Créé le: 15.08.2024
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Le tunnel
Chapitre 1
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La nouvelle inédite : Le tunnel fait partie d’un recueil d'histoires qui ne fait pas encore l’objet d’une publication et qui s’intitulera : Nuit noire. Elle relate l’histoire de la survie d’un petit groupe de personnes après un événement catastrophique indéterminé. Bonne lecture.
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Lorsque Donovan émergea du néant, il fut soulagé. Il pensait ne pas survivre à l’accident de voiture dans le tunnel. Il ne distingua d’abord que des formes sombres faiblement définies par les lueurs fluorées des éclairages de secours. Son soulagement fut vite éclipsé par la panique, il était à l’étroit dans l’habitacle de son véhicule broyé : le siège passager était remplacé par un amalgame de métaux et de pièces répandues à ses côtés comme un vomi mécanique.
– Au secours ! Il y a quelqu’un ? Aidez-moi ! Hurlait il, mais l’écho de sa voix se perdit dans le lointain.
L’airbag avait fonctionné, hormis quelques contusions, il était indemne. Il détacha sa ceinture coincée dans le méli-mélo de ferraille, mais ne put ouvrir la portière pliée. Heureusement les vitres avaient éclatées, il s’extirpa de la carcasse de son S.U.V et se laissa glisser tête en avant le long de la portière où l’attendait un sol jonché de gravats, d’éclats de verre et d’acier.
Quel gâchis ! Songeait il, que va dire l’assurance ? Il réalisa la stupidité de sa remarque, après tout : Existait il encore un monde hors du tunnel ? Il se remémora les événements avant son évanouissement : Le message d’alerte qui interrompit la radio, son téléphone qui émit un signal d’urgence et les sirènes qui retentirent dans la ville. Le ciel qui changea de couleur et s’était couvert de nuages lourds et orangés. Le vent soufflant en de violentes bourrasques. Il se souvint que tout se figea : la circulation et les gens sidérés regardant le ciel et les alentours ou fixant leurs téléphones pour comprendre la situation.
Donovan ne tergiversa pas, il connaissait la ville : le tunnel qui reliait la partie Est et Ouest était un abri sûr, contrairement à un bâtiment, c’était un ouvrage long et profond qui passait sous le fleuve. Il redémarra pour contourner les voitures arrêtées, sur les trottoirs les gens paniquaient, certains traversaient sans regarder, il accéléra de crainte d’être coincé.
Au moment de l’accident dans le tunnel, il collait une autre voiture, tout s’éteignit et un séisme fit faire des embardées aux véhicules. Il n’eut pas le temps de freiner et il emboutit la voiture qui s’était brutalement arrêtée, le choc l’avait assommé jusqu’à ce qu’il se réveille.
Maintenant qu’il avait survécu, qu’allait il faire ? Il ignorait si d’autres pouvaient l’aider dans ce tunnel silencieux dont un halo blanchâtre au loin suggérait être la sortie alors que l’autre extrémité était dans les ténèbres.
Au moins il savait où aller ! Se rassurait-il. Il regarda dans l’habitacle broyé de la voiture emboutie, elle était encastrée dans un camion. Le conducteur avait la peau charbonneuse et lisse comme un mannequin d’exposition carbonisé. Il inspecta d’autres véhicules dont les cadavres revêtaient la même texture basaltique. Donovan était perplexe :Que leur était-il arrivé ? Et pourquoi avait-il été épargné ? Mais il n’eut pas le temps de réfléchir à ces questions :
– Ohé ! Il y a quelqu’un ? Au secours ! À l’aide ! Des voix en approche appelaient régulièrement. Il répondit en criant, heureux de ne pas être seul. L’éclairage l’empêchait de les distinguer, mais il reconnut trois hommes et deux femmes quand ils coururent à lui comme des chiens fous. Leurs visages tendus par l’angoisse, blêmes et crasseux faisaient peur à voir.
– Vous êtes blessé ? On ne pourra pas vous porter sinon ! Faut qu’on se barre d’ici !S’adressa à lui l’un des types, renfrogné et vulgaire et qui portait une combinaison de mécanicien maculé de graisse.
– Non rien de cassé. Répondit froidement Donovan.
– Vous avez une arme ? Quelque chose d’utile ? Lui demanda une femme brune habillée en tailleur à la voix aiguë et hystérique.
– Non pourquoi ? J’ai une gueule de flic ? Rétorqua-t-il agacé.
– Ce que vous êtes bêtes, ça se voit qu’il est aussi largué que nous ! S’emporta l’autre femme : une grosse blonde mal habillée et hargneuse.
– Perdons pas de temps, avançons si on veut pas finir comme les autres ! Intervint le deuxième homme, un grand sec à l’allure chevaline dont la moustache lui donnait des airs de Freddie Mercury au rabais.
– Qu’est-ce qui se passe ? Quels autres ? Et pourquoi tous les gens sont dans cet état ? Demanda Donovan intrigué par ce groupe qui semblait divaguer.
– Les autres survivants qui se sont fait attraper par « les créatures ». Et crois moi tu veux pas les voir ! On sait pas ce qui s’est passé, ni pourquoi tous ces gens ont l’air d’avoir été oublié dans un grille-pain, on est aussi paumé que toi mec ! Mais faut qu’on se bouge, ça se rapproche, la lumière arrive ! Conclut le dernier des types, un petit costaud, trapu et au crâne rasé.
Tous se tournèrent effrayés vers la direction indiquée où une lueur flamboyante apparaissait au loin comme un soleil levant. Ils virent également des ombres furtives se déplacer, elles poussaient des grognements stridents et inhumains.
– Elles arrivent ! Cassons-nous! Hurla le moustachu qui détala derrière l’amas de voitures accidentées. Le groupe le suivit. Incrédule, Donovan observa le halo avec sa cohorte hostile et rejoignit les autres.
– Pourquoi ne pas emprunter les sorties de secours pour se mettre à l’abri ? Demanda-t-il en arrivant à leur hauteur.
– Tu crois qu’on n’a pas essayé, le petit génie ? Rétorqua la grosse blonde, entre deux halètements, les issues sont bloquées. C’est comme ça qu’on a perdu du monde, en forçant ces foutues portes !
Elle était trempée de sueur et boitait, elle serait facilement sacrifiable s’ils étaient en difficulté. Se dit-il. Leur progression était ralentie par les gravats et les carcasses de véhicules, ils furent stoppés par un amoncellement de voitures et de semi-remorques qui formait un mur infranchissable. Une partie du plafond s’était effondrée par grappes de béton.
– Merde on est bloqué, faut escalader ! Râla le type au crâne rasé.
– Ou trouver un endroit pour passer ! Ajouta la brunette en tailleur.
Les créatures arrivaient, leurs râles suraigus faisaient froid dans le dos.
– Quoiqu’on fasse, faut le faire vite ! Les prévint Donovan.
– Par ici, c’est moins haut, on peut s’aider à grimper ! Proposa le garagiste crado en montrant la cabine d’un semi-remorque couché sur le flanc
– Allez faites moi passer !
– Et pourquoi vous ? S’indigna le groupe autour de lui, hormis Donovan qui observait la muraille de débris dans laquelle il discerna une brèche permettant de passer une personne à la fois. Il se tut, mieux valait avoir plusieurs options de fuite.
– Ben je l’ai repéré et on n’a pas le temps de tirer à la courte paille hein ? Si vous voyez ce que je veux dire ! Je vais même décider l’ordre de passage tiens! Ce sera mademoiselle tailleur en premier, qu’à pas l’air lourde, ensuite, ce sera toi le skinhead, t’es p’tit mais t’a l’air costaud, ensuite, ce sera ton tour le grand serin avec ta moustache de pédé !
– Je ne vous permets pas espèce de bouseux ! S’offensa ce dernier.
– Ok, c’est bon mon grand ! Le prends pas mal, moi et mon franc-parler ! Bref après on pourras vous faire monter aussi la grosse !
– Mais comment osez vous ! Pauvre merde ! Traiter les gens de la sorte ! C’est scandaleux ! S’offusqua la blonde au comble de sa hargne.
– Je suis comme je suis ma p’tite dame et vous aussi ! On n’y peut rien ! Bon le p’tit gringalet qui reste va vous aider d’en bas pendant que nous on vous tirera d’en haut, et on finira avec toi la gueule d’ange ! En s’adressant à Donovan qui opina.
Puis à tous : Ça vous va comme plan ? C’est le seul que vous aurez ! Conclut il avec un sourire contrefait. Tous acquiescèrent en silence, personne ne souhaitait s’éterniser pour savoir qui monterait en premier.
Aussitôt ils s’organisèrent et hissèrent rapidement le garagiste, puis le reste du groupe jusqu’à la grosse dame ; derrière eux le halo de lumière se précisait, éclairant la pénombre du tunnel, les monstruosités approchaient. La panique s’empara de tous et extirper la grosse dame s’avérait impossible.
– Allez tirez! Hurlait Donovan exténué tandis qu’il la soutenait par les jambes.
– On fait ce qu’on peut ! Ferme là et pousse ! Répondit excédé le garagiste qui tirait les bras de la malheureuse secondés du petit chauve et du grand moustachu. L’autre femme épiait l’arrivée des choses ; elle hurla soudain :
– Elles sont là ! Dépêchez vous ! Il faut partir ! Et aussitôt elle glissa de l’autre côté pour déguerpir. Donovan les aperçut se faufiler entre les carcasses, silencieuses, à l’affût ; noires et imprécises, semblables à des ptérodactyles géométriques aux contours acérés. Il lâcha prise, laissant les autres se débrouiller. Il courut vers la brèche, il entendit derrière un cri aigu accompagné d’un bruit de chute : le groupe avait abandonné la dame à son sort.
– Où est-ce que tu vas, espèce de petit salopard ? L’invectiva-t-elle aussitôt une fois à ses trousses alors qu’il se faufilait sans lui répondre parmi les blocs de béton.
Elle le retint par la veste ; les ongles de son autre main lacérèrent son épaule. Elle était terrorisée, la détresse de sa voix l’effraya, elle était dans un état de fureur qui la rendait inhumaine, elle aboyait :
– Laisse moi passer raclure ! Aide-moi ! Ne les laisse pas m’emmener ! Mais d’un coup, elle disparut, son hurlement fut abominable, les créatures avaient fondues sur elle comme une meute et se la chamaillaient comme un morceau de viande en la traînant violemment vers la lumière incandescente. Son corps s’entrechoquait contre chaque obstacle. Son cri s’affaiblit jusqu’à disparaître lorsqu’ils la plongèrent dedans.
Donovan s’enfuit à son tour, il avait les jambes lourdes avec la sensation désagréable de stagner, chaque foulée demandait un effort considérable, comme un coureur sur un tapis roulant. Au détour d’une voiture, il dépassa la femme en tailleur, abandonnée, qui souffrait par terre, son pied s’était fracturé dans un nid de poule. Elle supplia son aide, mais les créatures revenaient, Donovan l’ignora, pas question de mourir pour cette pétasse. Il accéléra, slalomant entre les véhicules défoncés et se rapprocha du groupe arrêté pour se reposer. Les hurlements déchirants de celle qu’ils avaient abandonné retentirent suivi d’un silence pesant.
– C’est quoi ces choses ? Demanda-t-il à l’assemblée.
– Des putains d’extraterrestres envahisseurs ! Voilà ce que c’est ! Comme dans ces foutus films ! Commenta l’homme au crâne rasé.
– Ou des armes expérimentales, comme ces chiens robots dont on parle aux informations, ils inventent des trucs de dingue, et c’est nous qui morflons ! Ajouta le moustachu.
– En tout cas on est presque arrivé, le jour se distingue de ce côté du tunnel ! Précisa Donovan en regardant au loin ; on peut y arriver ! Il faut se remettre en route, avant que…
Il fut interrompu par des gémissements d’enfant qui provenaient d’une voiture située non loin ; tous s’y dirigèrent. C’était une fillette recroquevillée contre la carrosserie d’une berline noire, elle était indemne, mais choquée.
– Allez petite ! Ne reste pas là ! Viens, il faut sortir ! La petite se balançait d’avant en arrière
plongée dans un mutisme féroce, Donovan l’effleura, mais elle se raidit et hurla.
– Laissons la ! On va se ralentir ! Tant pis pour elle ! Intervinrent les autres qui s’enfuirent instantanément. Des grognements hideux se rapprochaient.
– J’aurais essayé ! Marmonna-t-il en s’éloignant, il restait trois cents mètres à parcourir, mais l’effort était anormalement énorme comme une force qui l’empêcherait d’avancer, il constata le même effort chez les autres, cela s’amplifiait à l’approche de la sortie. Il entendit du bruit derrière lui, un frisson le parcourut. Était ce les créatures ? Il tourna la tête et vit la fillette.
C’est impossible ! Songeait-il, elle était près de la voiture il y a quelques minutes, elle ne peut pas m’avoir rattrapé ! Ce qu’il vit le stoppa net : elle ne courrait pas, mais marchait tête baissée, elle le dépassa et rattrapa le groupe qui courrait hors d’haleine. Le contraste était saisissant et irréel. Elle avançait légère comme sur un escalator alors qu’ils se démenaient comme empêtrés dans une boue épaisse. Elle arriva dans la lumière et se désintégra, son corps disparut, noyé dans la brume iridescente. Ils la virent flotter comme un fantôme, pure énergie étincelante qui ne pleurait plus, elle souriait et des variations de lumière l’entourèrent pour l’emmener loin des ténèbres. Donovan rejoignit le groupe stupéfait.
– C’est un piège, on est coincé, trouvons une autre sortie ou on va tous crever ! Hurla le moustachu qui recherchait aux alentours une échappatoire, une porte là-bas! Je tente ma chance ! Et il partit.
– Nous on doit essayer ! Cette môme on sait pas ce qu’elle a eu, mais c’est pas pire que ces créatures, j’veux pas qu’elles m’emmènent ! Lâcha le garagiste.
– Je te suis, le vieux ! J’ai pas envie de crever comme ça ! Renchérit le crâne rasé. Et toi gueule d’ange tu comptes faire quoi ?
– Je reste là ! Répondit il simplement, il voulait juger de la meilleure option. Les deux acquiescèrent et se dirigèrent vers la lumière, les cris du moustachu les firent sursauter, les monstruosités le déchiquetaient, et l’emmenaient dans ce qui s’avérait être un brasier. Elles en ressortirent aussitôt et se dirigèrent vers eux, menaçantes. Le garagiste et le crâne rasé s’élancèrent dans la lumière, Donovan espéra qu’ils réussissent pour s’enfuir également. Mais les malheureux furent rejetés et percutèrent le sol. Instantanément la nuée sombre les happa et leur arracha des hurlements de souffrance.
Donovan était seul, un éclair de compréhension le traversa, il comprit que tout était fini depuis longtemps, il ne pourrait pas être sauvé, car ils étaient déjà morts et quand on était damnés on ne pouvait espérer de salut. Et c’est résigné qu’il attendit l’arrivée des démons de l’enfer, il ne résista pas lorsqu’ils le balancèrent dans le brasier infernal et c’est dans un éclat de rire de dément qu’il accepta l’idée de ne plus voir le bout du tunnel.
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