Créé le: 08.09.2021
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Lettre à une si douce ennemie

Correspondance

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Je dédie ce texte aux amateurs de suspense et de sensualité.
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Je me réveille en sueur et immédiatement je pense à toi ! J’ai à nouveau succombé à tes charmes et j’en paye amèrement les conséquences. Comment puis-je si naïvement me laisser entraîner à chaque fois dans ce tourbillon infernal ?

Cela avait commencé quelques heures plus tôt dans la douce chaleur d’une soirée d’été. Je me réjouissais de cet événement s’annonçant des plus festifs et pourtant je subodorais déjà que tu serais présente. Je m’interdisais de penser à toi, à ton charme si rustique et si sensuel à la fois qui provoquait chez moi un désir ô combien particulier.

Empêtré dans mes draps humides, j’essaye vainement de me trouver quelques excuses mais sans doute que ces confessions tardives ne pourront calmer mes maux. Je venais de rentrer de quelques jours de villégiature et comme toujours, lorsque je ralliais mes terres valaisannes, j’avais immanquablement des envies de retrouvailles interdites. En bon prince j’étais à chaque fois prêt à ouvrir mon palais pour toi ma douce, quitte à en subir chèrement les néfastes effets.

La veille, en arrivant à cet apéritif, je t’ai immédiatement aperçue du coin de l’œil, mais je décidais tout bonnement de t’ignorer. Je crânais et jouais à l’insouciant mais en réalité sous ma chemise mon cœur battait la chamade. Je tentais maladroitement de me concentrer sur mon verre de vin. Quel nectar ! Une petite Arvine, sèche et fruitée à la fois, qui en aurait fait tourner la tête à plus d’un. Cet or si parfumé arrivait presque à t’occulter. Cependant, au fil des heures, emporté par une légère ivresse, je me suis gentiment rapproché de ta table, tout en veillant à te tourner le dos comme pour te signifier une désinvolture qui n’en était que le simulacre. J’avais presque honte de cette pseudo partie de cache-cache si puérile ! A un moment donné tu es passée à la main d’un homme, accompagnée d’une petite, en robe des champs. Tu semblais encore brûlante. La jalousie, que j’ai ressenti à cet instant, s’est trouvé exacerbée au moment où ton parfum de fleurs des montagnes a fait frissonner mes narines. Tu avais l’air d’être bien dans ton assiette !

Et comme par le passé, faible homme que je suis, j’ai basculé ! Poussé par une irrésistible force obscure, parfois je te surnommais ironiquement mon péché de la «chair», je me suis soudainement mis à courir vers toi. Il était minuit, tu étais ma Cendrillon et je ne pouvais m’imaginer endurer la scène affligeante, de ne retrouver de toi qu’un talon abandonné. Ô Toi – La Raclette – ma tendre et bouillante ennemie, tu m’as encore attrapé par le bout de mon estomac ! Pourtant je ne le savais que trop bien, si je succombais, j’allais à nouveau en payer l’addiction !

Mais comment résister à une demi-meule si belle, à ce concentré des Alpes ? Tout en émoi, je revis cet instant… Je freine ma course et je m’approche nerveusement de la file de tes nombreux fans, mes mains sont moites. C’est presque démoniaque ce magnétisme que tu exerces, tu as tellement de succès, on dirait que toute la foule attend fébrilement l’autographe d’un auteur renommé ! Je suis tout proche, j’y suis presque, j’y suis ! Je trépigne en voyant une main virile te caresser la face de la lame de son couteau. Tu coules voluptueusement et je me dis que c’est gagné, que tu peux aussi fondre pour moi ! Puis comme un sauvage, sans un regard pour les gens qui m’entourent, je t’empoigne et décide de ne pas pimenter plus cet instant magique. Je vais te déguster au naturel, oui sans artifices, afin de mieux te cerner : sans poivre, sans cornichons, sans garnitures, juste toi et moi… Je retiens mon souffle puis je te dépose délicatement sur ma langue. Et là, c’est l’explosion de bonheur, mes papilles se retrouvent confrontées à une véritable symphonie alpestre :

Tes notes fruitées sont un hymne à ces prairies sauvages, à ces pétales bigarrés qui auraient pu inspirer Renoir pour un déjeuner sur l’herbe version altitude, à l’ombre d’un mélèze centenaire dont la peau de crocodile rougeâtre serait chatouillée par une colonie de fourmis. Tes notes fraîches rappellent les torrents cristallins et impétueux qui dévalent les pentes, ces larmes glaciales qui burinent sans relâche ces majestueux faciès montagneux.
Tes notes corsées rappellent le caractère belliqueux et noble à la fois des vaches d’Hérens qui transforment les mayens en jeux du cirque. Je pense à leurs cornes dressées, leurs muscles saillants n’ont rien à envier aux gladiateurs antiques tant leur puissance est sidérante.
A chaque fois que je communie avec toi, chair ennemie, tu me racontes une histoire à la typicité bien valaisanne et c’est sans doute ce sortilège là que j’apprécie le plus, lors de mes retours au pays. Tu es une merveilleuse conteuse !

Seulement chère Raclette, par tes délices, tu en appelles une autre, puis encore et encore, le cycle s’accélère, j’en redemande, je t’avale à en perdre la raison. De ma gourmandise, tu es la sirène mais les heures suivantes, c’est le retour sur engloutissement : mes phases de sommeil ressemblent à cette lettre que je t’enverrais en version morse et mes intestins sont en pagaille… Sur mon matelas trempé, j’ai tout du naufragé. Tout à coup j’ai l’impression nauséeuse qu’un tortillard à crémaillère essaye de se frayer un chemin dans mon tunnel digestif. Cela s’arrête, cela repart, cela tangue, cela valse, cela grince de toutes parts ! Dans mon délire cauchemardesque je vois s’approcher un petit contrôleur grimaçant, celui du tortillard, qui veut oblitérer mon titre de transport. N’en ayant pas je lui tire la langue qu’il commence à trouer frénétiquement avec sa pince en chantant des trous, des petits trous, toujours des petits trous. Ricanant sous sa casquette, il rajoute que j’aurais mieux fait d’avaler… du Gruyère ! Quel enfer… Je me réveille à nouveau complètement hagard. Une goutte salée s’écoule de mon front rappelant le torrent montagnard en moins cristallin. Ô ma Raclette, durant notre débauche gastronomique nous n’avons fait plus qu’un, mais cette nuit de Noces s’est terminée piteusement par une séparation des biens.

Raclette, ma tendre ennemie ! Je ne pourrais jamais te traiter de raclure, mais il faut que cela cesse !

Peu à peu je retrouve mes esprits. C’est alors qu’une pensée saugrenue me traverse la tête, ma moue se transforme en sourire qui éclaire quelque peu mon visage fatigué. De cette nuit, c’est sûr je vais en retenir la leçon et cette leçon vaut bien un fromage ! Qu’en penses-tu !

 

Ton gourmand invétéré

 

Commentaires (1)

Thomas Poussard
14.09.2021

J'ai bien ri, et beaucoup aimé cette anti-ode à la raclette (qui m'a mis l'eau à la bouche!). Bravo!

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