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Début (donc essai) de chronique soi-disant culturelle
Reprendre la lecture

 

 

Don Alfonso

 

 

Lorenzo da Ponte avait quarante ans lorsqu’il créa le personnage de Don Alfonso et le fit grisonnant au centre de l’intrigue amoureuse de « Cosi fan tutte ». La musique de Mozart rend à l’amour le sublime qui s’en éloigne dans le réel de la vie. Cœur transi quand on l’entend. Ce livret est une méchante farce vouée, pourtant, à une existence aussi longue que celle de la culture.

 

Un comble, tout de même, et une évidence dans cet opéra : c’est l’amour qui est la victime, plus grand que ceux qu’il anime. Une chanteuse, je m’en souviens, son personnage, Dorabella, voit sa destinée changée par les effets de ce jeu de séduction. L’erreur est là, en permanence, l’erreur, plus que le leurre.  La  destinée n’est plus en jeu ou ne devait pas l’être dans l’esprit des acteurs dont ledit jeu n’en fut que la continuation anticipée, par hasard et par instants.

 

La musique s’envole, mais le texte s’effondre. On ressent l’une merveilleusement, l’autre ne surprend pas. L’amour aura pris toute les formes et généré, en les modulant,  tant d’ affres de toutes sortes. « Cosi fan tutte », si vrai par la musique, ne rend à personne son destin, fût-ce par bribes. Heureux de ne pas me reconnaître chez Don Alfonso. Mais ça ne résout rien.

 

14 mai 2017 – Après avoir vu « Cosi fan tutte » à l’Opéra Nation ce vendredi 12 mai 2017.

 

 

Abba

 

 

Le concours Eurovision de la chanson me poursuit encore certains soirs de mai. Ou était-ce en avril ? Cette joie si publique, si névrotique et fausse en toute hypothèse. Fausse car elle ne peut être vraie, n’est-ce pas ? Narcissique, médiatique, fantomatique, elle se répand, dans toute l’Europe s’étend, ou se rétracte, jusqu’aux pays en guerre. Et l’Europe, justement, devait être le contraire de la guerre, son fruit miracle, efficace antidote. Mais voilà. Il y a des écrans qu’il faut bien remplir, et c’est ce que l’on a fait. On assiste à des sourires assistés. Il y a de la gagne et de la casse. C’est diffusé et publié. De l’année dernière à l’an prochain.

 

En 1974, je devais être réticent en regardant cette télédiffusion. Réticent et peut-être désoeuvré, languissant, que sais-je, ces moments perdus d’adolescence ont une force qui sur l’instant nous échappe. J’ai vu Abba gagner. C’était parfait, mais factice à mes yeux et le titre justement évoquait la guerre. Ils dansaient, souriaient, de leur folle énergie, contents d’être suédois et de triompher. Moment d’histoire, ce Waterloo, chanté et fêté comme une victoire, par une victoire. Ils sont très forts. Ils reviendront. J’étais en Angleterre en 1978 et comprenait que Genesis, Dylan, Bob Marley, Kate Bush, Gerry Rafferty étaient au top de la pop, comme l’indiquait le titre de l’émission présentée par un monstre. Abba chantait avec eux, ces quatre-là, revenus de leur concours, s’imposaient. « I do I do I do I do » Je n’osais pas apprécier. Trop construit, pas assez …

 

D’autres titres vinrent et les années quatre-vingt aussi. Abba nous rappelait Abba, les sourires demeuraient. La blonde, vive, d’allure joyeuse et naïve, la brune en apparence plus sérieuse et les deux musiciens qui les entouraient. Ils s’étaient aimés et les couples se séparaient. Un jour ils seraient anonymes. Puis les références, les mélodies, les images, leur séparation en tant que groupe, et cet air de flûte qui vrille dans “Fernando”.

 

Ils font partie de ma vie intérieure. Leurs voix, fortes, claires, uniques. Un seul bateau dans le port dont la sirène produisait un chant pareil. En voyant leurs imitateurs un soir de gala, j’ai compris ça. Ils font parties de millions de vies intérieures par leurs musiques et leur voix, leur évidence et leur beauté, feinte, surfaite, qui fut si naturellement vraie. Le passé me le souffle à l’oreille. La jeunesse en était la source, vérifiable depuis qu’elle est tarie. C’est une surprise, a posteriori. C’est venu après ou est-ce moi qui n’était pas là? La musique d’Abba est une réalité, une présence dans la vie passée qui survient encore. Des regards réjouis que l’on a pas su interpréter. Abba se produisait et le réel a jailli de toute cette savante facticité. Les écrans sourient et la langueur fait mine de s’accomplir dans son indifférence défaite. Je me réveille et ce n’est plus l’avant-veille de la sortie du prochain disque d’Abba. Ce qui transperce, c’est le lendemain.

 

14 mai 2017 – Avec quelques chansons dans tête, et après quelques discussions à ce propos cette semaine.

 

 

Paris, Texas

 

 

 

On nous remémore, parce qu’il vient de mourir, le visage de l’acteur qui, dans Paris, Texas, ne se rappelait presque rien. De ce film que j’ai vu en 1985, je ne me rappelle que peu de chose, la lenteur, la musique, le désert réel et métaphorique, mon absence de compréhension de l’histoire. La débâcle de la relation homme-femme, femme et homme. L’actrice à son zénith, dont on saura combien son père l’a fait souffrir. Le personnage dérivant la retrouvait sans que l’amour ait survécu. Elle vendait son image intime aux regards des voyageurs, dont il fut.

 

Au bout des doigts nous avons aujourd’hui le synopsis, j’en prends connaissance, et visionne la scène finale qui me saisit mais à laquelle je ne crois pas. Ne me dit plus rien. Aurais-je ? N’ai-je pas ? La réalité individuelle traverse les déserts sans les toucher ni les faire bouger. Il aurait observé, en 2013, à près de nonante ans, que la vie est une immense, « one big », fantasmagorie. Chanteur de blues avec Bob Dylan et dans une terrible scène en 1967, homme, femme, en prison, à l’heure des visites, avec Paul Newman. Un superbe chant qui ne semble pas mentir, simple et tenace. Le blues ne pleure pas et ne s’inscrit que dans les réalités fantasmées. Que n’avais-je perçu les promesses de Paris, Texas et l’insipidité des fausses notes dans les chants d’espoir. Je voulais profiter de l’occasion pour reparler de Bob Dylan. Dans une séquence, on le voit se rendre derrière la scène et revenir avec un harmonica pour entamer un chant juif avec deux guitaristes dont Harry Dean Stanton.

 

Cette langueur d’amnésique lucide et son regard foulé aux pieds des roches désertiques dans une quête amoureuse qu’il a toujours sue vaine et dont il aime ne pas se souvenir. Le film, trente-quatre ans plus tard. Non, ce n’est pas le désert mais c’est vrai qu’il n’y avait rien. Au-devant de soi, l’amour. Aucune mémoire ne saura parler d’elle. J’étais entre deux quand j’ai vu le film. Mondes, états de veille, de lucidité, culture, perception, entre la volonté de croire et celle d’attendre que l’extatique connaissance vienne. J’ai franchi quelques vallées de vie, gardé en moi les images et la musique, involontairement, le visage de la femme, et me suis perdu dans ces actualités factuelles, leur vacuité. Ces cordes qui tremblent dans ma mémoire longtemps après avoir défié ce que je nommais à tort, intimement, d’un mot emprunté à des géants, mangeurs d’étoiles: espérance . Celle d’autrui, très réduite, portion congrue, du type qui marchait dans la lumière, les roches et les sables. A l’écran. Rien n’est proposé que l’infinité des écrans.

 

Veille, extinction, désastre et nouvelles images. Paris, Texas au cinéma et après-coup, dans les arrière- boutiques de qui aura assisté à la projection, au déroulement, à la représentation, défilement du réel mal embarqué, de visage triste à coeur joyeux.  J’y étais et j’en suis. Aide à se souvenir sans avoir à se rappeler. Toute une vie sub-désertique qui nous fait marcher. Avec, à la clef,  derrière le soleil, une histoire d’amour.

 

Genève, 16 et 17 septembre 2017. Un article ici, des visionnements là, et le projecteur se mit en marche.

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