Créé le: 30.07.2018
2182 1 1
Le voyage de Diego

Animal, VoyageAnimal! 2018

a a a

© 2018-2024 David Ruiz Martin

Entouré d’une famille équilibrée, le quotidien de Diego lui convient à merveille. De plus, c’est les vacances. Les préparatifs se font dans la joie et l’excitation. Mais bien vite, le vent tourne, et c’est avec méfiance qu’il appréhende le voyage, car quelque chose, dans l’air, n’a plus cette odeur d’insouciance… 
Reprendre la lecture

Diego aime le chocolat noir et les saucisses, les fontaines, la mer et la pluie. Il ignore pourquoi, mais l’eau le fascine depuis toujours.

Ce matin, en traversant le salon, le petit Diego comprend que tout le monde dort encore. Même le chat semble ne pas vouloir ouvrir le premier œil.

Diego adore se lever aux aurores, avant le reste de la famille, déambuler dans la maison, saisir le silence, épier l’immobilité des objets, des meubles et des plantes, ressentir le calme régnant, remplir l’espace à lui seul, se perdre à la contemplation de Bonnie et de Clyde, le couple d’Inséparables, ces perroquets d’Afrique gazouillant dans leur cage haut perchée, hors de portée, et à leur simple vue, se sentir libre et grand. Se languir, aussi, de l’instant où le son du réveille-matin précède des toussotements étouffés à l’étage, puis celui des pas descendant l’escalier pour rejoindre la cuisine.

Diego aime être celui qu’ils aperçoivent en premier et qu’ils dorlotent.

Sylvain, le père de famille, apparaît souvent avant les autres.

« Diego ? Déjà là ? » il lui demande alors.

Sylvain l’embrasse, le chatouille, et c’est bientôt au tour de Gabrielle d’intégrer avec énergie ce début de journée. Dès le matin, Gabrielle est joyeuse, solaire, et pour Diego, c’est un plaisir que de l’apercevoir. Elle s’approche et embrasse tendrement Sylvain, mais cette image, en bon jaloux, ne plaît que rarement à Diego. Heureusement, Clyde parvient souvent à détourner son attention. Clyde est petit, trapu, d’aspect déguenillé, maladroit et très amusant à observer, tandis que Bonnie, à la silhouette fine et au plumage resplendissant, se montre calme et douce avec son partenaire. Pour Diego, il est parfois difficile d’admettre qu’ils sont issus de la même race.

Il se demande aussi comment cet oiseau peut-il à ce point s’empiffrer des graines qu’on lui apporte. Les trie-t-il ? Ne gobe-t-il que les plus goûtues, délaissant les fades et les sèches au profit de sa compagne ? Diego l’ignore, mais dans sa tête, il imagine le volatile grossir à vue d’œil et éclater dans un splendide nuage de plumes. Cette image lui provoque des soubresauts hilares, et c’est interloquée que Gabrielle échange un dernier regard complice avec Sylvain, avant de se souhaiter une belle journée.

Pendant que Gabrielle dresse le petit-déjeuner, Diego se laisse distraire par ces étranges aventures télévisées où il est question d’un chat se jouant sans cesse d’un cabot idiot et ventru. Ces dessins animés ont quelque chose d’étrange. Diego ne saisit pas toujours tout, mais la superposition de ces images lui procure un bien-être fou, car il sait que Sacha va rapidement le rejoindre.

Sacha a huit ans, n’est pas vraiment son frère, pourtant, dans son cœur, cette place lui est dédiée. De plus, ils ont presque le même âge.

 

Un petit ours en peluche dans une main, Sacha descend lentement les marches du premier étage, accoutré de son pyjama fétiche à l’effigie de Star Wars, et se traîne, les paupières encore collées, jusqu’au sofa où il se pelotonne près de Diego.

Sacha est toujours le dernier levé. Il se lèverait après le reste du monde si la terre pouvait cesser de tourner ne serait-ce que le temps d’une journée, et Sylvain est souvent déjà loin quand, enfin, l’enfant se décide à montrer sa bouille.

Ensemble, Diego et Sacha se prélassent sur le sofa. Chacun à sa manière, chacun dans une position incongrue, avec dans l’esprit ce chat futé et ce chien idiot, qui se bataillent le même territoire depuis nombre d’épisodes rocambolesques au travers de ce dessin animé bien connu de la Warner, si bien que Gabrielle finit toujours par sermonner le second.

Car l’heure du départ pour l’école approche…

… et Sacha est à nouveau en retard.

De son côté, Diego observe cette dispute quotidienne d’un œil amusé. Car lui, est paré au départ. Diego est toujours prêt. Car Diego n’aime pas les imprévus.

Diego aime l’organisation, la discipline et une certaine cohérence dans l’agencement des journées. Du matin au soir, chaque événement est préparé avec minutie, si bien que même l’imprévu est anticipé avec brio. Ces schémas identiques et maîtrisés l’apaisent et musellent une éventuelle excitation qui serait, pour tout le monde, malvenue et perçue comme une défaite.

Vous l’aurez compris, Diego tient les imprévus en horreur. Et cette routine le rassure sur son quotidien et sur sa vie.

Sous les réprimandes de Gabrielle, Sacha se décide enfin à lever un sourcil, la tête, une jambe et enfin la seconde. C’est exténué par une nuit sans sommeil que l’enfant se traîne jusqu’à la salle de bains, où ses habits l’attendent – déposés là par une Gabrielle prévoyante – ainsi que tout un tas d’obligations, ces corvées immondes imposées à tout enfant, dont la pire de toutes : le brossage de dents.

Diego observe Sacha d’un œil intéressé, tandis que, dans son champ de vision, apparaît soudain Prince, qui déambule fièrement.

Prince est le chat de la famille et aussi, le nom que Sacha lui a trouvé. Car depuis sa naissance, Prince se comporte comme tel. Diego ne l’apprécie pas beaucoup. Il le trouve hautain, suffisant et mal élevé. De plus, Prince fait constamment mine de n’avoir besoin de personne dans cette famille, alors qu’au contraire, il leur doit tant.

 

Se pavanant sans cesse, Prince parade sous les yeux de Diego tout en le snobant délibérément. Le chat lance un regard torve en direction de l’aquarium, où tout un tas de poissons semblent ignorer la présence du félin.

Némo, le poisson clown (Sacha l’a nommé ainsi après avoir dévoré des dizaines de fois l’animé du même nom), n’est pas très bavard et ne partage pour ainsi dire rien avec Diego. Ce dernier lui trouve pourtant de l’intérêt, de par ses couleurs, d’abord, puis par son air ébahi lorsqu’il flâne dans ce rectangle de verre sale et épais. Némo vaque entre cette épave engloutie et ces grottes de lave, tandis que Diego le contemple d’un œil amusé lorsque les yeux globuleux du poisson se posent sur ces racines de mangrove, cette caverne noix de coco ou encore ce monstre racine avec, à chaque passage, le même sentiment de découverte, comme si de nouveaux endroits à explorer lui apparaissaient soudain.

Diego préfère Némo aux autres bêtes finalement, davantage que Prince dans tous les cas, et c’est d’un œil distant qu’il contemple le chat sortir par le balcon, rejoindre le jardin, puis disparaître de sa vue. Diego sait précisément où va Prince, mais surtout, il sait où Prince ne va pas. Ses explorations s’achèvent un pâté de maison plus loin. Il ne s’aventure jamais au-delà, et réapparaît fièrement comme s’il venait de découvrir un nouveau continent. Cette façade de chat hardi et aventureux déplaît à Diego, car il sait que derrière son allure assurée se cache en réalité le plus grand des froussards, un poltron de première catégorie, capable de fuir à toutes pattes au moindre danger. Pour Diego, Prince est un chat de salon déguisé en explorateur mais qui n’a rien d’intrépide.

Plongé dans le noir, Diego est convaincu qu’il serait lui-même bien plus apte à retrouver son chemin et ce, sans une once de panique.

Sacha s’en va déjà pour l’école tandis que Diego bondit du sofa tout en se grignotant l’esprit avec cette question qui ne le lâche pas d’une semelle : lequel de l’oiseau, du chat ou du poisson, s’en sortirait le mieux si on les délogeait tous les trois de leur cage dorée ?

 

La nuit est sombre et froide. Les bruits de la maison éclatent aux jeunes oreilles de Diego. Une rumeur, puis des sons plus nets, plus affirmés. Ses pas se font discrets lorsqu’il approche des marches de l’escalier. Des voix provenant du rez-de-chaussée l’ont réveillé. Plutôt des cris, des plaintes étouffées, une empoignade verbale comme Diego n’en a que rarement entendu. Il ne reconnaît que difficilement ces intonations et, sous l’effet du sommeil et de la peur, se met à trembler. Il ne comprend que vaguement le sens de cette dispute entre Gabrielle et Sylvain, mais devine que quelque chose de grave est arrivé, ou est sur le point de l’être.

Diego n’a pas le temps de se cacher lorsque les pas lourds et déterminés de Sylvain approchent soudain de son point d’observation.

« Diego ? Qu’est-ce que tu fais là ? Retourne dormir ! » il lui lance alors d’une voix ferme.

Mais dans ses yeux, Diego y lit, aussi, de la peine. Une souffrance étrange que Sylvain, en bon père de famille, ne parvient pas à masquer.

 

Les vacances approchent à grands pas. Les préparations vont bon train. Tout le monde est surexcité. Diego le premier.

 

Il s’imagine déjà la mer, ces eaux immenses et cristallines, ces larges plages du sud et ces criques secrètes, nichées dans la nature, au détour d’un chemin jalonné de traces de sable et de bosquets asséchés, que peu de visiteurs connaissent. Dans ces endroits reculés et à l’abri de toute vie, Diego se laisse aller à ses folies, à sa joie, à ses courses endiablées aux côtés de Sacha, sans que l’on ne les rabroue, que l’on ne les réprimande, de sorte qu’ils se croient tous deux seuls au monde.

Un monde fait de jeux et de plaisirs.

 

À la veille du départ, Diego s’amuse à observer Gabrielle décrocher son téléphone chaque fois que Clyde imite la sonnerie. Clyde a cet atout-là : il imite certains sons à la perfection comme le bip du micro-ondes, et en abuse, au grand dam de la jeune femme. Le couple d’Inséparables babille à l’unisson, apporte joie et gaieté, mais détruit le silence auquel Diego parfois aspire.

Sacha n’est pas en reste. Il court et gesticule en tous sens, et ne peut se contenter de simplement parler. Ses commentaires sont constamment accompagnés de gestes amples de ses bras, lui expliquant les jeux et autres aventures qu’ils vivront, une fois là-bas. Sacha se comporte comme si Diego était sot. Comme s’il ne comprenait rien à ce qu’il lui racontait. Mais Diego l’observe s’exciter et s’essouffler sans le juger, car il le sait heureux.

 

Les dernières affaires savamment calées dans le coffre de la voiture, c’est exténué et légèrement tendu que Sylvain fait grimper à l’arrière Diego et Sacha, claque la porte et s’installe au volant, avant d’enclencher le contact.

 

En cette heure de l’après-midi, la route est bondée, le temps long et le climat électrique. Assis sagement à l’arrière, Diego et Sacha se montrent calmes et dociles. Sur le siège passager, Gabrielle demeure taciturne et ce, depuis leur départ. La route à emprunter, sinueuse et envahie par des centaines de poids lourds, l’effraie-t-elle tant que ça ?

Diego l’ignore, mais ce qu’il sait par contre, est que quelque chose, dans l’air, vient de changer.

C’est comme une impression.

Étrange et cruelle à la fois.

Diego observe naïvement Sacha, qui à son tour examine Sylvain. Le père échange un regard avec Gabrielle, mais celle-ci baisse les yeux, vaincue, comme si la dispute de l’autre nuit l’avait mise au tapis pour des semaines entières.

À l’arrière, Diego et Sacha se contemplent longuement en silence.

Comme s’ils avaient tous les deux compris. Comme si, en fin de compte, tout était clair depuis le début, depuis cette idée de départ, ces vacances absurdes, imposées par l’autorité du père.

Sacha se met soudain à sangloter, tandis que Diego se mure dans le silence, des images sombres plein la tête. Il scrute le visage accablé de l’enfant avec une tendresse rare. Diego tient tellement à Sacha. Il ne sait ce qu’il ferait sans lui, ni comment il poursuivrait sa vie sans cette présence apaisante à ses côtés.

C’est son frère de cœur après tout, son meilleur ami. Ils ont le même âge et se comprennent tant.

Tout le monde devrait avoir un Sacha dans sa vie.

 

Mais le moment des adieux approche. Diego le sait. Diego le sent. Aussi déchirante soit-elle, l’issue est inévitable.

Au déclin du jour, dans les ombres naissantes, Sylvain extirpe enfin le véhicule de cette autoroute où le vrombissement des bolides de métal afflige Diego de maux de crâne. Le père stoppe le véhicule sur une aire de repos, prépare le campement et demande à tous de dormir un peu.

« L’endroit est sûr et la nuit fraîche, autant en profiter, » dit-il. Une proposition déguisée, certes, mais qui a le mérite de fonctionner sur Gabrielle, un peu moins sur Sacha.

Diego, lui, demeure éveillé un temps qu’il qualifie d’interminable.

Mais dans l’incertitude de la nuit, finalement, ses yeux se ferment et son esprit s’en va gambader très loin en direction de la mer, de ces eaux limpides, de sa fraîcheur au petit matin, de sa joie lorsque, accompagné de Sacha, son éternel compagnon de jeu, ils filent droit sur la plage et bondissent dans l’eau.

Diego ignore pourquoi, mais l’eau le fascine depuis toujours.

 

Dans l’habitacle, tout le monde dort. Mais Diego ouvre déjà un œil. Diego aime se réveiller aux aurores. Il a toujours affectionné ça…

… mais vous le savez déjà.

Ce matin pourtant, quelqu’un l’a précédé. Sylvain a les yeux ouverts, se triture les mains et l’observe dans le rétroviseur central. Ses yeux trahissent le doute, la honte et la peur, Diego en est persuadé.

 

Et du fond du cœur, il l’espère.

 

Sylvain glisse un mot à Gabrielle, qui ne bronche pas, n’ouvre pas même un œil.

La tête appuyée sur les genoux de Sacha, Diego contemple ce jeune visage et découvre que lui aussi ne dort plus. Leurs regards se percutent. Des larmes silencieuses roulent le long de sa frimousse d’enfant, mais Diego ne comprend pas.

Enfin, si, il comprend, mais l’admettre si vite est quelque chose qu’il n’arrive pas.

Sacha peine à se contenir et c’est bientôt un torrent incessant de larmes, suivi de vaines implorations, qui meurent dans la nuit, lorsque Sylvain sort du véhicule, ouvre la portière côté Diego, et ordonne aux autres de l’attendre ici.

 

L’air est frais. L’aube silencieuse.

Trottinant derrière Sylvain, Diego se refuse à y croire.

Comment le pourrait-il ?

Sylvain le tire sans jeter un œil en arrière, évitant ainsi ce regard truffé de questions, de doutes, et cette crainte qui s’agrippe dans les yeux de Diego. Sylvain le conduit plus loin, derrière des fourrés et à l’abri des curieux, de toute vue, de toute honte, sans le regarder, afin d’éviter de se confronter à sa réalité, sa folie, son geste abject.

Diego se retrouve tiré par une force qui le maintient au cou et le contraint à suivre ces talons qui frappent le sol à chaque pas. Sylvain se stoppe bientôt près d’un arbre, à la lisière d’un bosquet donnant sur un terrain vague et, à quelques centaines de mètres plus au nord, une route de campagne abandonnée et loin de tout.

Dans sa jeune tête, Diego réalise.

 

Et dans l’horreur, son corps le trahit et de l’urine coule bientôt le long de ses jambes.

Diego n’est pas encore tout à fait propre et il le sait, mais ce petit détail est-il perçu comme tragique au point de se voir abandonné au milieu de nulle part ?

« Je suis navré… Diego… » lui glisse Sylvain avec froideur, tout en enroulant une corde autour d’un poteau électrique.

Diego ne sait quoi penser. De son regard rond, il scrute Sylvain dans l’espoir que ce ne soit qu’une blague, une horrible farce mise sur le compte de la fatigue et du stress.

Mais dans ces gestes, Diego comprend que l’autorité ne plaisante pas.

Et Prince alors ? Bonnie, Clyde et même Némo ? Seraient-ils donc moins encombrants ? Plus dociles ? Mieux éduqués ?

Pourquoi Sacha et pas lui ? Diego pensait pourtant être entouré du même amour…

De plus, ils ont presque le même âge… enfin, après un calcul absurde établi par les hommes. Ce calendrier étrange qui ne veut finalement rien dire. En réalité, Diego n’a pas encore deux ans. Il ne connaît rien de la vie et des drames qui se jouent parfois dans l’ombre.

Sylvain serre le nœud, si bien que Diego se retrouve ligoté à l’arbre avec moins d’un mètre de mou. L’esprit chahuté, Diego implore Sylvain du regard, mais ce dernier se lève et lui tourne le dos, si bien que Diego comprend qu’il est sur le point de s’éclipser.

Diego a une pensée pour Sacha. Pour la douleur immense que l’enfant aura en l’apprenant. Comment un père peut-il à ce point faire fi de la peine de son fils ? Quel monstre se cache donc derrière cette enveloppe charnelle ?

 

Alors, en quoi consistent la naissance, l’apprentissage de la vie, l’adaptation au quotidien, les repas, les sorties, la sociabilité à d’autres personnes, l’obéissance et le respect, si tout doit se terminer autour d’un malheureux poteau ?

Aussi, pourquoi l’affubler d’un nom pareil, si à leurs yeux, il ne sera jamais rien d’autre qu’une simple bête ? Qu’a-t-il fait au juste ? Il n’a jamais mordu personne ! N’a jamais tenté de fuir comme ces sales cabots surexcités et odieux avec leur maître !

Dans un dernier sursaut, Diego remue frénétiquement la queue. Comme un présent à cet étrange jeu. Car il sait que son maître aime ça. Que lorsque Diego se rabaisse, qu’il lui offre son ventre doux, le père se montre satisfait et son ego de dresseur émérite est comblé.

Mais aujourd’hui, Diego ne prend pas la mesure de l’acte. Il ignore qu’aucune larme n’apparaîtra dans les yeux de son maître. Ni aucun remords. Seule la certitude d’un abandon injuste et cruel.

 

Les heures passent.

Puis vient la nuit, froide et vorace.

 

À l’aube, la faim le réveil. La soif aussi. Diego tente d’aboyer, mais ses glapissements se perdent dans le brouhaha de la route, à quelques pas seulement, juste derrière ces maudits fourrés, où il s’imagine encore voir apparaître Sacha, son ami, son frère.

Le cœur serré, Diego se recouche, pattes en avant, tête relâchée et oreilles recourbées, jusqu’à ce que ses songes le ramènent à la mer, à ces eaux éclatantes, à ce sable fin qui s’accroche entre ses pattes et qui roule le long de ses poils, sous la force du vent qui se lève et de sa course effrénée.

 

Dans plusieurs jours, on le trouvera, en piteux état, crasseux, assoiffé et peut-être malade, effrayé et agressif, l’œil hagard et les babines retroussées, et on le ramassera, comme un vulgaire sac, un sac de viande avec un cœur en miettes.

Viendra alors le chenil, les cages d’aciers, plus étroites encore que celle de Bonnie et de Clyde, les autres chiens, les bagarres, les morsures et les coups, les blessures physiques et morales, la peur et l’incompréhension d’un monde qu’il ne reconnaît plus, les nouvelles règles, la solitude et le froid.

Puis ces choix terribles, causés par le silence des familles, par le manque de place, durant ces périodes de vacances assassines, ces employés dépassés par l’afflux de bêtes, vaincus devant l’ampleur et horrifiés par la tâche à venir.

Les premiers seront pris, et Diego pensera que les familles les ont récupérés. Alors, en bon compagnon de vie, il remuera la queue et sera prêt à leur faire la fête. Car Diego n’est pas rancunier mais loyal, et comme à chaque départ, Diego leur aura tout pardonné. Car ils étaient les seules personnes importantes dans sa courte vie.

 

Bientôt, on le sortira de cage… mais personne ne viendra le trouver.

 

On le couchera sur une table de métal froid, bien loin de ces pierres chauffées par le soleil du sud et sur lesquelles Diego se prélassait souvent. On le caressera une dernière fois, pour faire taire ses gémissements apeurés, pour lui offrir un dernier moment de tendresse, et Diego se relâchera. Il sentira une légère douleur au flanc, mais les mains chaudes posées sur sa tête et son épaule le maintiendront calme et rassuré, pour un départ dans le plus grand respect possible.

La fatigue le gagnera, ses membres se relâcheront et ses yeux se fermeront. Son ultime voyage sous des mains inconnues, bien loin de Sacha, son frère de cœur, ne l’effrayera plus.

Mais tout ça, Diego l’ignore.

Il dort encore d’un profond sommeil, trottine sur sa plage imaginaire, le souffle du vent caressant ses poils…

… et les babines pleines de chocolat.

Diego aime le chocolat noir et les saucisses, les fontaines, la mer et la pluie. Il ignore pourquoi, mais l’eau le fascine depuis toujours.

 

FIN…

Commentaires (1)

Webstory
27.06.2020

Pour le 27 juin 2020, Journée Mondiale contre l'abandon des animaux de compagnie, cette histoire nous touche particulièrement: Le voyage de Diego de © David Ruiz Martin. Elle a été publiée dans le cadre du concours d'écriture 2018, thème ANIMAL! Nous la dédions à tout ceux qui aiment leurs animaux de compagnies et à tout ceux qui ne devraient pas en prendre.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire