“Le problème vient donc toujours des parents? …”
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Le rêve de Violetta Chap 13 La consigne c’est la consigne

Eliane était une jeune femme d’origine serbe. Avant de raconter son rêve, elle avait tenu à parler de son enfance heureuse auprès de parents dont elle était l’unique enfant chérie. Tous deux médecins, ils se partageaient le même cabinet et organisaient leurs horaires pour pouvoir passer avec elle le plus de temps possible. Les activités familiales étaient nombreuses et elle n’a pas de souvenir triste jusqu’à l’âge de dix ans où son monde s’est écroulé en une minute. Alpiniste passionné, son père tomba dans une crevasse et y perdit la vie. Victime d’une grave dépression à la suite de ce décès, sa mère le rejoignit au cimetière quelques mois plus tard et ce fut une tante, à la campagne, qui recueillit à contre cœur cette petite fille qui n’était qu’une bouche de plus à nourrir.

Eliane a donc passé une adolescence solitaire et elle a décidé de devenir médecin comme ses parents. Mais personne ne lui a parlé de l’héritage dont elle est bénéficiaire et qui pourrait lui permettre de financer ses études. La tante pensait qu’elle est trop jeune pour toucher de l’argent et qu’elle devait apprendre à travailler pour en gagner. Elle ne comprenait pas pourquoi sa nièce irait à l’université et lui faisait bien sentir que ce n’était pas un lieu pour elle. Sa propre fille qui avait ouvert un salon de thé à Londres et lui envoyait chaque mois un mandat confortable cherchait des collaboratrices. Pourquoi sa nièce n’allait-elle pas la rejoindre ? Elle pourrait au moins se rendre utile.

« Au fond, se dit un jour la jeune fille, je pourrai gagner l’argent dont j’ai besoin et si je travaille beaucoup, je ne retarderai mes études que d’une année ou deux. Et j’apprendrai l’anglais…»

Le salon de thé se révéla être un salon de massage et la tâche d’Eliane ne consistait pas à servir des tranches de cake à des clientes élégantes. Elle fut très vite entraînée dans un engrenage dont elle a renoncé à sortir.Après avoir rapporté à Jeanne les grandes lignes de sa triste vie, elle lui avait lancé  son rêve, comme une bouteille à la mer.« Je suis dans mon appartement et je me trouve avec une femme noire âgée qui me regarde avec haine tandis qu’un homme avec une barbe blanche me contemple avec une grande douleur. Puis ils disparaissent et je reste seule ; je me sens abandonnée. J’ai envie de mourir. »

Lors du dialogue qui s’instaura entre les deux femmes, elle reconnut la haine que l’on pouvait lire dans les yeux de la femme noire. C’était celle qui la rongeait lorsqu’elle prenait conscience de sa déchéance et de son incapacité à réagir. La couleur foncée de la femme indiquait que cette partie d’elle-même qui la détestait faisait partie de son ombre, de tout ce que nous refoulons parce que les sentiments à vivre sont trop douloureux, tristesse, peur, terreur, désespoir, culpabilité. La figure du vieux sage la remit en contact avec la dimension qu’elle avait tellement négligée, celle de son âme. Elle se souvint d’un prêtre, ami de ses parents, qui venait souvent à la maison et qui lui racontait des histoires dont elle se sentait l’héroïne. Les mots qu’il utilisait lui ouvraient les portes d’un monde où elle se sentait unique. La douleur du vieillard provenait de sa trahison. Elle avait écrasé en elle son identité propre et ce rêve lui montrait la désolation qui en résultait.

« Je voulais être médecin comme ma mère, déclara-t-elle et je suis prostituée. »Eliane était repartie avec la ferme intention de suivre ce qui était sa vraie vocation. Ce rêve avait stimulé en elle une énergie de changement. Jeanne lui suggéra de dessiner les personnages, la femme noire et le vieillard pour leur donner plus de vie et de toujours garder cette image présente devant ses yeux. Elle y trouverait le courage de rester fidèle à sa décision. Et de renoncer à l’argent facilement gagné et à la drogue.Quelques années plus tard, Jeanne eut la joie de recevoir une carte de visite du Dr Eliane… qui ne l’avait pas oubliée.Il est difficile, voire impossible, pour un esprit rationnel d’accepter qu’un simple et unique rêve puisse avoir un tel impact sur celui qui le fait. La réponse à cette question réside dans l’énergie transmise par les images du cerveau qui dort au cerveau éveillé. Lorsqu’elles restent présentes durant la journée, il est fréquent que le rêveur y puise la force nécessaire pour résoudre le problème réel auquel il est confronté.

La jeune femme qui raconte aujourd’hui son rêve à Jeanne ne peut admettre qu’il concerne sa mère.- Le problème vient donc toujours des parents, s’exclame-t-elle. Je suis pourtant détachée d’elle, elle vit à des centaines de kilomètres et ne contrôle plus ma vie. J’ai mon mari, mes enfants et je me porte très bien sans la voir. Elle ne peut se retenir d’ajouter :

– C’est facile votre métier. Vous chargez de toute la culpabilité du monde ceux de la génération précédente et le tour est joué. Qui pourra vous contredire formellement ? Qui n’a pas souffert d’une manière ou d’une autre du manque d’attention ou de mauvais traitements de la part de ceux qui l’ont mis au monde ? Mais les épreuves forment le caractère et c’est à chacun de se débrouiller pour grandir et trouver sa voie tout en “honorant” son père et sa mère.-

Reprenons le rêve, suggère Jeanne à Stéphanie qui semble assez fière d’avoir pu prouver sa qualité d’adulte responsable et qui ne se complaît pas dans le rôle de victime.- Je marche au bord de l’océan. Puis une gigantesque vague m’entraîne au large et je ne peux rejoindre le bord. Je suis en train de me noyer. A ce moment arrive ma sœur qui me saisit par la taille et me ramène sur la plage. Je suis épuisée mais sauvée.

Lorsqu’elle repense à cette immense vague, la rêveuse est saisie d’une terrible angoisse et puis, sur le sable, elle est extrêmement soulagée d’avoir échappé à un tel danger.Ce rêve n’est probablement pas prémonitoire, le risque n’est pas physique mais le danger d’être submergée par des émotions trop fortes et incontrôlables est réel. Or Stéphanie déclare que tout va bien dans sa vie et qu’elle ne voit pas quel est le péril qui la menace.- Nous sommes à la veille des vacances d’été. Avez-vous des projets ? demande Jeanne- Nous resterons à la maison car mon fils aîné a des examens importants à passer à la rentrée et nous ferons un voyage en famille durant l’automne. Ma fille a organisé son programme avec des amies et je rejoindrai ma mère pendant le mois de juillet.

Ces derniers mots ont été prononcés avec autorité comme pour écarter toute discussion à ce sujet. Mais Jeanne insiste.- Vous rejoignez vote mère alors que votre fils et votre mari sont à la maison et ont besoin de vous?

– Ils peuvent parfaitement se débrouiller seuls et cela leur fera beaucoup de bien.

– Qu’en pensent-ils?- Vous connaissez les hommes. Ils jouent les misérables et me demandent de rester. Mais je ne me laisserai pas attendrir ! Ma mère s’est cassé la jambe et elle ne peut rester seule. Je lui ai promis de la conduire chez le médecin, de faire ses courses et de lui tenir compagnie aussi longtemps qu’elle sera immobilisée.- Quels sont vos rapports avec votre mère ?Cette question dérange beaucoup la rêveuse dont le regard change. L’attitude rigide fait place à un léger tassement des épaules et la femme autoritaire s’efface derrière la fillette apeurée. Elle répond pourtant sans hésiter :

– Ma mère ne nous a jamais témoigné d’affection. Pour elle je n’ai pas d’autre identité que celle de domestique. Elle nous a toujours utilisées ma sœur et moi comme des bonnes à tout faire. Elle ne s’est pas déplacée lorsque j’ai accouché alors que j’aurais tant voulu qu’elle soit à mes côtés et lorsque je l’appelle au téléphone, elle me submerge de reproches. Je n’en peux plus. D’ailleurs j’ai de telles douleurs dans le dos que le docteur me déconseille les longs trajets en voiture. Mais je ne peux laisser une personne de son âge accidentée sans soutien. C’est mon devoir de fille de l’aider.

– Et votre devoir d’épouse et de mère ?- Ma mère c’est ma mère, répond Stéphanie à bout d’arguments. Comment pourrais-je avoir encore de l’estime pour moi si je ne remplis pas mes obligations. Que penseraient de moi toutes mes amies?C’est donc le sens du devoir et non l’amour filial qui dicte à la jeune femme sa conduite.

– Pouvez-vous me parler de votre sœur qui vous sauve de la noyade ?

– Ma sœur cadette a toujours été rebelle. Elle a osé claquer la porte de la maison et je me suis retrouvée seule avec ma mère qui était veuve. Je ne pouvais donc pas la quitter. Elle avait perdu son mari et sa deuxième fille ne lui parlait plus. Mais elle ne m’a jamais témoigné de reconnaissance. Je n’ai jamais entendu le mot merci dans sa bouche. Tout lui est dû. Mais c’est ma mère…

– Votre rêve vous indique que vous êtes en train de vous noyer et c’est ce qui va se passer si vous continuez à être déchirée entre la famille que vous avez su créer et qui vous aime et votre mère qui ignore votre identité. Pour éviter d’être engloutie, il faut faire appel au côté rebelle en vous, à celui qui sait dire non et s’éloigne de cette force destructrice.

Stéphanie est très ébranlée par ce message de l’inconscient. Mais elle n’aura jamais le courage de revenir sur sa promesse. Elle ne sait que faire car cette vague immense est une menace qui doit être prise au sérieux.Après son départ, Jeanne repense à la réponse que donne l’allumeur de réverbère au Petit Prince qui lui demande pour quelle raison il rallume son réverbère à peine vient-il de l’éteindre.

« Parce que c’est la consigne » répond l’homme « La consigne c’est la consigne »Et elle doit être respectée parce qu’elle a été transmise.Même si les raisons de son origine ont changé. La consigne pour Stéphanie, c’est de remplir son devoir de fille, même si elle doit s’y épuiser.

Lorsqu’elle revient au mois de septembre, c’est une personne rayonnante qui annonce avec fierté à Jeanne qu’elle a su dire à sa mère qu’elle ne passerait que dix jours avec elle, le temps de lui organiser une vie confortable, parce que sa famille avait besoin d’elle et qu’elle devait aussi se ménager.-Comment a-t-elle réagi ?

– Pour la première fois de sa vie, elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit merci !

Lorsque nous ne sortons pas de la position de victime consentante, nous enfermons dans le rôle de bourreau celui qui ne peut plus ressentir que du mépris à l’égard de son souffre-douleur et de lui-même. Tout autre sentiment est exclu, tant que la dépendance n’est pas brisée. Stéphanie en a fait l’expérience et elle peut désormais envisager avec sa mère un rapport où elle a sa place.

 

A suivre: Chapitre 14 La voiture rose

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