Les forces obscures qui nous habitent nous manipulent comme des marionnettes.
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Le rêve peut donner à celui qui l’a fait le courage de retrouver en lui une dimension qu’il avait totalement refoulée.   Jeanne repense au rêve de la jeune femme en rose qui a donné le courage à Violette de se confronter à celui qui s’était évanoui en la voyant. Après lui avoir fait part de sa rencontre avec Giovanni et de sa décision de devenir chanteuse, c’est avec un éclat nouveau dans les yeux que la jeune fille le lui a raconté. Et Jeanne se souvient d’un récit entendu lors d’un séminaire sur l’interprétation des rêves qui l’avait beaucoup impressionnée. Il s’agissait d’un homme d’une quarantaine d’années, ingénieur et père de famille qui faisait depuis plus de vingt ans le même cauchemar, plusieurs fois par mois. Il n’en pouvait plus de voir et revoir périodiquement ces images qui perturbaient son sommeil et le laissaient dans un profond état d’angoisse au réveil. Après avoir constaté que ce rêve avait une influence néfaste sur son humeur générale et sur ses relations avec son entourage, il avait enfin décidé de s’adresser à une professionnelle, malgré toutes ses réticences de scientifique rationnel figé dans une attitude conventionnellement sceptique. Il doutait fort du résultat et c’est de guerre lasse qu’il était venu livrer son récit :

« Je suis dans mon salon et au-milieu de la pièce se trouve un cercueil. En m’approchant, je vois que c’est mon cadavre qui y est couché. Lorsque je suis tout près du mort, il soulève les doigts de la main gauche et me regarde. Je me réveille totalement paniqué. »

Il est très difficile de comprendre comment l’on peut, pendant vingt ans, aller au lit le soir en sachant que ces images effrayantes vont peut-être réapparaître.-

Et que signifiait donc ce rêve ? avait demandé l’un des participants au séminaire qui semblait particulièrement troublé.

– J’ai commencé par demander à ce monsieur ce qui se passait dans sa vie lorsque ce cauchemar est apparu, il y a une vingtaine d’années.

– Rien de spécial, répondit-il. J’avais passé mon bac et j’entrais à l’école polytechnique pour devenir ingénieur en génie civil.

– Était-ce ce que vous désiriez étudier ?

– Oui, bien sûr !….Enfin, non ! J’aimais la musique, je jouais du violon dans un orchestre et je voulais en faire ma carrière. Combien j’aurais aimé devenir musicien… ajouta-t-il les yeux perdus dans le vague. Mais il se reprit vite. « C’était la volonté de mon père que je sois ingénieur et je lui ai obéi. » Et il sentit le besoin de préciser « Vous savez, je suis heureux de l’avoir écouté. J’ai replacé mon violon dans son étui et je ne l’ai plus jamais ressorti. J’ai une belle situation, aucun souci financier. Beaucoup de personnes envieraient mon train de vie. »

Certes, beaucoup de personnes l’envieraient mais il lui manque l’essentiel : les émotions que la musique lui permettait d’exprimer et qu’il croit compenser en ayant des plaisirs de riche : la voiture de sport, les croisières de luxe et une résidence secondaire dans une station de montagne où il retrouve les mêmes mondanités qu’en ville.

Et partout dans le monde, ce cauchemar qui le hante.Un voile de tristesse passa sur les yeux de celui qui venait de faire une description aussi enthousiaste de sa réussite professionnelle.

– Savez-vous ce que votre cadavre vient vous signaler nuit après nuit, sans perdre espoir qu’un jour vous le compreniez ? Le rêveur sembla revenir d’un lointain voyage.

– Non. Mais sa voix n’était pas très assurée. Peut-être y a-t-il en moi quelque chose qui est mort, mais pas complètement puisque mes doigts bougent, ajouta-t-il d’une voix à peine perceptible.

– C’était très émouvant de le voir prendre peu à peu conscience de ce qu’il avait refoulé en lui lorsqu’il avait décidé de ranger son instrument dans son étui pour ne plus jamais le jouer. Sa douleur était trop aigüe. Il avait préféré l’ignorer. C’est la réaction que nous avons tous lorsque nous acceptons de nous soumettre à la volonté de ceux qui nous imposent leur loi et dont nous ne voulons pas perdre l’amour. Devenir qui nous sommes consiste à concilier nos aspirations les plus intimes tout en gardant un lien avec notre entourage. Ayant reconnu que le côté musicien en lui était encore vivant, le rêveur reprit son violon, forma un quatuor avec des voisins qui devinrent des amis alors que jusque là il s’était contenté de les saluer avec condescendance car ils n’étaient pas de son monde ; il vécut les moments les plus intenses de son existence et retrouva un équilibre intérieur dont bénéficia toute sa famille. Le cauchemar ne revint jamais.

Ce que Jung appelle l’ombre et qui nous empêche de vivre la vie la plus conforme à notre nature profonde est une image de ce qui arrive lorsque l’homme se tient entre lui-même et sa propre lumière. Elle ne doit pas être confondue avec le mal moral. Si l’ombre était un mal moral, il y aurait lieu de la combattre et de l’éliminer alors que les rêves nous aident à la reconnaître et à l’intégrer. C’est lorsqu’elle est ignorée que l’ombre devient dangereuse. Accepter, par exemple, qu’il y ait en nous des pulsions meurtrières ne justifie pas le passage à l’acte mais permet au contraire de l’éviter. Le rôle que joue l’ombre dans la vie de l’individu était l’une des préoccupations majeures de Jung car il est d’une importance capitale : il est la confirmation que nous avançons sur deux niveaux, celui de la conscience et celui de l’inconscient. Les forces obscures et négatives non reconnues qui nous habitent nous manipulent comme des marionnettes soumises à un tyran.

« Aussi longtemps que l’existence du démon n’est pas établie, écrit-il, personne ne prendra sa propre ombre au sérieux. Le mal est d’une effrayante réalité et c’est une erreur fatale de nier son pouvoir. Il était présent avant l’homme. Le bien et le mal, ajoute-t-il, sont relatifs l’un à l’autre et pourtant on ne sait pas ce qu’ils sont en eux-mêmes… Ainsi la conception de la théologie selon laquelle Dieu doit être bon ou mauvais n’est pas justifiée. Dieu est transcendant à la conscience et n’est donc soumis à aucune logique humaine. »L’homme ne peut se sentir entier que lorsque la lutte entre lui-même et son côté sombre est dissoute. Et cette réconciliation n’est possible qu’en présence d’une dimension spirituelle, le seul moyen d’y parvenir est l’amour.

” Quels sont ceux à qui il sera beaucoup pardonné ? demande Jung. A ceux qui ont beaucoup aimé. A ceux qui n’ont pas aimé, même les petites fautes seront retenues contre eux. ”A partir de sa très longue expérience professionnelle, il est amené à se servir souvent du mot Dieu. Or il ne veut pas procéder à une affirmation de l’existence de Dieu mais il se réfère à « cela » que les hommes ont de tout temps désigné en se servant de ce mot et qu’il constate sous la forme d’images dans ses propres rêves et ceux de ses patients, notamment sous formes de figures circulaires (mandalas).Les psychanalystes freudiens reprochaient à Jung d’être un mystique alors que nombre de théologiens catholiques l’accusaient de « psychologiser » Dieu. Ces positions sont infondées parce qu’elles passent à côté de son vrai travail. En effet, sa thèse propre consiste dans le constat d’une fonction religieuse qui s’exprime spontanément dans l’inconscient le plus profond.

« Je n’ai pas de définition de Dieu à vous donner. Je peux seulement dire que mon travail m’a prouvé que le modèle de Dieu existe en chaque homme et que ce modèle porte une source d’énergie de transformation de l’être humain. Le sens de la vie dépend de la relation consciente entretenue avec cette énergie. » écrit-il juste avant de mourir.

 

A suivre: Chapitre 31 La fuite

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