ouvrage dédié à son œuvre.
Enfin, il y a eu M. et Mme Collet. Maman s’est occupée du Monsieur, pharmacien à la retraite, jusqu’à sa mort. Elle a même vécu parfois chez eux en qualité de dame de compagnie lorsque Mme se rendait à Paris pour voir son fils, photographe. Couple bourgeois, possédant une petite villa juste en face du lac tout à la fin de Clarens. Maman l’emmenait chaque jour à l’Eden Palace manger une boule de glace au mocca.
Et puis Lisa a rencontré son mari. Le vrai, le bon. Celui qui l’a épousée et lui fait deux enfants. Et quelque chose s’est brisé dans la relation entre Lisa et Mammouth, alors retraitée depuis plusieurs années et qui cultivait l’art d’être asociale comme personne. Lisa construisait sa vie, construisait des vies. Mammouth vieillissait. Le visage de ces dimanches s’est transformé peu à peu.
Mammouth n’a jamais été bien épaisse. Elle est parfois devenue, à la défaveur de pneumonies, squelettique. Elle était certainement déprimée et angoissée, mais elle était aussi drôle, loufoque, enfantine. Elle est devenue triste, impatiente. Elle ne supporte plus guère la présence de toute la famille. L’anticipation de leur visite l’angoisse, leur présence la stresse et l’épuise. Cette semaine, elle est tombée huit fois. Huit fois, elle s’est relevée par elle-même, s’agrippant son lit, son pied de chaise, soufflant, ahanant.

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