Créé le: 26.05.2021
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Lettre à Monsieur J…
Chapitre 1
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Les relations de voisinage ne sont pas toujours de tout repos, et il arrive parfois que, à force d'endurer, l'on finisse par craquer et par vider son sac. Cette histoire, inspirée de faits réels, raconte l'une de ces fois où le désir d'avoir la paix devient plus fort que les convenances...
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Monsieur J…
Etant actuellement au bord de la crise de nerf, et mon psychologue m’ayant vivement conseillé de régler mes conflits internes et externes, je vous adresse cette lettre afin de vous entretenir d’un sujet plutôt difficile à aborder, mais néanmoins crucial. Je suis d’avis que les personnes qui m’entourent m’en seront par ailleurs reconnaissantes…
Vous et moi sommes voisins depuis maintenant un certain nombre d’années. Nous n’allons pas nous cacher le fait que, en plus de ne nous accorder mutuellement aucun intérêt particulier, il ne nous viendrait pas à l’idée de nous rendre service ou de nous enquérir de nos états de santé réciproques. Toutefois, l’objet de ma lettre concerne précisément ce dernier point. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que la vie en communauté (en l’occurrence, nous parlons ici de notre paisible et charmant hameau) possède quelques avantages, mais également une poignée de règles à respecter pour maintenir l’équilibre du système.
Ne faisons pas durer plus longtemps le suspense. Je souhaiterais aborder ici, avec vous, le chapitre des nuisances sonores. Un bien grand mot, me direz-vous, que ce terme de « nuisance ». Cependant, il faut bien se rendre compte que, mis bout à bout, durant de longues années, de petits faits – qui pourraient au demeurant paraître anodins – peuvent se transformer en quelque chose de plus palpable, de plus conséquent, de plus… envahissant. Pour vous dire la vérité, je vous adresse ces mots en qualité d’ambassadeur du voisinage. Au terme d’une réunion fort animée et un peu alcoolisée, nous avons pris la décision conjointe de vous transmettre le message que je m’apprête à vous délivrer.
N’attendons pas plus pour crever l’abcès, et disons-le franchement : vous nous cassez les pieds.
Passe encore le fait que vous tondiez votre pelouse trois fois par semaine, même si l’on pourrait se demander où l’herbe trouve encore le courage de se donner la peine de repousser. Passent également vos tentatives de pousser la chansonnette au milieu du silence apaisant de la campagne (ceci est relativement peu fréquent, mais l’une des voisines a insisté pour que je vous en touche un mot). Nous sommes également prêts à fermer les yeux sur vos heures quotidiennes de débroussailleuse et de taille-haie, activités auxquels vous devez, il va sans dire, probablement exceller.
Nous faisons l’impasse sur la sonnerie du téléphone qui retentit plusieurs fois par jour dans tout le village (vous êtes, comme nous, au fait du caractère encaissé de notre vallée et du phénomène d’écho qui en résulte). La sonnerie susnommée dure chaque fois le temps de vous rendre du fin fond de votre jardin au dit téléphone, soit une éternité. S’ensuit généralement une conversation en langue étrangère dont, pour notre plus grand bonheur, nous ne comprenons pas un traître mot.
Toutefois, ces petites incartades sonores ne seraient rien sans le concours de circonstances qui les entourent. Or, il se trouve, et à très juste titre, qu’il existe des lois à propos de ce que l’on peut faire et ne pas faire avec des machines infernales dont le vrombissement s’entend jusqu’au prochain village. Citons en exemple l’interdiction formelle de décaper les oreilles de ses voisins à coup de moteur à essence durant toute la sainte journée du dimanche. Car, aussi vrai que le Seigneur s’est reposé ce jour-là, les tondeuses à gazon semblent en avoir fait de même. Mais ce n’est pas tout – loin s’en faut ! Au-delà de cette première règle, il en existe une deuxième qui a pour objet les autres jours de la semaine. Notre gouvernement a en effet positionné sur le calendrier des plages horaires au cours desquelles l’on peut s’adonner aux joies de la pollution sonore, ainsi que d’autres réservées aux loisirs plus silencieux, tels que le crochet, l’aquariophilie ou la collection de capsules de bière.
Ici, nous arrivons au point culminant de notre propos, à savoir : vous pouvez faire autant de bordel que vous voulez, pourvu que ce soit pendant les heures autorisées. C’est précisément là, vous en conviendrez, que réside tout le problème. En supposant bien évidemment que votre perception du temps qui passe se rapproche de la nôtre, ce dont, je dois bien vous l’avouer, doutent certains de vos proches voisins.
Si je me permets d’évoquer ce sujet épineux avec vous aujourd’hui, c’est que ce manque de respect des consignes (soyons francs, que diable !) engendre au fil des années une modification non négligeable des comportements à votre égard, ainsi que tout un panel de troubles psychologiques chez les plus sensibles d’entre nous.
Pour vous donner un exemple, il m’arrive de recevoir des amis à manger le weekend, en particulier lors de la belle saison. Nous aimons profiter de la terrasse le soir pour y prendre l’apéritif, dîner ou discuter en contemplant les prés alentour, le dimanche étant plus généralement consacré aux repas de famille. Hormis Tante Gisèle qui ne capte plus assez de décibels pour tenir une conversation, il est très fréquent que, devant votre acharnement à ratiboiser un gazon de trois centimètres de hauteur, les langues se délient et que les cœurs s’échauffent. C’est alors que fusent les propositions les plus originales visant à vous faire taire, vous et vos trésors de technologie. Certains suggèrent de « vous faire bouffer » votre débroussailleuse, d’autres de vous l’insérer par un autre orifice – ce qui, au vu de la constitution de l’appareil, revient essentiellement au même, semble-t-il. Une poignée d’amis a envisagé de piéger votre tondeuse afin, je cite : que lorsque vous démarreriez le bouzin, celui-ci explose et vous avec. Je ne parle pas des vivats lorsque votre machin s’enraie, ni des cris de rage redoublés lorsque, l’ayant réalimenté en essence, vous repartez derechef vers une autre portion de votre immense jardin. Et tout ceci bien sûr, sans compter la taille des buissons à sept heures et demie du matin, fort appréciée après une soirée convenablement arrosée qui s’est terminée quelques heures auparavant (je tiens à insister sur le caractère sarcastique de la phrase, afin que ne subsiste aucun malentendu à ce sujet).
Je vous dis cela avec la plus extrême courtoisie et le plus grand respect. Néanmoins, si vous ne voulez pas retrouver un jour votre chat pendu par ses boyaux à l’arbre qui jouxte votre propriété, je vous conseille de porter votre attention sur les lois concernant les nuisances sonores et à apporter les changements nécessaires dans votre quotidien, pour que cette petite mésaventure se termine sur de cordiales et confiantes relations de voisinage, et afin que perdure l’équilibre de notre petite société.
En parlant de votre chat, il semblerait que vous ayez pris, depuis un temps certain, l’habitude de lui courir après à la tombée de la nuit tout en l’appelant à travers la campagne. Nous avons pu constater que vous y consacriez entre une heure et demi et deux heures tous les soirs (là, les avis divergent suivant le niveau d’agacement des uns et des autres, aussi ai-je pris la liberté d’établir une moyenne). Ce qui, les premières fois, constitue une attraction sans précédent pour les nouveaux venus – qui font usage, au passage, de l’intégralité du champ lexical de la folie à votre encontre – mais qui peut devenir lassante lorsque l’on y est confronté journellement. Aussi, si vous vouliez avoir l’extrême obligeance de foutre, de temps à autres, une paix royale à votre fichu matou, nous vous en serions, sinon reconnaissants, du moins cela n’en rajouterait pas une couche sur la tondeuse et le téléphone.
Je vous prie d’agréer mes plus sincères sentiments,
Votre très dévoué voisin, M. P…
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Commentaires (7)
Mouche
29.09.2021
Quelle classe ! J'adore ce ton raffiné et sophistiqué pour exprimer finement l'agacement, voire la rage la plus totale ! Vous avez dû vous régaler à l'écrire, comme moi je me suis régalée à vous lire ! Un grand bravo.
Jom-Som
10.09.2021
Excellent ! Drôle! Enjoué ! Si vous n’avez pas le prix je ne croirai plus à la justice suisse.
Omar Bonany
19.09.2021
J’abonde dans le sens de Jom-Som. C’est réjouissant de bout en bout. Si ça ne tenait qu’à moi, je vous accorde d’emblée le premier prix du concours Webstory 2021. Et ça me donne grande envie de me remettre à l’exercice ô combien salutaire de la satire
Lauma H.
29.08.2021
On a tous un monsieur J empêcheur de tourner en rond. Je compatis et j'applaudis la légèreté du ton qui contrebalance avec l'agacement palpable causée par la situation. J'ai beaucoup ri. Merci
Pierre de lune
13.08.2021
Que c’est drôle, merci pour cette désopilante lecture ! Chanceuse Tante Gisèle ;)) De tout cœur avec le collectif de voisins excédés !
Thomas Poussard
12.08.2021
Ça me fait penser au néo-ruraux qui portent plainte parce que le coq les réveille le matin... ou que les grenouilles du marais voisin les empêche de dormir... Qu'ils arrêtent donc de nous enquiquiner, tous !
Marie Vallaury
02.06.2021
Quel bonheur, ce texte ! J'ai tellement ri que j'ai une réserve de bonne humeur pour toute la journée, voire plus, et je me permettrai d'y revenir en cas de baisse de moral. Merci !
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