Créé le: 20.10.2022
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Les Ombres de la Lune

Fantastique, Horreur, Nouvelle

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© 2022-2024 Thibaut Barbier

Partie 1 sur 2

Un village de campagne est le théâtre de multiples disparitions sanglantes, apparemment sans liens ni explications. Un commissaire de police va tenter de résoudre l'affaire après réception d'une mystérieuse lettre. Mais l'enquête révèlera des secrets qui auraient dû rester enfouis.
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Les rues désertes du village dansaient sur le rythme du vent et des ombres générées par la pleine lune. Aucune âme n’osait sortir lorsque l’astre de la nuit projetait ses rayons blafards. Certains faisaient allusion à une de ces vieilles superstitions qui couraient dans les hameaux reculés. Personne n’admettait y croire mais les preuves laissaient peu de place au doute. Au petit matin, les villageois sortiraient prudemment de leurs chaumières, priant ne pas avoir à déplorer de nouvelles pertes. Mais pour l’heure, chacun essayait de trouver le sommeil. Car la lutte était vaine face aux forces obscures à l’œuvre. Il fallait attendre et surtout ne pas donner de signe de vie. Tout le monde connaissait l’histoire de ce hardi fermier qui s’était enfermé dans sa grange après le mystérieux massacre de son troupeau. Il disparut un lendemain de pleine lune, laissant derrière lui une trace de sang et des lambeaux non identifiés. Depuis, les cycles lunaires faisaient l’objet d’un suivi minutieux, et les villageois apprirent à se barricader. Un étranger demanderait pourquoi ces gens ne quitteraient pas tout simplement les lieux. Mais cette décision insupportable leur inspirait un destin pire que la mort. Alors ils restaient sur ces terres qui les avaient vu naitre et les verraient sûrement périr.

Les rumeurs s’ébruitèrent tout de même hors du village. Notamment dans la ville au sud, les citadins écoutaient incrédules les marchands et les travailleurs revenir avec les derniers récits de massacre. Les descriptions des éléments laissés au matin se ressemblaient pourtant toutes : des traces de griffes immenses et des restes ensanglantés, pratiquement impossibles à identifier, dans une pièce fermée sans signe d’effraction. En raison de la récurrence systématique, les citadins admettaient que les récits étaient véridiques. Et la ville se tint à l’écart autant que possible du village, en particulier à l’approche de la pleine lune.

Quelques hommes et femmes téméraires tentèrent de résoudre le mystère, pour la gloire ou pour la paix des villageois. Ils étudiaient les lieux minutieusement, à la recherche du moindre indice ou d’une quelconque piste permettant de remonter jusqu’au monstre. Car il n’était plus question d’animal ou d’humain, mais bien d’un monstre. Une aberration dont la nature conservait le secret et déchainait sur les hommes pour d’obscures raisons. A en juger les marques laissées après son passage, un portrait hypothétique se formait dans l’imaginaire collectif. Un jour, un homme arriva avec un appareil photo, persuadé de capturer aisément l’image du monstre. Seul l’instrument fut retrouvé le matin. Des traces de sang sur l’objectif et les lanières tranchées suffirent à déterminer le devenir du propriétaire. Et la pellicule étrangement intacte ne présentait rien de particulier, à part un flou impossible à interpréter.

Les mois se succédèrent, sans apporter le moindre développement sur cette affaire. Jusqu’à un matin d’Octobre, où une missive arriva dans la ville au sud du village. Elle s’adressait au commissaire de police, sans beaucoup plus de précisions. Le commissaire étudia la lettre, qu’il considérait comme un canular en première intention, mais se ravisa en croisant mentalement les étranges bruits qui courraient sur le village. Ce fut surtout la fin de la lettre qui le marqua au plus profond de son être, si bien qu’il accepta presque inconsciemment la légitimité des écrits. Le commissaire reprit les différents rapports que les brigadiers avaient rédigés au retour de leurs patrouilles dans le terrible village. Les témoignages glaçant des résidents, teintés d’un sentiment d’horreur perceptible à travers les mots, ainsi que les traces affreuses immortalisées dans la pellicule qui devaient hanter la mémoire de bien des hommes lui arrachèrent un haut le cœur. Il relut une nouvelle fois la terrible lettre et se convainquit qu’il devait agir en personne.

Le commissaire rechargea son revolver de service, prit quelques munitions supplémentaires et embarqua à bord de son véhicule attitré vers le village. Il laissa des instructions derrière lui, toutefois il voulut agir seul. Comme animé par un désir incontrôlable, il traversa les champs et forêts qui séparaient la ville du sombre village. Il arriva en fin de journée devant le panneau annonçant l’entrée dans la commune lorsqu’il se rendit compte de sa folie. Les rayons du couchant rasaient les bâtiments tandis que les ombres s’étendaient d’une allure menaçante. Les rues se vidaient peu à peu alors qu’il arrivait devant le poste de police local. Les agents furent bien évidemment surpris de voir leur supérieur arriver subitement alors que le village s’apprêtait à plonger dans sa léthargie. Le commissaire répondit à quelques questions puis demanda une équipe pour la nuit. « C’est impossible, Monsieur le commissaire, répondit le commandant. La pleine lune est pour ce soir, sortir relèverait du suicide. » Le commissaire acquiesça et s’assura d’avoir un endroit sûr pour la nuit, afin de reprendre les investigations le lendemain matin. Le commandant lui dépêcha une chambre dans l’auberge du coin et se posta à proximité pour protéger le commissaire, « Pure précaution » ajouta-t-il. Malgré l’heure déjà avancée, les hommes purent s’organiser en urgence et préserver la sécurité de chacun. Le commissaire attendit alors la nuit dans sa chambre.

La lune s’élevait dans le ciel alors que le commissaire relisait de nouveau la lettre. Il chercha du regard les lieux décrits sommairement par son correspondant. Il devina une des bâtisses comme étant la poste et un peu plus loin le clocher sinistre de la petite église du village. Les ombres formées sous la lumière blafarde invitaient aux fantasmes et chaque mouvement provoquait une panique irrépressible. Le commissaire se déchirait entre deux pensées contradictoires. Il espérait voir le monstre sortir des ombres mais souhaitait de tout cœur ne jamais poser ses yeux dessus. Il gardait son revolver à proximité, prêt à agir à la moindre forme de danger. Les douze coups retentirent dans la nuit lorsque le commissaire constata les premières manifestations.

La lettre semblait prendre vie sous ses yeux. Aucun détail ne manquait à l’appel. Il connaissait chaque élément par cœur, aussi tout lui revint en même temps en mémoire. « Tout commence lorsque minuit retentit dans les rues. Les ombres jusque-là immobiles s’animent lentement et ondulent sous une brise légère ». Le commissaire ouvrit la fenêtre et senti la brise fraiche effleurer sa peau. Un frisson remonta sa colonne vertébrale. Il fixa le clocher de l’église. « Alors que la lune continue son ascension et éclaire la pointe du clocher, les ombres s’agiteront un peu plus au sommet et formeront comme un vrombissement. » Le commissaire reconnut la précision des termes employés. Malgré sa préparation, il transit dans la fraîcheur nocturne face à l’horreur qu’il ne faisait qu’imaginer jusqu’alors. Les images inexpliquées se succédaient et pendant des minutes interminables, le commissaire restait subjugué par le spectacle fascinant. « Et c’est alors que vous l’entendrez murmurer à l’intérieur de votre tête. » Le commissaire se rappela cette phrase qui ne pouvait que provenir d’un esprit malade. Ou plutôt, il espérait de tout son être qu’elle traduisait la démence de son correspondant.

« Régis… » Le commissaire resta tétanisé. Ses membres ne répondaient plus alors qu’il désirait ardemment courir pour sortir de ce cauchemar. « Régis … » Exactement comme décrit dans la lettre, la voix résonnait dans sa tête. Elle l’appelait par son prénom. Un murmure qui s’insinuait dans chaque recoin de son cerveau. La voix coïncidait avec le souffle de la brise, et s’imprégnait avec le froid de la nuit. Le commissaire fixait toujours le clocher de l’église. Le vrombissement s’accentuait tandis qu’une silhouette se détachait petit à petit. Le frisson s’intensifiait, provenant de l’intérieur de sa colonne vertébrale et se répandant dans son corps tel un fourmillement frénétique. Les battements de son cœur se synchronisaient avec le vrombissement du clocher tandis que son souffle se perdait dans la brise. Et la silhouette étrangement familière se détachait petit à petit de la pénombre. Le commissaire perdait la notion du temps, ou plutôt il perdait tout contact avec ce qu’il connaissait de la réalité. Et la voix lancinante hantait son esprit en l’appelant par son prénom.

Tout à coup, la voix modifia son intonation. D’un souffle glacial, elle se teintait d’une vie presque fantomatique et articula clairement chaque syllabe de son discours. « Je t’attendais Régis. » Le commissaire se raidit davantage. Cette voix. Cette voix si familière. Où l’avait-il eu entendue ? Il constata que la silhouette au niveau du clocher se distinguait parfaitement des ombres ambiantes. Il supposait qu’il s’agissait d’un être humain, sans véritable signe distinctif. « Rejoins moi Régis. » La phrase impérieuse engendra un électrochoc dans son corps, lui rendant ses sens et la capacité de se mouvoir. Le commissaire exécuta l’ordre docilement, attrapa presque instinctivement son revolver et ouvrit la porte de sa chambre. Il traversa le couloir étrangement vide et rejoignit la cour de l’auberge. Une fois dehors, il reprit quelques esprits et le commissaire s’interrogea sur son comportement. Puis une phrase de la lettre lui revint en mémoire. « Comme au sortir d’un songe, vous vous retrouverez dans les rues du village. C’est alors que vous les verrez. »

Inquiet de connaitre l’identité derrière ce « les », le commissaire observa les alentours, guettant le moindre mouvement suspect. Il voulut rejoindre l’auberge lorsqu’il perçut deux yeux blafards dans l’embrasure de la porte. Pris de panique, il recula tout en surveillant les yeux. Ils ressemblaient à deux lunes. Il ne distinguait pas le corps qui devait alimenter les deux globes sinistres. Il ne désirait pas vraiment le savoir. La simple vue des yeux lui procurait des frissons dans toute sa colonne, qui agissaient comme autant de morsures dans ses nerfs. L’église apparut sur sa droite, dressant sa sombre forme au milieu des ombres de la nuit. Sans réfléchir, il se dirigea vers elle pour fuir la présence malveillante. Alors qu’il se trouvait devant la grande porte de bois, le commissaire osa regarder derrière lui. Les yeux l’avaient suivi, et le commissaire se sentit pris en chasse. Il tenta d’ouvrir la grande porte, sans succès. Le commissaire, acculé, s’immobilisa en attente de son sort.

« Rejoins moi Régis. » La voix ressemblait à une litanie, un appel insidieux responsable de son errance nocturne. Les yeux s’approchèrent tandis que la voix continuait de hanter les pensées du commissaire. Il se sentait impuissant et accablé par la peur. Cette terreur se répandait dans chaque partie de son corps, engendrant un froid qui le dévorait. Son corps ne répondait de nouveau plus et son revolver resta inutile le long de sa jambe. Soudain, par un jeu cruel du destin, les yeux disparurent et laissèrent le commissaire isolé dans l’obscurité. Le froid persistait dans son corps mais il pouvait de nouveau se mouvoir. Il regarda autour de lui, le village était toujours calme et inanimé. Seules les ombres ondulaient faiblement au grès de la brise. La voix s’était tue, pourtant il sentait encore sa présence dans son esprit. Il tentait de se remémorer de la lettre. « C’est alors que vous les verrez. Les réponses … de l’église. » Il ne se souvenait plus très bien. Il essaya de nouveau d’ouvrir la porte puis détourna son regard vers le clocher. Le vrombissement s’était dissipé mais la silhouette était toujours présente.

Le commissaire explora les abords de l’église quand il découvrit une porte dérobée. Elle n’était pas verrouillée, si bien qu’il pénétra dans le bâtiment lugubre. Les vitraux éclairés par l’éclat blafard de la lune produisaient des couleurs fantomatiques et envoutantes tandis que les ombres oppressantes peuplaient l’intérieur. Le commissaire chercha à rejoindre le clocher lorsque la voix recommença son murmure déstabilisant. Il compta les marches pour distraire son esprit de l’appel démoniaque. A mi-chemin du sommet, la voix prononça une nouvelle phrase. « J’ai tellement de choses à te dire Régis. » A cette annonce, le commissaire se souvint de la lettre. « Les réponses de ce mystère commencent au sommet de l’église. Mais la vérité sera ailleurs. » Il considéra être trop avancé pour revenir sur ses pas. Il devait continuer vers le sommet. Et confronter le mystère du village.

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