Créé le: 22.09.2019
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L’éléphant et l’oiseau

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© 2019-2024 Philippe Bonvin

L’art africain, à travers un masque Kònò, devient source d’inspiration pour un artiste contemporain.
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En sortant de la Serpentine Gallery, encore sous le charme des grandes toiles aux couleurs chaudes et des statues en bois que je connaissais déjà, mais que je découvrais, comme au premier jour, je sentis un souffle de joie envahir mon corps. Je savais que tu aurais été fier de cette exposition qui prenait des airs de rétrospective. Ces murs avaient déjà accueilli quelques-uns de tes amis, Damien Hirst par exemple, ou des artistes illustres que tu avais appréciés et parfois même rencontrés – Jean-Michel Basquiat, Gerhart Richter ou Andy Wharol.

 

À cet instant précis, je ne souhaitais qu’une chose, fuir ces mondanités et le brouhaha des éclats de voix et des tintements de verres, inhérents à ces soirées de vernissage. Je calai l’épais catalogue d’exposition sous mon bras gauche et m’extirpai de cette foule bigarrée pour profiter, seul, de cette belle soirée en déambulant dans les somptueux jardins de Kensington qui entouraient l’ancien pavillon de thé. Peu à peu, les bruits s’évaporèrent pour laisser place au silence de la nuit. Arrivé au bord du lac, je m’assis sur un banc, face aux eaux immobiles, sombres comme de l’encre. Quel plaisir de me retrouver seul. Avec moi-même. Avec toi.

 

Je déposai le catalogue à mes côtés, ne pouvant m’empêcher de laisser glisser ma main sur le papier glacé, caressant les lettres qui formaient ton prénom et ton nom, comme si je pouvais retrouver un peu de toi. Puis, plus bas, en petits caractères, le mien, car j’avais accepté d’écrire la préface. Reproduite au centre, ton œuvre la plus célèbre, à laquelle tu n’avais pas donné de

titre, comme toujours, mais qu’un célèbre critique d’art avait, un jour, surnommé l’éléphant et l’oiseau, titre qui était maintenant communément utilisé.

 

Mes yeux quittèrent le livre et le banc, les graviers et l’herbe pour se poser sur le lac qui brillaient de mille feux sous les caresses de la lune qui, jouant avec les nuages, parvenait à les transpercer de sa blancheur laiteuse. Et je ne pus m’empêcher de sourire, heureux d’avoir pu, humblement, te rendre hommage et honorer la confiance que tu avais portée en moi. Je fermai les yeux pour retrouver, au fond de ma mémoire, nos premiers souvenirs communs, prémisses de cette belle amitié.

 

Nous nous étions rencontrés, par hasard, dans un amphithéâtre universitaire. Je suivais un cursus d’histoire de l’art, alors que tu te glissais pour écouter quelques cours, principalement celui d’un illustre professeur, dont l’aura dépassait très largement les frontières de mon petit pays. Tu étais arrivé en retard, ce qui ne passait pas inaperçu dans cet ancien amphithéâtre entièrement en bois dont le sol craquait au moindre pas. Alors que des regards se tournaient déjà dans ta direction, tu t’empressas de t’asseoir dans la première travée, à mes côtés, me poussant légèrement, dans un mouvement de bassin, qui brisa ma concentration et me fit te regarder et découvrir ton visage d’une rare beauté, qui me lança un clin d’œil.

Alors que je griffonnais des pages de notes, subjugué par l’étendue de la culture de cet intervenant, tu semblais écouter de manière distraite, détachée, comme si tu connaissais déjà toutes les notions énoncées. De temps en temps, je lançais un regard furtif dans ta direction, aimanté par le magnétisme que dégageait ton visage, naturellement, avant de replonger dans les mots que j’alignais avec une calligraphie si imprécise, que je doutais de parvenir à déchiffrer plus tard. Alors que le professeur, en rassemblant les quelques notes sur lesquelles il s’était appuyé pour ce cours magistral, nous donnait rendez-vous la semaine suivante et que des grappes d’étudiants se dirigeaient déjà vers lui pour l’assaillir de questions, tu me proposas un café, comme si nous nous connaissions depuis toujours.

 

Je me souviens parfaitement que notre discussion nous avait emmenée hors du temps, alors que tu me racontais tes nombreux séjours en Afrique de l’Ouest. Avec le recul que je possède maintenant, je suis certain que tu savais déjà, avec précision, quel cheminement pictural tu prendrais par la suite, même si tu n’en étais pas encore conscient. Ton esprit s’abreuvait d’art contemporain, que tu admirais dans les musées et les galeries que tu fréquentais avidement, mais tes pensées et ton cœur vibraient pour un autre continent.

 

Une fois par semaine, nous nous retrouvions dans ce cadre universitaire et tout naturellement notre amitié grandit. Au fil de nos rencontres, tu m’avouas que tu étais peintre, mais ne me montras aucune de tes toiles, car tu restais insatisfait de ce que tu produisais. Plus tard, lorsque

tu façonnas ton propre langage, qui te conduisit vers un succès d’estime qui ne retomba jamais, tu détruisis tous tes premiers travaux, non pas par honte, mais parce que tu estimais que ces recherches ne méritaient pas d’être visibles et qu’elles n’apportaient rien. Souvent tu me répétais, « avons-nous vraiment besoin de connaître toutes les étapes, les ratures et les corrections d’un roman ou d’un poème ? »

 

Tu faisais régulièrement des voyages, principalement aux portes de déserts, aux racines de la civilisation, car tu savais intérieurement que ce n’était que là-bas que tu trouverais la pierre angulaire de tes recherches qui te permettrait de tisser les liens entre les différentes cultures qui te constituaient. Ce goût du voyage provenait de ton enfance nomade.

 

Ton père avait été ambassadeur, t’obligeant à passer la plus grande partie de ta vie à l’étranger, entre Dakar et Lomé, Abidjan ou Bamako. Durant toutes ces années, tu avais fréquenté des écoles françaises, qui avaient contribué à te transmettre l’amour de la langue de Molière, mais tu avais vite élargi le champ de tes recherches, probablement à cause de du déracinement, t’immergeant dans les diverses cultures et coutumes locales. Celles-ci coulaient et couleraient, à jamais, dans tes veines, te construisant pour devenir l’homme que tu es. Grâce à la profession de ton père et aux nombreux cocktails organisés à l’ambassade, tu avais rencontré des intellectuels de tous genres, dont certains t’avaient gentiment ouvert les portes de leur univers. Même si tu te sentais européen, c’est le sang de l’Afrique qui coulait dans tes veines et qui pulsait dans tes tempes.

Peu à peu, nos liens devinrent indéfectibles et nous nous rencontrions régulièrement dans ton petit appartement, car je vivais encore, à l’époque, chez mes parents. Ton univers ressemblait à une cellule monacale. Un matelas à même le sol, des affaires personnelles dans des meubles en bois brut et un nombre incalculable de statues et de masques africains qui, comme tu me l’expliquas plus tard, provenaient en grande partie du Mali, mais également du Cameroun, de Côte d’Ivoire ou du Gabon. Des bustes de femmes aux têtes disproportionnées, des statues aux bouches carnivores et aux sourcils inquiétants, et au centre de cette foule étrange, un masque qui semblait représenter un animal, avec une trompe et des cornes, que tu désignas comme ta préférée. Un masque Kònò.

 

Je n’avais pas imaginé me retrouver face à ce cortège d’humains, d’animaux ou de créatures indéfinissables, qui, bien qu’immobiles, semblaient danser autour de moi pour me mettre à nu et percer mon âme. Mon regard balayait de gauche à droite, de droite à gauche, puis s’arrêta sur un socle sur lequel était disposé une statue représentant un singe, entravé par une chaîne autour du cou, la bouche ouverte, dont le cri muet me terrifia. Cette collection impressionnante, digne d’un musée, ne représentait qu’une infime partie, les autres étant stockées dans les diverses maisons de tes parents.

Tu étais revenu en Suisse pour retrouver ce pays qui te tenait particulièrement à cœur. C’était ici, à Genève, que tu étais né, et cette ville te reliait, par un cordon ombilical invisible, à tes parents, ta famille. Tu n’y avais pas vécu longtemps, mais, pendant ta jeunesse, vous passiez fréquemment quelques semaines de vacances en famille, ton père faisant des allers-retours jusqu’à Berne.

 

Suite au décès de tes parents, à quelques mois d’intervalles, peut-être parce que le lien invisible qui t’unissait à cette ville s’était brisé, tu décidas de t’installer à Londres, avec une identité que tu te construisis. Tu avais déjà vécu de multiples vies, laissant derrière toi, à chaque changement d’affectation de ton père, des amis et des souvenirs, des parcelles de ta propre identité. Parfaitement bilingue, Londres t’attirait, probablement parce qu’elle était un pôle artistique novateur. Je crois que tu as été profondément marqué par leurs disparitions subites, qui signifiaient pour toi l’acceptation de l’âge adulte, sans ces rapports intimes qui vous réunissaient, tous trois. Partir te permettait de faire ta mue, de te reconstruire, ailleurs, t’aidant dans cette démarche solitaire.

 

Tu me demandas de t’aider à vider la maison de tes parents, un lieu hors norme, avec une magnifique vue sur le lac. Tu ne gardas que peu de souvenirs, mais emportas l’ensemble des œuvres d’art, principalement africain, qui, comme tu le disais, composaient ton patrimoine, ton ADN. Je me souviens encore précisément de cette maison, de pièces de réceptions immenses,

meublées dans une juxtaposition de style, témoins de vos différents voyages, qui créaient une atmosphère particulière et intemporelle. Certains de ces meubles ornent encore mon appartement aujourd’hui, car tu tenais absolument à ce que je me « serve » alors que j’emménageais dans mon premier appartement, me trouvant dans une situation financière délicate, ne travaillant que quelques heures par semaines dans une galerie d’art alors que je terminais ma thèse. Les meubles, pour toi, ne se transmettaient pas de génération en génération, mais par liens d’amitié. Tu en envoyas d’ailleurs à travers le monde, par containers, à ta nourrice, un professeur de français ou un griot qui étaient depuis devenus des amis.

 

Tu t’étais inventé un pseudonyme qui reprenait en réalité le nom de jeune fille de ta mère, que tu prononçais avec une intonation anglo-saxonne. Tu plongeas, tête baissée, dans cette nouvelle ville, t’immergeant dans le milieu artistique et underground. Tes rencontres avec des artistes de toutes disciplines créèrent une émulation et te permirent d’exposer, rapidement, dans de petites galeries peu connues du sud de la capitale. Mais ton nom commença à circuler. J’assistais à chacune de tes expositions et tu me logeais dans la modeste maison que tu avais achetée avec une partie de l’héritage de tes parents, qui te servait à la fois d’atelier et d’habitation. Le lieu était vétuste, la peinture des murs s’effritait, laissant apparaître, ici et là, l’ocre des briques. Tu avais peu de besoin et vivais toujours dans un univers minimal, sans superflu. Nous nous retrouvions avec plaisir et tu me faisais découvrir le monde dans lequel tu gravitais et que je décrirais, quelques années plus tard, dans un ouvrage.

Environ deux ans après ton installation, tu m’adressas un carton d’invitation pour une exposition collective dans une galerie réputée qui appartenait à un riche publiciste, dans un quartier cossu de la capitale. Ton travail avait intéressé ce célèbre collectionneur qui t’avait découvert lors d’une de tes expositions confidentielles et qui possédait déjà quelques-unes de tes toiles. Ton avenir semblait tout tracé, car faire partie des happy few qui étaient exposés dans ce lieu magique était un signe de reconnaissance. J’avais enfin obtenu mon diplôme et avais été immédiatement engagé par un riche amateur d’art qui désirait ouvrir une galerie au cœur de la Vieille-Ville. J’écrivais régulièrement des articles et parcourais le monde, entre Paris, Londres, New-York ou Berlin, à la recherche de jeunes talents susceptibles d’être exposés dans ce nouveau lieu qui devint rapidement incontournable, une référence en art abstrait.

 

Lors de la soirée du vernissage, après un vibrant discours du maître des lieux, et même si tu étais très demandé, comme tous les autres artistes, tu t’éclipsas quelques instants de ces mondanités pour me rejoindre. Malgré ton caractère empreint de timidité, tu excellais dans ce genre d’exercices, trouvant toujours un mot percutant, une phrase qui faisait mouche, tout en charmant ton auditoire, l’ensorcelant. Je te pris dans mes bras et tout en te serrant contre moi, je glissais à ton oreille tout le bien que je pensais de cette exposition, plus particulièrement de ton travail et des portes qui s’ouvraient devant toi, face à ce parterre de personnalités influentes et richissimes qui pouvaient, sur un coup de tête, s’offrir pratiquement n’importe quelle œuvre et

ainsi influer sur la cote des artistes. Ton corps eu un mouvement de recul et, en me regardant intensément, tu lâchas « je crois que je me suis fourvoyé ». Tu dus lire sur mon visage la surprise et l’incompréhension, car tu surenchéris d’une voix calme mais ferme que tu devais repartir à zéro pour retrouver un souffle nouveau qui, selon toi, ne te guidait plus ni ne t’animait. « Ces toiles sont peut-être belles, mais elles sont vides ».

 

Durant les mois qui suivirent, personne ne remarqua ton absence. Ton galeriste avait assez de toiles en stock pour maintenir ta cote qui ne cessait de grimper pour atteindre des sommets astronomiques. Toi, tu t’enfermas chez toi, dans ta maison-atelier, ne donnant plus signe de vie, ne répondant plus aux nombreuses sollicitations. Tu passais tes journées plongé dans tes recherches, dans cette maison qui était devenue un ventre, te protégeant durant ta gestation. À plusieurs reprises, lorsque j’étais de passage dans la capitale pour des raisons professionnelles, je frappai à ta porte qui restait irrémédiablement close, laissant des messages téléphoniques ou des courriers qui restaient sourds, tentant de m’enquérir de ta santé, priant pour que tes silences ne soient pas synonymes de plongée en apnée.

 

Après plusieurs tentatives infructueuses qui s’échelonnèrent sur des semaines, tu répondis enfin et m’accueillis sur le seuil de ta maison. Ton visage était marqué par des cernes qui faisaient ressortir ton regard perçant, mais tu semblais en pleine forme. « J’ai vu par une des fenêtres de mon atelier que c’était toi alors je t’ai ouvert » me dis-tu d’une voix enjouée. Tu saisis une veste

d’un geste énergique, claquas la porte derrière toi, tout en m’invitant à boire une bière dans un pub voisin. Durant les quelques minutes que nous passèrent ensemble, tu m’expliquas que tu progressais et que tu pensais avoir trouvé ta voie. Que tu t’intéressais de plus en plus à la sculpture sur bois, tentant de t’approcher de l’art africain que tu aimais tant. Tu avais d’ailleurs réalisé des voyages, dans les pays dans lesquels tu avais vécu, pour retrouver certains amis de tes parents qui t’avaient enseigné leurs techniques, te livrant leurs connaissances. « Je crois enfin que je parviens à relier toutes les cultures qui me composent et me constituent. Je ne peux t’en dire plus, ni te montrer mes nouvelles œuvres, mais je crois que tu seras bientôt fier de moi ». Il termina sa bière d’un trait puis se leva en m’annonçant qu’il devait retourner travailler. Au moment de nous quitter, sur le trottoir, je le retins par la manche : « Tu vas bien ? Tu en es certain ? » « Je ne me suis jamais senti aussi bien » me lanças-tu avant de me glisser entre les doigts.

 

Pour contrer l’air frais qui assaillait mon cou, je remontai le col de mon veston et pris une large inspiration. La nuit s’était déposée dans le parc, obscurcissant mes pensées.

 

Durant de longs mois, nous ne nous sommes plus vus, mais tu m’adressais régulièrement des messages pour me donner de tes nouvelles, sachant certainement que je m’inquiétais. Tu passais énormément de temps au Mali, auprès d’un sculpteur qui, selon toi, t’avait fait renaître. Lors de l’un de nos échanges téléphoniques, tu me proposas de te rejoindre à Londres, pour me montrer

ton travail. « Je suis prêt à exposer, mais j’aimerais avoir ton avis ». Le week-end suivant, nous nous retrouvions, chez toi, heureux de nous revoir.

 

La découverte de ton atelier fut un choc. Tu n’avais conservé que deux grandes toiles anciennes, qui propageaient des nuées de lumières dans l’espace. Partout, à même le sol, sur des tables, de vieilles chaises et contre les murs, des centaines de sculptures de visages ou de parties de visages, mi-homme mi-animal, me regardaient. De toute ta collection d’art, tu n’avais gardé que le masque Kònò, qui tranchait avec ton travail, entre tradition et modernité, créant une filiation évidente. Je me trouvais face à de véritables créations, parfois en bois ou rehaussées de différents matériaux, métal, plumes ou végétaux, peintes ou non, qui ne ressemblaient à rien de ce que je connaissais déjà. Des figures d’oiseaux ou d’antilopes, de singes ou de tortues, sorties d’un univers onirique.

 

J’étais subjugué, sans voix, face à ces créatures imaginaires qui me fixaient avec une intensité inconnue, me renvoyant ma propre image. Toi, tu restais silencieux, à mes côtés, immobile, attendant probablement que je te livre mes impressions, alors que je restais aphone. Comme seul commentaire, je murmurai, dans une litanie, répétant ces mots indéfiniment « c’est magique… c’est magique ». Puis nous tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

Ton galeriste fut lui aussi conquis par ton travail et planifia une exposition pour la rentrée, heureux d’avoir l’exclusivité et de pouvoir faire découvrir tes nouveaux travaux qui trouveraient assurément l’approbation du public. Trois semaines avant le grand jour, tu me téléphonas longuement pour me décrire la galerie, les différentes salles qui la composaient et la manière dont tu désirais mettre en valeurs tes œuvres, ces créatures. Tu étais espiègle, heureux des quelques retours que tu avais déjà eu et visiblement ravi de surprendre les collectionneurs qui te suivaient, depuis des années, avec intérêt. Toi qui étais si pudique, tu me parlas longuement, intimement, comme tu ne l’avais jamais fait. Je me souviens avoir pensé que tu avais peut-être trop bu et que les vapeurs d’alcool te désinhibaient, te poussant à des confidences inhabituelles que je recevais avec plaisir.

 

Ce n’est que quelques jours plus tard, en entendant la voix grave d’un inspecteur de Scotland Yard, que je saisis que je n’avais pas évalué notre dernier échange à sa juste valeur. Tu avais disparu et la police validait la piste du suicide. « Il n’est pas rare que la Tamise rejette des corps des années plus tard » me dit-il avec une étrange douceur. Tu avais délibérément brûlé toutes les toiles et sculptures qui restaient dans ton atelier, tous tes livres et notes ainsi que tes effets personnels, ne laissant aucune trace de ton passage, si ce n’est une lettre, en évidence, qui m’attribuait le rôle d’exécuteur testamentaire, me donnant le droit moral de tes œuvres. J’appris plus tard, lorsque je me rendis à Londres, que je devais offrir toute ta collection d’art africain à différentes personnes ou musées à travers le monde.

Ta disparition avait suscité émoi et incompréhension dans le monde de l’art, comme le prouvèrent les nombreux articles de journaux qui louaient ton regard visionnaire. Ton exposition déchaîna des critiques dithyrambiques. On ne te connaissait aucune conquête ni problème personnel qui aurait pu expliquer ton geste et, à ce jour, ton corps n’a toujours pas été retrouvé.

 

Je me levai, saisis le catalogue de l’exposition et quittai lentement le parc. Des nuées lumineuses, annonciatrice du jour, envahissaient déjà le ciel. Dans quelques heures, je prendrai un vol pour Genève et je me rendrai immédiatement au musée d’ethnographie pour contempler le masque Kònò que j’aimais tant et que je leur avais transmis, selon ton souhait. Dans cette représentation d’un éléphant et d’un oiseau, je retrouverai celui qui fut un ami sincère, un frère. Et, dans un sourire, je me plus à imaginer que je pourrais peut-être revoir ton visage et entendre ta voix.

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