Créé le: 23.12.2019
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Les décos de papier

Contes, Noël, Pour les enfants

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© 2019-2024 Laure Brienza

Nostalgie en conte de Noël pour les grands & leurs enfants
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C’est en passant à côté de la porte de la cave que ça m’est venu. D’un coup. J’étais là, avec Clémentine, ma voisine, pour l’aider à ranger sa luge après une belle après-midi de rigolades dans le jardin, lorsque mon regard s’est arrêté net sur cette cave vide. Ma cave. Vidée des souvenirs qui avaient contribué à des années heureuses dans cette maison. Pourtant, j’étais au courant, « plus que quelques jours avant le grand départ pour l’Amérique », clamait papa à tout va, et j’avais bien remarqué que la maison se vidait sérieusement au gré des objets que maman avait mis en vente sur internet. C’est bête, je m’étais préparé à me séparer de mon lit, à donner mes jouets, à vendre ma collection de BD, mais les décorations de Noël, ça, je n’y avais pas pensé…

 

Planté là, devant cette pièce nettoyée du passé, une première larme salée a coulé. Je ne sais pas si Clémentine l’a vue, mais les années à grandir côte à côte avaient aiguisé son flair :

– Je crève de faim ! me dit-elle en m’attrapant la main. Tu montes goûter les étoiles à la cannelle que j’ai faites ce week-end ?

Alors que ma bouche prétextait devoir rentrer pour aider à la maison, ma main a pressé la sienne en retour pour la remercier. J’ai déversé les suivantes, seul, dans mon oreiller.

 

J’adore cette période de l’Avent, observer les sourires emmitouflés dans les écharpes, tirer la langue pour accueillir les premiers flocons, voir les nuits s’éclairer, respirer les agrumes percés de clous de girofle ou réchauffer mon nez au-dessus d’une tasse de chocolat fumant. Mais, apercevoir ce néant derrière les croisillons en bois de la porte m’avait fichu le cafard pour de bon.

Déjà qu’un Noël au soleil de Floride ne respirait pas l’hiver, sans les décos auxquelles je tenais tant, ça n’allait vraiment plus être aussi excitant.

Adieu, petit train qui faisait le tour du sapin. Au revoir, la cloche au mécanisme grippé que j’aimais accompagner de mes sifflotements. Salut, bougies bariolées bricolées à l’atelier du quartier. Ciao, crèche en bois que pépé avait pris soin de confectionner de ses mains, ou devrais-je dire, bye bye !

 

Chaque année, maman mettait tout son cœur à décorer la maison et j’avais compris quand elle avait dit que, cette fois, elle n’aurait vraiment pas le temps. Seulement, je ne m’attendais pas à ce qu’elles finissent sur Anibis. Pourtant, à onze ans, ça semblait évident qu’on ne les emporterait pas dans l’avion. On y est, je pars pour de bon.

 

Ne sachant pas trop quoi faire de cette prise de conscience, j’ai chassé mes idées noires par l’ouverture du calendrier que j’avais laissé à plus tard, ce matin, pour rejoindre hâtivement Clémentine dans la neige fraîche. Le chocolat de la porte 23 était moulé d’un cadeau enrubanné et ça m’a rappelé que je n’avais encore rien trouvé de suffisamment chouette à offrir à lui pour mon départ. Neuf ans qu’on faisait les quatre cents coups. Ou plutôt huit, ou même sept, car on avait quelques mois de différence et elle était arrivée au rez lorsque mémé avait dû se résoudre à élire domicile en maison de retraite. Zéro frère et sœur et un étage d’écart, forcément, ça soude. D’ailleurs, je me demande bien qui va manquer le plus à l’autre dans trois jours.

Trois jours… Les parents parlent déjà en heures et j’ai horreur de ça. Je préfère vivre le compte à rebours avec les portes du calendrier. C’est plus gai. Il nous reste donc trois jours avant les adieux, ou encore mieux, 368 jours avant les retrouvailles puisque les parents ont promis, dorénavant, que chaque Noël se fêterait en alternance chez l’un, puis chez l’autre. C’est en comptant les jours que l’idée m’est venue, il me restait encore assez de temps et… elle allait adorer !

 

La table vendue, c’est au rez qu’on était invités à passer Noël. On ne s’était finalement pas revus, mais le temps avait défilé en le passant à peaufiner mon cadeau. Je venais de terminer l’emballage quand maman m’a appelé pour l’aider à descendre le plateau chargé de ses fameuses sauces à fondue bourguignonne.

 

Heureusement que le papa de Clémentine m’avait déchargé les bras; j’ai dû me tenir au bord du sofa en découvrant l’entier de mes décorations soigneusement disposées dans ce salon. C’était fabuleux ! Tout y était ! Les bougies faites main illuminaient la nappe et me replongeaient dans le souvenir de l’indexe alternant la mèche dans les successifs bains de cire. Sur la table basse, la cloche musicale s’impatientait d’être soulevée pour que je remonte sa manivelle qui délivrerait le Jingle Bells. Le père Noël me saluait de sa locomotive à chaque tour de conifère. Quant au sapin, majestueusement vêtu de sa collection de boules rouges et or, il arborait même le fameux couvre-chef dépareillé. En effet, sur la cime, dominait la flèche bleue que maman m’avait cédée au marché de Montreux, voyant mon coup de cœur pour cet objet azuré, cintré de zircons multicolores et de paillettes argentées. Quant à la crèche, elle trônait sur le buffet ; on y avait rajouté du sable pour gagner en authenticité et je surpris le Roi nouveau-né me chuchoter « plus d’inquiétude Nicolas, c’est sur une terre de palmiers que le premier Noël a été célébré… ».

 

J’étais heureux, ému mais tellement heureux, de savoir que mes décos n’avaient pas été liquidées et qu’elles continueraient à enluminer la maison et le cœur de gens qui comptaient tant.

Après la bûche, on a attendu d’ouvrir les cadeaux des parents pour enfin s’offrir le nôtre. Préférant commencer, elle l’a déballé pour découvrir l’agenda dans lequel j’avais préalablement inscrit un rituel hebdomadaire qui adoucirait la distance. En défilant les pages, elle a vite compris. Tous les lundis, j’y avais écrit une qualité que je lui trouvais. Chaque mardi détaillait un souvenir à deux mémorable. Les mercredis étaient réservés à mes blagues légendaires. Le jeudi, j’imposais un mot, elle devrait l’illustrer ; c’était son activité favorite et même les adultes reconnaissaient son coup de crayon. Elle aimait le dessin et moi les mots alors les vendredis dévoilaient la suite d’une histoire que j’avais inventée. Le samedi, elle apprendrait un mot utile en anglais et le dimanche était volontairement vide pour qu’elle le remplisse elle-même des nouvelles fraîches que nous aurions partagées le jour même par téléphone. Oui, elle avait adoré !

 

Rassuré de l’effet qu’avait eu mon présent, je ne pouvais que profiter de celui qu’elle me tendait maintenant tout en précisant :

– Tu ne m’en voudras pas, j’ai déterré la boîte à trésors du jardin et gardé tout ce qu’il y avait dedans. Mais elle n’est pas vide pour autant, ouvre-la, tu verras…

 

Je suis passé de son sourire malicieux à l’émerveillement. Le couvercle relevé dévoilait un travail d’artiste phénoménal. Elle avait dessiné, colorié, ciselé toutes mes décorations de Noël sur du papier cartonné. Les boules, la flèche, la cloche, la crèche, le train et tutti quanti étaient réunis dans cet étroit coffret de bois. Même les parents eurent un souffle d’admiration. Clémentine était du genre de ceux qui, en connaissant bien le cœur, devinaient les pensées. Devant la porte de la cave, elle avait fait la lumière sur ma larme et s’était engagée à la sécher. Elle y était arrivée.- C’était déjà en ta compagnie que j’ai passé les deux derniers jours à dessiner, avait-elle ajouté. Ce n’est pas aussi beau que celles que tu me laisses, mais celles-ci ne prennent pas de place dans une valise…

 

Pour la mesure de celui qui allait manquer le plus à l’autre, là, on était quitte. J’étais soufflé de tant de précision, de tant d’attention. Demain, rassasié de ce moment, j’emporterai ce qui comptait vraiment. Et je ne me ferai plus avoir. Noël ce n’est pas ce qu’il en est, mais ce que l’on en fait. Un essentiel dans le manque, l’espérance malgré l’absence. C’est l’espoir d’un Au revoir.

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