Lecture par Suzy Dryden

Ce matin, une surprise dans la boîte à lettres...
Reprendre la lecture

J’hésitai à ouvrir l’enveloppe ne souhaitant pas être dérangé.

 

Depuis quelques temps, toute distraction me semblait dangereuse car me détournait de ma mission spéciale. Mais l’odeur de cannelle qui émanait de la lettre eut raison de moi et j’approchai l’enveloppe de mon nez pour humer, comme lorsqu’on retrouve un vieux livre et que l’on enfouit son visage dans son creux pour sentir l’odeur du vieux papier.

 

Je fermai les yeux et m’amusai à deviner qui était le messager de cette missive. Les quatre timbres sur l’enveloppe représentaient un paysage qui m’évoqua tout de suite les îles Borromées et je me souvins d’une histoire que Madame Zimmermann avait du me lire dans mon jeune âge. Le parfum des îles Borromées. Dans ce livre, il s’agissait d’un dilemme, d’un mystère qu’une bande d’amis devaient élucider pendant leurs vacances. Tout ce que je recherche émotionnellement et professionnellement. L’intensité, l’énigme, l’inconnu, l’affaire sensible…

 

Que faire ? Succomber à ma curiosité pour découvrir cette lettre et laisser tomber la pile de dossiers ? De nouveau, c’est la cannelle qui trancha et je déchirai l’enveloppe précipitamment en remarquant, dans ce geste vif, que le papier fin tremblait comme étonné de la réaction de son destinataire. Pliée en six, une feuille très fine apparut comme rabougrie. Mon premier réflexe fut de trouver que l’expéditeur avait peur ou était plutôt timide et j’eus le pressentiment profond que je découvrirai une écriture de pattes de mouche, apeurée et illisible comme celles des personnes qui se cachent en permanence.

 

Dans mon métier, l’on rencontre souvent ces lettres recroquevillées sur elles-mêmes. Il faut avouer que les sujets ne frisent pas la légèreté. Je regardai le soleil du midi gagner mon bureau et embrassai du regard la pièce et les objets familiers avant de commencer ma lecture. Surpris pas la belle écriture ronde et généreuse que la feuille afficha devant moi, je clignai des yeux, légèrement ébloui par les rayons du soleil et lus à haute voix :

 

Teranga, le 15 mars 1967

 

Mon petit,

 

Les îles Borromées t’appellent. Le sable des plages endormies attend les traces de tes pieds blancs. J’ai appris, grâce à internet, que tu avais rejoint le corps d’élite. Comme je suis fière de toi, comme j’aimerais te serrer dans mes bras ! Laisse ton travail et viens car il sera bientôt temps pour moi de rejoindre l’au-delà. J’ai bientôt 91 ans. J’ai beaucoup de choses à te raconter sur tes ancêtres, sur la famille mais ne souhaite pas te le révéler dans cette lettre. Toi qui as toujours aimé les histoires, je t’en prie, viens à la fin du mois de mai.

 

Je t’attends. Ta mère sait qui je suis mais ne voudra pas me voir. Ces choses pèseront trop mais toi, vaillant comme tu es aujourd’hui, tu comprendras et ces informations te seront utiles dans ta prochaine mission en Martinique.

 

Viens vite. Les gâteaux de banane-cannelle et le chant des colibris te font signe de la maison d’où je t’écris. Il est vraiment temps que tu apprennes la vérité.

 

Voici mon adresse pour me retrouver :

 

Madame Mahina Levy

Teranga,

Pazzio del Canto

Les Iles Borromées

 

Je froissai la lettre et m’adossai sur ma chaise. Le soleil tapait fort. Les stores non baissés réclamaient une sieste. Le parfum de cannelle s’estompait. Pour prolonger l’excitation de cette découverte, je ne quittai pas des yeux les quatre timbres, fasciné par les couleurs, les jardins exotiques et le lac Majeur. Le parfum des îles Borromées. Le titre de ce livre d’enfant revint me taquiner. Mais quel lien entre cette femme des îles visiblement très âgée et ma personne ?

 

Je fermai les yeux et tentai de plonger dans les méandres de ma petite enfance. Seul le parfum de cannelle semblait être un indice. Je décidai de ne pas trop réfléchir et de faire une pause. Le sommeil porte conseil. Après la sieste, j’appellerai ma mère pour tenter d’avoir des explications. Ou plutôt mon frère d’abord. C’est l’intello de la famille et il passe beaucoup de temps à se creuser la tête sur la généalogie. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi…

 

Suzy Dryden

 

Printemps 2017

 

Note : Mwen aimé ou doudou* : « mon chéri je t’aime » en martiniquais

Commentaires (2)

Suzy Dryden
23.05.2020

Merci de tout cœur !

Webstory
23.05.2020

Un appel puissant de souvenirs d'enfance, de mystère de famille et de couleurs des îles. Irrésistible! A suivre assurément...

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