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© 2021-2024 Hervé Mosquit

Josepa, Alicia et Pierre essaient survivre au mieux malgré cette détention dont ils ne voient pas le bout et maintenue par leur mystérieux ravisseur
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Des semaines avaient passé. Les minutes parfois leur semblaient s’écouler dans un sablier temporel ne contenant plus de sable mais un liquide visqueux, épais, ne lâchant qu’à contrecoeur quelques gouttes peinant à se faire un chemin. L’homme leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin ; la nourriture et la boisson en suffisance, des produits de douche, un rasoir, de la crème hydratante, de la lecture, les médicaments contre l’asthme que prenait Josepa. Bref, il tenait à ce que ses hôtes ne manquent de rien.

 

Pourtant, le temps passait. Ils en avaient pour preuve les bouffées d’air plus froid que frais qui leur parvenaient quand un de leur ravisseur ouvrait le soupirail de l’extérieur. Ils en avaient aussi eu la preuve quand, cédant à leurs demandes insistantes, l’homme avait accepté de connecter la télévision qui ne diffusait cependant que trois chaînes françaises : TF1, A2 et FR3. Ils avaient alors réalisé, en regardant les informations, qu’on était au mois d’octobre alors que le premier enlèvement, celui d’Alicia, avait eu lieu au printemps et les deux autres en été.

 

Pour éviter à tout prix les inévitables conflits             que peut entraîner la promiscuité, le trio avait renouvelé le « pacte de survie et de bienveillance » conclu par Pierre et Alicia dès le début de leur captivité. Ils s’étaient organisés avec minutie, attribuant le moindre recoin des étagères et tiroirs disponibles à chacun pour y déposer le peu d’effets personnels qu’ils avaient. Le passage à la salle de bain avait été règlé selon l’âge, la plus jeune, Alicia, y passant en premier et le plus âgé, Pierre, terminant le tournus.

 

Ils avaient peu à peu instauré un programme journalier relativement strict qui leur permettait, sinon d’oublier, du moins d’éloigner le poids de l’angoisse généré par leur captivité.

 

Le matin après le petit-déjeûner, ils accomplissaient toute une série d’exercices physiques qu’ils appelaient leur fitness : pompes, abdominaux, exercices d’étirement, courses sur place, flexions et tout ce qui leur venait à l’esprit.

 

Ensuite, ils se donnaient un moment de silence consacré à la lecture ou à la méditation qui durait jusqu’à mi-journée, au moment où un repas frugal leur était livré. En début d’après-midi, ils se racontaient leurs vies d’avant, leurs conjoints, leurs familles, leurs collègues, leurs loisirs. Ils faisaient suivre ce partage d’une période de transmission de connaissances où chacun tentait de transmettre aux autres ses compétences propres. Ainsi, Alicia et Josepa tentaient d’apprendre l’espagnol à Pierre qui, en retour, leur donnait des cours d’italien. Josepa leur enseignait des rudiments de catalan, sa langue maternelle. Alicia leur parlait de toutes les subtilités de la vente et de la mode alors que Pierre et Josepa faisait découvrir à la vendeuse l’univers médical.

 

Ils passaient ensuite au jeux de cartes, essayant tous ceux que chacun connaissait .

 

Ils terminaient par un moment consacré à leurs histoires personelles, à leur situation actuelle et aux éventuelles opportunités d’évasion qu’ils pouvaient imaginer.

 

Malgré cela, il n’était pas rare que l’un d’entre eux ne s’effondre en larmes, bousculant par là tout leur programme. Ils se serraient alors tous les trois, parfois pleuraient ensemble mais souvent, se reposaient sur celle ou celui d’entre eux capable de trouver les mots pour apaiser l’angoisse et la douleur lancinante qui les rongeaient.

 

C’est ainsi, qu’un vendredi de novembre, chacun raconta aux autres la rencontre avec son conjoint.

 

Pierre se lança le premier. Il avait 22 ans quand il rencontra Ornella pour la première fois. C’était la sœur d’un de ses colocataires à Fribourg. Ce qui l’avait séduit était la bonne humeur quasi constante d’Ornella. Elle faisait preuve d’une vitalité, d’une joie de vivre, d’un regard positif sur la vie qui l’avait laissé ébloui dès la première rencontre. C’était la championne du verre à moitié plein alors qu’à l’époque, Pierre, devant la difficulté de ses études, était plus souvent un adepte du verre à moitié vide.

 

Evidemment, une attirance physique réciproque avait facilité les choses. Le seul contact de sa cuisse ou de son bras suffisait à l’électriser, alors qu’ils refaisaient le monde avec ses amis, assis autour de la table de la cuisine et que la jolie sœur de son « coloc » choisissait toujours la place à côté de Pierre.

 

–       Et la première fois, c’était quand ? risqua Josepa.

 

–       Tu veux vraiment le savoir ?

 

–       Ben oui, parce qu’en général, c’est là que tout commence.

 

–       A cette époque, j’étais à fond dans mes études. Je sortais peu, ne rentrais en Valais qu’une fois par mois et consacrais l’immense majorité de mes soirées et de mes week-ends à étudier, avec quelques exceptions en hiver pour retourner skier près de chez moi et en été pour la montagne. C’était un soir de février, pendant Carnaval qui est, avec la St-Nicolas en décembre, la fête qui attire le plus de monde à Fribourg. J’appréhendais ces jours de bastringue continue, l’épicentre de la fête étant situé en vieille ville, tout près de notre logement. Alors que mes co-locataires étaient sortis faire la fête avec l’intention de ne regagner nos pénates qu’à potron-minet, je me plongeai dans mes notes et mes bouquins.

 

Je devais travailler depuis une heure quand j’entendis la porte s’ouvrir. C’était Ornella. Elle vint directement dans ma chambre et, passant ses mains par dessus mes épaules, elle noua ses mains sur ma poitrine. Le seul contact de ses seins appuyant contre mon dos provoqua une vague de chaleur qui m’envahit de la tête aux pieds et déclencha une érection à faire sauter la fermeture-éclair de mes jeans. Je me rappelle qu’elle avait simplement dit «  alors, on le fait enfin ? » et que j’avais répondu « quoi ? », ce à quoi, joignant le geste à la parole, elle répondit simplement « l’amour » tout en entreprenant de défaire mes pantalons et de se lancer dans une fellation que je la suppliai d’interrompre, de peur de jouïr immédiatement. Nous nous étions ensuite déshabillés fébrilement avant de basculer sur le lit à une place qui meublait ma chambre d’étudiant. Par la suite, et avant que mes camarades ne regagnent l’appartement au petit matin, nous avions recommencé quatre fois.

 

Ce n’était donc pas vraiment ma première fois mais nos quatre premières fois !! Depuis ce jour, on ne s’est plus quittés et 15 ans plus tard, c’était toujours pareil, nous étions amoureux comme ce premier jour, peut-être même plus puisqu’il faut ajouter la complicité, l’amitié et l’intimité qui se consolident avec les années. Nom de Dieu ce qu’elle me manque !!! Des moments, j’ai l’impression qu’on m’a coupé une partie de moi-même ou que ce manque va me ronger et me déssècher de l’intérieur !!

 

–       Ne pars pas là-dessus, on s’était promis de s’en tenir aux bons souvenirs, sinon on va de nouveau se mettre à chialer comme des crocodiles et à se pleurer dans le gilet, même si la maison ne fournit ni les gilets ni les mouchoirs…

 

–       Je sais, excusez-moi les deux, mais je n’y arrive pas tout le temps. Merci pour ta remarque Josepa. Alors, et toi, qu’as-tu à nous dire ?

 

–       Pour moi, c’était plus classique. On fréquentait le même café étudiant à Barcelone et on avait la même bande de potes. De potes on est passé à un peu plus, après une manif contre le chômage des jeunes suivie d’une fête en plein air au bord de la mer. Nous pensions que c’était juste un besoin de tendresse passagère, une envie de sexe ou ce que vous appelez le coup d’un soir. C’était, comment dire, juste merveilleux parce que c’était lent, c’était doux, c’était fort et ça m’a donné l’impression d’avoir duré toute la nuit. Pour moi, c’était vraiment la première fois.

 

Avant, il y avait bien eu une petite tentative dans l’encoignure d’une porte lors d’un camp, à l’époque de l’adolescence, mais ça ne m’a pas marquée : le mec était tellement pressé qu’il s’est pris pour Lucky Luke et a tiré toutes ces cartouches avant même d’avoir pu me tirer un seul gémissement de plaisir.

 

Mais le coup d’un soir nous a tellement tapé sur la tête qu’il nous a donné envie d’aller plus loin et un mois après, on emménageait dans un des rares appartements encore pas rénové du côté du barrio chino, pas loin du marché couvert, tu sais, sur la droite en descendant les Ramblas de la place Catalogne vers la mer. C’était un petit deux pièces au dernier étage d’une maison qui en avait trois, mal isolé, mal chauffé mais c’était chez nous. Et cela nous évitait les trajets jusqu’à Barcelone, moi depuis Sabadell où vivent mes parents et Ali depuis Igualada où vivent les siens. A la fin des études j’ai assez vite trouvé du boulot à l’hôpital mais pas Ali, d’où la Suisse où nous pensions qu’il trouverait plus facilement un poste et pas un simple stage à peine rénuméré comme il en avait eu plusieurs en Catalogne avant de partir.

 

Et toi Alicia, qu’est-ce que tu nous racontes ?

 

–       Oh pour moi, petite vendeuse romantique à Fribourg, c’était un peu le conte de fée. Matteo venait régulièrement acheter ses jeans dans la boutique où je travaillais. Enfin, quand je dis régulièrement, c’est deux fois pour vraiment acheter des pantalons. La première fois, je l’ai conseillé un peu et l’ai chambré sur son accent valaisan. Il me plaisait beaucoup : non seulement je le trouvais canon mais en plus, il avait de l’humour, un sourire dévastateur et il était gentil. La gentillesse, ça a toujours beaucoup compté pour moi. Je déteste les gens ronchons et agressifs. Bref, il est venu une première fois et on a eu de ces échanges de regards, je ne vous dis pas : ça me faisait un de ces effet !! Après , il est souvent passé avec des prétextes divers : un conseil pour un T-shirt ou un soi-disant cadeau à faire à sa sœur ou à sa maman. C’est le prétexte de sa maman qui m’a vraiment confirmé qu’il venait pour moi : dans cette boutique on ne vend rien qui intéresse les plus de trente-cinq ans !

 

Un jour, il m’a proposé de m’attendre à la fermeture pour aller boire un verre. Après, les choses se sont enchaînées. Je ne suis pas rentrée chez moi après le verre et je vous assure que quand j’ai croisé sa voisine de palier en partant au boulot le lendemain matin, j’étais un peu gênée : en faisant l’amour je crie beaucoup. C’est comme ça, plus j’ai de plaisir, plus je crie. Je n’arrive pas à me contenter de gémir ou de pousser des soupirs, c’est plus fort que moi : je crie.

 

Et quand il a terminé son stage à la biliothèque cantonale universitaire, c’est tout naturellement qu’il m’a emmené dans ses bagages en Valais, à Sion d’abord puis à Sapinhaut, sur les hauteurs de Saxon, où nous avons acheté notre maison.

 

Mais il n’aurait pas fallu attendre plus longtemps avant de se marier à l’église : nos deux familles sont très pratiquantes et « vivre à la colle » comme on dit chez nous, ça passait pour quelques mois, mais pas plus. Quand il a été tué, j’attendais un bébé que j’ai perdu quelques jours plus tard et quelques semaines avant d’être enlevé et d’arriver ici. Mais je vous promets, je ne vais ni pleurer, ni me plaindre, On avait promis alors je tiens ma promesse.

 

 

Pierre et Josepa remercièrent Alicia puis proposèrent d’allumer la télévision pour se changer les idées. Mal leur en prit : les trois chaînes disponibles ne parlaient que d’une chose : le massacre de près de 130 personnes, sans compter les inombrables blessés, en plein Paris, par des tueurs fanatiques agissant au nom de l’Etat Islamique. Ils restèrent choqués, sonnés, scotchés à l’écran et à la multitude d’images et de commentaires qui passaient en boucle. Pierre rompit le silence le premier.

 

–       Je me demande vraiment ce que l’on a loupé, en France et ailleurs, certainement en Suisse aussi, dans notre système éducatif et social pour que de jeunes gens dans la vingtaine puissent à ce point être fanatisés, décérébrés serais-je tenté de dire, pour devenir des assassins d’innocents et pire, pour accepter l’idée de se tuer soi-même après avoir perpétré ces crimes !

 

Nous sommes prisonniers d’un malade, mais peut-être trouverons-nous le moyen de nous évader et nous sommes en vie, alors que ces jeunes, au spectacle ou sur une terrasse de café, tout est fini pour eux. Ils ont perdu la seule chose qui importe vraiment, la VIE !

 

Et je ne vois vraiment pas comment ces malades pourront être battus par des bombardements aériens alors que sur le terrain, les seuls à s’y opposer de manière efficace, sont les Kurdes et que ces derniers sont attaqués par la Turquie, paradoxalement alliée de ces mêmes pays occidentaux qui partent en guerre aérienne contre daech. Un ami syrien, qui a fui Alep et les massacres quotidiens qui s’ y déroulaient m’a dit que tous ceux qui tuaient des innocents ne valaient pas plus que des porcs et trahissaient non seulement l’humanité mais aussi leur religion, qu’ils soient musulmans sunnites ou chiites, juifs et même chrétiens. La seule solution réside dans la disparition à la fois de la dictature et des assassins fous qui se revendiquent à tort d’un Dieu qui ne les reconnaitrait jamais.

 

–       Ce qui me fait souci ajouta Josepa, est l’inévitable réthorique guerrière qui va inévitablement suivre ces assassinats. Autant il me semble clair que les chefs de ces fanatiques et les assassins qu’ils ont formés ne méritent aucune pitié pour avoir non seulement trahi leur religion mais l’humanité, autant je ne suis pas sûr que les pays qui bombardent les zones tenues par ces tarés, n’aient pas aussi des motifs économiques à partir ainsi en guerre. En plus, les proches des civils qui mourront dans ces bombardements feront certainement de bonnes recrues pour cet Etat prétendument islamique mais totalement terroriste. Et cela, c’est sans compter les amalgames qui seront faits face à tous les musulmans sans oublier l’augmentation de la xénophobie face aux réfugiés et aux immigrés en général.

 

–       Pour ma part , coupa Alicia, autant je trouve que ces salauds ne méritent même pas de vivre et même de mourir enveloppés dans du jambon de porc, autant je ne pense pas non plus que c’est en bombardant à l’aveugle que l’on va les éliminer et résoudre le problème.

 

Par contre, quand vous parlez d’immigration, je vous sens à fond pour l’ouverture totale des fronières et l’accueil illimité des migrants. Pour ma part, je suis prête à accueillir toutes celles et ceux qui acceptent de vivre avec nos valeurs. J’ai eu beaucoup de collègues issus de l’immigration, y compris de pays musulmans, qui vivaient comme nous et en acceptant les règles de notre démocratie.

 

Mais j’en ai connu d’autres aussi, qui cloîtraient leurs femmes, voilaient leurs filles et leur interdisaient les cours d’éducation physique ou les camps scolaires, le tout sans l’accord de ces dernières évidemment, et qui, après dix ans ne savaient pas encore le français ou l’allemand ou alors bénéficiaient de l’aide sociale à peine une année après leur arrivée. Aux cours professionnels, pendant ma formation de vendeuse, j’ai eu quelques camarades de cours qui restaient entre eux, formaient vraiment des groupes fermés par nationalité : kossovares, turcs, kurdes, somaliens et n’avaient quasiment aucun contact, sinon méprisants, avec les autres apprentis. Certains se vantaient même de sales coups qu’ils avaient fait, trafic de came ou cambriolages en riant de cette Suisse où tout cela est vraiment trop facile.

 

Alors moi, de cette immigration-là, je n’en n’ai pas vraiment envie et ne me sens pas du tout empathique. Je n’ai pas d’état d’âme et ne me sens ni raciste ni nationaliste en disant que les fouteurs de merde et ceux qui n’acceptent pas nos lois, il faut simplement les virer et les renvoyer chez eux. Sinon, qui sait, plus tard ils deviendront pour certains eux aussi candidats au Jihad ou petites mains pour toutes les mafias qui réussissent à avoir des succursales chez nous. En les renvoyant, cela fera de la place aux familles qui fuient la guerre et à ceux qui veulent bosser, s’intégrer et construire avec nous un pays vivable pour tous.

 

–       Tu crois pas que tu y vas un peu fort, questionna Josepa. La situation est plus complexe que ça et tu me fais penser un peu aux arguments des nationalistes quand tu t’exprimes comme ça..

 

–       Non, c’est vous et votre naïveté de bisounours qui renforce ces connards de nationalistes. On voit qu’on ne fréquente pas les mêmes milieux. Si vous aviez connu les mêmes personnes que moi, de près, et pas seulement dans des articles de journaux, vous sauriez aussi que ce sont ces quelques-uns dont je vous parle que les partis d’extrême-droite prennent en exemple pour faire monter la xénophobie. Alors ces quelques-uns, je m’en fous. On peut les mettre dans un avion, je ne bougerai pas le petit doigt. Bon débarras ! Et puis maintenant, je ne vois pas pourquoi on se fait chier à débattre de ces questions-là. On est prisonnier d’un malade qui a assassiné nos conjoints pour un prétexte débile et des gens sont morts pour rien, tués par des fêlés de la cafetière qui n’ont rien à envier à notre ravisseur et j’en ai marre. J’ai envie de jurer, de crier, de pleurer et j’en ai marre de ces règles à la con qu’on se donne pour faire semblant que tout va bien !!!

 

Alicia se mit ensuite à hurler des insultes à l’égard de leur « hôte », le traitant de dégénéré, de malade, de déchet d’humanité, sans que rien ne se passe puis s’effondra sur son lit en sanglotant.

 

Peu après, le petit guichet de la porte s’ouvrit, laissant apparaître le visage cramoisi et courroucé de Jean-Rodolphe. Comme s’il prenait son élan, il prit une grande aspiration et se lança dans une diatribe pleine de fiel, au débit rapide et hâché, qu’il éructa d’une voix éraillée et criarde :

 

–       Je ne vais plus tolérer ce genre de jérémiades bruyantes. Vous empêchez Yann de dormir et ça le traumatise d’entendre pleurer et crier de cette manière. Vous devriez être contents, vous êtes nourris, logés, blanchis et même habillés par mes soins ! Vous pourriez être dans une rue de Paris à vous faire abattre par ces musulmans à qui je ne reproche pas de nous débarasser de tous ces décadents qui hantent les cafés et les boîtes de nuit mais à qui je reproche simplement d’envahir notre pays chrétien.

 

Si vous continuez comme ça, je serai obligé de sévir même si je me suis engagé à sauver vos âmes en vous faisant subir le même calvaire que vous m’avez fait vivre pendant deux ans !! Je veux juste vous voir souffrir d’être privés de vos conjoints mais ne me forcez pas à vous faire souffrir autrement ou même à abréger vos souffrances et perdre vos dernières chances de rédemption en quittant ce monde avant l’heure que j’ai fixée pour vous !! Alors mettez une sourdine à vos pleurs et vos insultes ! Tant que vous les exprimez sans nuire à ma tranquillité, peu m’en chaut, vous pouvez continuer.

 

Alicia empoigna une bouteille de vin à moitié pleine et la lança avec force contre le guichet. Jean-Rodolphe se retira prestement et réapparut sitôt après que la bouteille se fut brisée contre la porte. Il regarda ses hôtes avec un sourire sardonnique et leur dit simplement :

 

–       Dommage de gaspiller ainsi une bonne cuvée !  Mais nettoyer votre bêtise vous occupera l’esprit de manière positive. Alors, on se calme et que je n’aie plus à revenir hors des moments prévus pour cela. Sinon…

 

Le dernier mot resta comme en suspension, comme une menace diffuse qui semblait se dissoudre dans l’air ambiant de l’espace confiné où les trois captifs ne disaient mot.

 

Alicia se recroquevilla sur son lit recommença à sangloter, doucement cette fois. Sans se consulter, Pierre et Josepa vinrent s’asseoir à ses côtés et l’enveloppèrent de leurs bras, sans rien dire. Josepa rompit le silence la première :

 

–       Cela ne peut plus durer. Il faut qu’on trouve un moyen de sortir d’ici. Je ne sais  pas, moi, en trouvant quelque chose pour les assommer quand ils viennent nous obliger à faire les nettoyage et nous rapporter la lessive.

 

–       Impossible rétorqua Pierre, il se tient toujours à distance avec son arme. Au pire, on pourrait assommer le jeune qui est un peu pataud et n’a pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude, mais le vieux nous abattrait dans la seconde qui suit.

 

–       Ne te décourage pas, ne nous décourage pas Pierre ! Il faut juste se dire qu’on y arrivera.

 

–       Et pour commencer, il faut qu’on retrouve le moral.

 

–       Et comment ma chère, penses-tu t’y prendre pour nous faire oublier où nous sommes ?

 

–       Je n’ai pas la prétention de nous faire oublier. Au contraire, je ne veux pas oublier que nous devons sortir d’ici au plus vite. Je veux juste nous rappeler que nous sommes vivants. Et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir comme on dit…

 

–       Mais tu ne réponds pas à ma question, comment vas-tu résussir à nous rappeler que la vie est belle alors qu’Alicia est au fond du trou et que nous sommes juste sur la margelle du puit ?

 

–       Comme ça mon ami ! mais regarde d’abord. Après, j’imagine et j’espère que je n’aurai pas à t’expliquer longuement ce que tu auras à faire…

 

En disant ces mots, Josepa se mit à caresser les cheveux d’Alicia puis essuya les larmes qui coulaient sur ses joues et basculaient encore au coin de ses paupières. Elle continua ensuite de la caresser, de l’embrasser dans le cou, de laisser ses mains courir sur le corps de la jeune vendeuse, des pieds à la tête, s’attardant un peu sur ses seins, à l’intérieur de ses cuisses, sur son pubis. Alicia se retourna sur le dos et laissa Josepa lui ôter ses vêtements. Cette dernière procédait lentement, avec des gestes doux, ôtant un à un ses propres vêtements et ceux d’Alicia, entrecoupant le déshabillage de caresses et de petits baisers. Alicia s’anima à son tour, empoignant les seins de son amie, les effleurant de la paume, les malaxant avec douceur. Josepa enfin, enfouit sa tête entre les cuisses de sa compagne d’infortune et, titillant son clitoris d’une langue agile, elle ne tarda pas à amener Alicia à un orgasme inattendu en ces circonstances et pourtant bienfaisant et réparateur.

 

Pierre, assis à côté des deux femmes, avait regardé toute la scène avec stupéfaction au début puis avec une excitation grandissante qui lui provoqua une érection telle qu’elle en était presque douloureuse.

 

A peine Alicia avait-elle joui que Josepa se tourna vers Pierre. Elle le poussa par terre où il tomba sur le dos. Elle lui défit sa ceinture,tira ses pantalons et son caleçon, empoigna son pénis dressé et le guida en elle tandis qu’elle le chevauchait en disant simplement d’une voix rauque:

 

–       Maintenant….tout de suite !

 

Josepa n’eut pas à remuer longtemps avant de pousser un long cri de jouissance suivi de peu par Pierre qui l’imita et abandonna dans son plaisir, toutes les frustrations, les angoisses et la souffrance de ces derniers mois.

 

Alicia se saisit ensuite de la couette qui couvrait son lit, tendit la main aux deux autres qui vinrent s’asseoir à ses côtés. Ils restèrent un long moment, pelotonnés les uns contre les autres, sous le duvet, sans dire un mot. Pierre rompit le silence le premier :

 

–       Je ne sais pas si c’était une très bonne idée mais le fait est que je me sens mieux que tout à l’heure. Josepa, je voulais te demander, comment tu as pu, enfin, je veux dire, avec une femme ? Tu avais déjà fait ça ?

 

–       Oui, juste une fois quand j’avais 15 ans pendant un camp d’école. Mais définitivement, ce n’était pas mon truc. Aujourd’hui, c’est différent. Je sais juste que la jouissance est quelque chose de plus fort que toutes les déprimes et je sais aussi ce qui fait du bien à une femme. Alors, je n’ai pas hésité. Mais j’avais aussi besoin de sentir un homme en moi et je te remercie de m’avoir offert ce moment.

 

–       Et toi Alicia ?

 

–       Jamais ! et je n’aurais jamais imaginé que j’en tire du plaisir comme ça. Mais contrairement à Josepa je n’aurais pas pu avec un homme, avec toi, tout de suite. Matteo est encore trop présent. Un jour peut-être, je te demanderai la même chose que Josepa. Mais merci aux deux de m’avoir permis de m’échapper ne serait-ce qu’un instant de cette galère. Et surtout de m’avoir donné envie de m’enfuir vraiment, un jour, pour pouvoir encore, à tous les niveaux, jouïr de la vie.

 

–       Merci à toutes les deux pour cette parenthèse bénéfique mais je vous avoue que je culpabilise: je n’ai jamais trompé Ornella et j’ai un peu l’impression de la trahir…

 

–       Et nous deux ? tonna Josepa, tu crois quoi ? qu’on trompait nos maris ?! En tous cas pas moi et je suis sûre qu’Alicia non plus. Mais ce n’est pas le moment de culpabiliser et de moraliser. Ce genre de réflexion est un luxe qu’on pourra pratiquer quand on sera libre. Aujourd’hui, on avait besoin de ça pour se sentir vivants, pour retrouver de l’espoir, point barre !!

 

Alors ne viens pas nous emmerder avec ta culpabilité !!!  Et si par miracle nous nous en sortons, je vous propose aussi que nous nous jurions aujourd’hui déjà de garder pour nous tout ce qui aura pu se passer d’intime pendant ce qui sera , je l’espère, qu’une parenthèse dans nos vies. Ce n’est pas par souci moral ou peur du jugement des autres que je vous demande ça, c’est simplement que cela nous appartient et nous appartiendra toujours même si on ne se voit plus. C’est un remède que nous avons trouvé pour supporter une situation, impossible à expliquer à quelqu’un d’autre.

 

–       OK Josepa. Je crois que tu as raison, j’approuve et peux m’engager au silence si, par miracle comme tu dis, nous réussissions à nous en sortir. Et toi Alicia ?

 

–       Pour moi ça allait de soi. Pas de souci, je ne dirai rien.

 

–       Ok alors, Très bien ! Cela dit, même si ces moments de tendresse nous remontent le moral, ça ne résout rien par rapport à notre situation. Je vous propose donc de garder notre programme quotidien, qui jusqu’à présent nous a bien réussi, mais de l’interrompre à chaque fois qu’une idée ou une opportunité de nous échapper nous viendrait à l’esprit car dans l’immédiat, c’est ce qui est le plus important : sortir d’ici !!

 

–       Et puisque tu amènes le sujet, tu penses t’y prendre comment ?

 

–       Je n’en sais fichtre rien mais il doit bien y avoir une possibilité, Le plus vieux doit sûrement bosser à l’extérieur parce que certains jours, il n’ y a que le jeune, le Yann, qui vient nous apporter à manger et le reste. Il est toujours armé quand il entre et autrement, il n’utilise presque toujours que le guichet. Mais, à mon avis, c’est pendant ces moments-là qu’on devrait essayer quelque chose.

 

–       Tu as peut-êre raison, il faudra qu’on soit attentifs et qu’on essaie de voir combien de temps durent ces absences et surtout, comment attirer Yann à l’intérieur et le neutraliser sans qu’il ne tue l’un d’entre nous.

 

–       Je propose que l’on ne se précipite pas et que l’on note tout : ce qu’on voit , qu’on entend leurs mouvements, leur présence ou l’absence du vieux, tous ces détails…

 

 

Les deux filles acquièscèrent et chacun regagna son lit où, pour la première fois, même si ce ne fut pas immédiat, le sommeil l’emporta sur les insomnies juste après qu’Alicia leur ait proposé de consacrer une partie de la matinée du lendemain à se raconter leurs souvenirs les plus comiques, histoire de donner corps à l’adage qui dit qu’avec le sexe, le rire est le meilleur remède contre le désespoir.

 

A l’étage, Jean-Rodolphe préparait une nouvelle tournée de démarchage de quatre jours qui commencerait le lendemain, plaçant méticuleusement ses échantillons de café d’un côté de sa mallette et garnissant l’autre compartiment de documentation et de contrats.

 

Yann, après avoir reçu toutes les recommandations de son cousin pour ce temps d’absence, profitait d’une soirée devant la télévision, se réjouissant de pouvoir en disposer sans entrave pendant les 3 soirées où son cousin ne serait pas là pour le sermonner et le rappeler à l’ordre.

 

(à suivre au chapitre 7)

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