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Une histoire d'amour entre une grand-mère et sa petite-fille. Une histoire de famille. Des voyages faux et d'autres vrais. Un miroir magique et un arbre. La mort qui au fond n'est que renaissance.
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Le Secret de ma Grand-Mère

Ma grand-mère était belle. Belle de corps et de cœur.

Dans sa jeunesse, elle arborait de longs cheveux noirs-corbeau devenus pie-voleuse plus tard. Ses yeux étaient verts quand le soleil s’y reflétait et gris quand le ciel n’était que l’ombre de lui même. L’automne, ils se coloraient de rouge-jaune-vert quand, le nez jeté au diable vauvert, nous chassions ensemble le parfum des bolets. Ces escapades se terminaient toujours le soir en bordure de forêt dans sa grande et vieille maison. Nous passions des heures entières devant le feu à les cuisiner. J’en garde un souvenir savoureux.

Nous faisions une belle paire comme elle disait!

Côté cœur, elle était généreuse, affable, souriante, toujours disponible, l’amour personnifié. Tout cela la maintenait en pleine forme.

Pourtant, ses enfants avaient une autre opinion, ils disaient qu’elle était entrée dans sa phase terminale! Ils pensaient qu’elle perdait la boule à cause d’un miroir à qui elle parlait. Elle le disait magique et ajoutait devant nous tous que Jeanne et lui étaient les seuls à la comprendre». Jeanne, c’est moi.

Sa dernière lubie, comme ils disaient, n’avait fait que confirmer leurs sentiments. Elle rêvait d’acheter un camping-car dernier cri et projetait de partir avec moi à l’aventure chaque été.

Mon père avait réagi violemment en lui interdisant de faire une bêtise pareille, puis il lui avait ri au nez en ajoutant qu’elle était trop vielle et qu’aucun concessionnaire n’accepterait de le lui vendre.

 

Le Secret de ma Grand-Mère

Le jour où ma grand-mère se présenta au volant d’un monstre à quatre roues, la famille au grand complet était réunies dans notre jardin. Stupeur! Ils restèrent tous cois. Ma mère prit alors la parole pour raisonner mon père comme elle savait si bien le faire et vu que dans notre famille, ma mère avait toujours le dernier mot, mon père donna son aval. Mon oncle et ma tante firent de même. Un carnet de voyage aux conditions bien précises apparu!

Carnet de voyage pour Carla et Jeanne

Avant le départ, les items suivants doivent être connus par la famille

. Lieu de destination: pays (limitrophes uniquement)

. Départements, régions, cantons, villes, villages.

. Routes empruntées à colorer sur la carte

. Contact téléphonique quotidien

. Nom et adresse des campings fréquentés

. Jours et heures du départ et du retour

Ce que personne ne savait, c’est que tout cela n’était qu’une esbroufe bien organisée par ma grand-mère et moi. Le camping- car n’était qu’une couverture qui cachait nos réelles intentions. C’était notre «faux voyage». Gianni, un jeune et bel étudiant italien, dixit ma grand-mère, qui travaillait dans la vidéothèque pas loin de chez elle, avait été engagé pour nous préparer un voyage ad hoc.

 

Carnet de voyage pour Carla et Jeanne

Il venait régulièrement partager un repas à la maison et était devenu un ami précieux, un complice, nous l’avions mis au jus.

La période choisie était toujours la même, juillet-août lors de nos vacances scolaires comme elle les appelait et cela me faisait rire.

Départ 13 juillet à 8h et retour 13 août à 18h.

Les destinations choisies pour les 4 premiers «faux voyages» furent les parcs nationaux de notre pays, de l’Autriche, de l’Italie et de la Suisse. Des lieux où la nature était encore reine…

Simultanément aux «faux voyages», nous préparions le vrai, celui du miroir comme nous l’avions surnommé. Pour ce dernier, nous mettions à contribution les WE mensuels que je passais chez elle, pour lire des livres d’auteurs voyageurs.

Nous faisions une belle paire toutes les deux!

Le choix de notre première fausse destination fut le parc national des Cévennes, non loin de la maison pour rassurer la famille tandis que la vraie fut l’Andalousie, ma grand-mère tomba en amour de ce pays après la lecture de «Les contes de l’Ahlambra» d’ Irving Washington et de «Don Chichotte de la Mancha» de Miguel Cervantes.

 

Le Secret de ma Grand-Mère

Le jour de notre départ, la famille était au grand complet. Les recommandations fusaient, tant pour elle que pour moi! Des pleurs aussi, beaucoup d’émotion! Ma grand-mère eu le mot de la fin et du début de notre voyage! «Ce n’est pas un enterrement que diable, nous partons seulement un mois».

Une heure de route, le temps de rejoindre la ville voisine et le garage de Marc, fils de Jean le premier amour de ma grand-mère.

Ils avaient 16 ans, leur amour dura 6 ans et sûrement plus si la guerre n’avait pas éclaté! Deux ans de mots d’amour et d’attente quotidienne du facteur. Puis, la mort colportée par le même homme qui entretenait leur feu. Pendant des années, ma grand-mère plongea dans les profondeurs noires de l’enfer. Puis un jour, François, mon grand-père aux yeux verts vint frapper à sa porte; vous vous souvenez elle était belle de corps et de cœur. Un jour, Marc apparut, c’était le portrait de Jean! Il avait promis à son père de retrouver Carla et de tout lui raconter. Ce qu’il fit et depuis, il vivait près d’elle. Vous vous souvenez…

Après une heure de route, le monstre était parqué dans le garage de Marc. A minuit précise, il nous raccompagnait à la maison «come due Cenerentole» dans un carrosse. Nous nous changions avant de s’installer sur le canapé devant le miroir. J’avais peur et ma grand-mère aussi. Ni elle ni moi ne savions à quoi nous attendre. Ce miroir magique, cadeau d’une gitane, Carla ne l’avait jamais utilisé. Les yeux fermés, elle me prit les mains.

Quand la caresse du soleil et un beau chant d’oiseau nous l’annoncèrent, nos yeux s’ouvrirent. Nous étions assises devant la grande porte de l’Alhambra. Main dans la main, nous nous aventurions dans cette première visite en terre andalouse, subjuguées et éblouies par la beauté du palais.

La suite du voyage, fut un mélange de villes riches en histoire et de campagne à la terre ocre. Oliviers, vignobles, champs de coquelicots et plages baignées par une méditerranée chaude et paisible.

Notre dernière étape fut Tarifa, impossible d’aller plus loin.

De cette ville, je garde en souvenir la puissance du vent, les heures passées sur une terrasse à terminer nos carnets de voyage et la découverte du café bombon….

La famille suivait notre «faux voyage», jour après jour grâce au plan que je leur avais laissé et aux téléphones quotidiens. Gianni nous renseignait sur à la météo. Cette année là, je fêtais mes 14 ans et pour la première fois, loin de ma famille.

Nous faisions une belle paire!

Après l’Andalousie, il y eu l’Irlande grâce au «Journal Irlandais» d’ Heinrich Böll. J’ai encore dans la bouche le goût de ma première Guiness. Merci Carla!

Suivirent l’Italia, le sue città, Roma, il Vaticano, Firenze, Siena, Assisi…., la storia e le opere d’arte.

Puis Budapest, l’envie de voir où Jean avait vécu après la guerre. Marc nous accompagna et nous présenta sa famille qui encore vivait là. Nous avons visité le cimetière où reposaient sa mère Kata et son père Jean. Quelques larmes et une question dans le coeur de Carla. Et s’il était revenu?

Le 1er août, je fêtais mes 18 ans et Carla ses 90. Nous étions entourées de Marc et sa famille. Je garde dans mon coeur un mot: egészségügyi, prononcé eghecheghedré, santé! Ce voyage fut le plus riche en émotions contradictoires; la vie, l’amour et la mort. Voici ce qui m’attendait à partir de maintenant. La vie d’adulte m’apparaissait comme une grande pelote et je ressentais qu’au fond

fond, le fil le plus important avait la couleur amour.

Nous fûmes de retour comme chaque année le 13.8 à 18h. Sur le trottoir, le comité d’accueil au grand complet. Je descendis du monstre pour enlacer les miens. Étrangement, mon père se précipita en direction de la porte du conducteur et obligea Carla à s’asseoir du côté passager. Surprise, mon regard vacillait entre ma mère et le camping-car! Le monstre s’éloigna rapidement et disparut. Ma mère m’accueilla dans ses bras. J’étais sans mots, tétanisée. Nous rentrâmes en silence.

Le jour suivant, mon père m’apprit qu’il l’avait conduite dans la maison de retraite du grand parc «La joie dans le coeur» sans aucune autre explication. Ma mère m’expliqua que le 1er août ils se trouvaient au Parc National des Grisons en Suisse pour fêter nos anniversaires…! Cela suffit pour que je comprenne.

Carla se trouvait maintenant dans un appartement médicalisé à l’intérieur de la maison de retraite bénéficiant d’une grande indépendance. Toutefois, elle avait la stricte interdiction de sortir de ces murs et les balades dans le parc devaient être accompagnées. Elle accepta tout sans faire d’histoire. Elle plaça notre miroir devant la fenêtre. Un vieil arbre mort s’y reflétait .

Le jour de ces 100 ans, elle disparut, laissant sur le coussin de son lit, son testament. «Ne perdez pas de temps à me chercher, ça ne servira à rien…Toute ma fortune est à partager en parts égales entre mes enfants. Ma maison est pour Jeanne et la sua famiglia.»

Le soir précédant sa disparition, je reçus un SMS: ma chère et tendre, j’ai décidé de partir mais pas bien loin, souviens-toi de cet arbre mourant dans le miroir, je t’attendrai ce printemps dans le parc

parc «con il tuo moroso e…?» A tout bientôt ta grand-mère Carla qui t’aime fort.

P.S. La maison familiale t’attend, elle est à toi, è vostra!!!

Au printemps suivant, Gianni et moi étions dans le parc au pied de l’arbre couvert de jeunes feuilles. L’arbre avait magiquement repris vie!

Le cœur de ma grand-mère pulsait dans ses entrailles.

Elle sera toujours vivante dans son corps et dans mon cœur!

Ce jour là, j’entendis un autre coeur battre dans mon ventre!

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