“Un rêve qui n’est pas interprété est comme une lettre qui n’a pas été lue” Le Talmud
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Le rêve de Violetta Chapitre 12 La lettre de Giovanni

 Pour retrouver la paix, Chantal doit découvrir ce que lui disait le  traitre qu’elle n’a jamais pu renoncer à aimer dans le fond de son coeur. Même si c’est en tremblant qu’elle décolle les bords  de l’enveloppe jaunie, elle est bien décidée à l’ouvrir et à  en affronter le contenu.

A sa grande stupéfaction, elle trouve une autre enveloppe à l’intérieur de la lettre.Elle prend d’abord la feuille de papier pliée qui accompagne le deuxième message et lit sans comprendre le sens des mots qu’elle découvre.

« A la personne qui ouvrira cette lettre,Lorsque vous avez lu l’adresse de Chantal qui n’est plus là pour recevoir ces mots votre cœur a dû se serrer. Vous l’aimez encore et elle vous manque tellement. Moi qui n’ai pu pleurer avec vous et qui ne sortirai plus de l’hiver glacé je vous adresse une prière instante. Ce dernier message d’amour avant l’éternité je voudrais qu’il soit déposé au lieu où le ruisseaudu Chadou se jette dans le lac. J’ai dessiné un plan qui vous permettra de le trouver. A cet endroit il y a un petit muret de pierres sèches. C’est là que nous nous étions fait le serment de ne plus jamais nous séparer. Et nous avions tous deux choisi un caillou rond et blanc que nous nous étions offert l’un à l’autre en gage de notre amour. Il sera facile de soulever une pierre et d’y déposer la lettre dans ce mur qui gardera ainsi aux yeux du monde notre engagement au-delà de la vie. Je vous serai éternellement reconnaissant car vous m’aidez à être moins seul dans ma douleur. Que Dieu vous bénisse !

Votre Giovanni »

Je vous serai éternellement reconnaissant car vous m’aidez à être moins seul dans ma douleur. Que Dieu vous bénisse ! Votre Giovanni »

Au bas de la page il avait inscrit son adresse et au verso figurait un plan détaillé de ce lieu dont le jeune homme semblait avoir gravé chaque détail dans sa mémoire.

Les larmes qui coulent sur le visage de Chantal ne sont pas seulement des larmes de chagrin. Une immense colère gronde en elle.Comment Giovanni a-t-il été informé de son décès? Qui a bien pu lui faire parvenir une telle nouvelle Et dans quel but ? S’il la croyait morte, pourquoi lui avoir écrit à l’hôpital ? Est-ce l’hôpital qui l’a contacté ? Le soupçon épouvantable qui surgit en elle se transforme en tempête de sable, en typhon, en tsunami. Dès le jour de son accident, Jules n’a plus jamais mentionné le nom de son fiancé alors qu’il lui avait régulièrement demandé de ses nouvelles après son départ aux Etats Unis. Il a été très prompt à la consoler comme s’il s’attendait à son désespoir. Il ne s’est jamais inquiété des causes de son malaise devant l’hôpital. Et peu à peu le sable, insidieusement, vient rayer chaque atome de son corps.

Le jour où la voiture l’a renversée, elle venait d’apprendre de la bouche de son amie la trahison de Giovanni. Or il ne l’avait jamais trompée. Chantal n’a pas encore lu la deuxième lettre mais elle est convaincue de sa fidélité. Cette annonce était un mensonge. Jocelyne sortait-elle de l’hôpital ou y entrait-elle ? Ce n’est plus clair dans son esprit. Mais elle se souvient très bien de l’embarras de la jeune femme, de l’empressement avec lequel elle lui a jeté au visage les paroles qui allaient la détruire et de sa fuite précipitée. Chantal est saisie d’une immense terreur. Jules aurait-il pu utiliser son ancienne amie pour la détacher à tout jamais de l’homme qu’elle aimait ? Il la connaissait car Jocelyne l’avait parfois accompagnée à sa demande lorsque le docteur insistait pour l’inviter et qu’elle redoutait de se retrouver seule avec lui. Qu’avait-il pu lui promettre pour la décider à accomplir un tel geste ? Ou était-ce elle qui espérait pouvoir consoler le fiancé éploré dont elle avait toujours été secrètement amoureuse?Pour avoir le courage d’ouvrir le message de son amant, Chantal revoit les images de cette soirée du mois d’août au bord du lac où ils s’étaient engagés très solennellement à lier leurs destins. C’est sous une pluie d’étoiles filantes qu’ils avaient échangé leurs cailloux ronds. Elle avait ri en constatant que le moment semblait irréel, trop parfait. Et que ces étoiles leur permettaient de faire plus de voeux qu’une vie entière ne suffirait à réaliser. « Tous mes vœux ne sont qu’un mon amour, avait murmuré gravement le jeune homme. Je souhaite que seule la mort puisse nous séparer. » Elle lui avait donné une légère tape en lui interdisant de parler de mort lorsque la vie ne faisait que commencer pour eux. Elle réalise maintenant la dimension prémonitoire de ces paroles.

« Je t’aime.Je t’aime infiniment, éternellement, de toute mon âme et avec tout mon corps. Et je ne te serrerai plus jamais contre moi. Je n’aurai plus pour unique espoir de te rendre heureuse car ton sourire est ma seule espérance. Mon amour, laisse-moi encore parler de toi au présent. Il n’est rien de plus douloureux que cet imparfait qui veut s’imposer. Non, tu n’étais pas ma bien-aimée, tu l’es pour toujours. Ma colombe de paix, tu as pris ton envol pour un lieu inconnu où je te rejoindrai un jour si je te survis. Depuis cette minute où j’ai appris que plus jamais nous ne contemplerions ensemble les étoiles, elles sont devenues ternes et immobiles dans le ciel et la lumière du soleil blesse mes yeux noyés. Ces mots que tu ne liras jamais sont le seul trésor que je puisse encore te confier. Je t’aime. Prie pour moi. J’ai tellement besoin de toi. Je t’aime.”

Lorsque Chantal peut enfin arrêter de sangloter, sa décision est prise. Elle va rejoindre celui auquel elle n’a jamais cessé d’appartenir et lui apprendre la vérité. Elle doit savoir qui a pu commettre l’acte ignoble de la rayer sans scrupule du nombre des vivants. Un soupçon insupportable la ronge et elle veut avoir une confirmation. Jules a-t-il pu détruire sa vie de manière lucide et déterminée? Même si Giovanni a retrouvé l’amour d’une autre femme, elle doit avoir avec lui une explication. Et puis elle sera libre de partir avec sa fille, de quitter à tout jamais un homme qui n’est plus pour elle qu’un assassin.

Jules Marcau a eu un jeudi très chargé et il se réjouit de retrouver sa famille pour une soirée paisible. Après de longues heures passées dans la salle d’opération, il se détend en nageant avec sa fille dans la piscine de son jardin tandis que Chantal prépare le repas. Il ne se sent jamais aussi heureux que lorsqu’il parvient à faire rire aux éclats la petite fille qui va bientôt avoir sept ans. Cette année. la famille a décidé de visiter une ville nouvelle et d’y passer le week-end. Violetta a maintenant atteint l’âge de raison et il a semblé intéressant à son père de fêter les prochains anniversaires en découvrant chaque fois une capitale européenne. Il est prêt à parier que c’est la tour Eiffel qui remportera les suffrages pour ce premier voyage et il se réjouit déjà d’y monter avec sa fille.

Chantal qui a toujours de bonnes idées pour distraire les enfants se chargera du goûter d’anniversaire et de l’organisation des jeux pour les camarades d’école de la jubilaire. Jules sait se faire discret lorsque son jardin est envahi par une troupe de petits guerriers dont, à vrai dire, il a très peur. Il disparaît quelques heures et ne réapparaît lorsqu’il est certain que toutes traces de leur passage auront été effacées. Et il peut écouter d’une oreille attentive le récit enthousiaste de Violetta qui tient à tout lui raconter. Tandis que Chantal range seule la cuisine, le jardin et la salle de jeux.

Il pousse la porte d’entrée de la maison en criant, comme à son habitude, « Coucou, c’est moi ! », formule qu’il a adoptée une fois pour toutes et dont il est naïvement convaincu qu’elle a un effet jubilatoire sur celles qui l’entendent. Mais ce soir, il est frappé par le visage fermé et tendu de Chantal. Elle est assise dans le salon, un sac de voyage posé à côté de sa chaise. Il demande des explications en ne voyant pas sa fille.

Sa femme, toujours si douce et calme le fixe avec une expression de colère froide qui le replonge dans l’état de panique du petit garçon affrontant son père.

« Violetta ne rentrera pas ce soir. Elle dort chez son amie Juliette. La maman de Juliette les conduira demain à l’école et la gardera jusqu’à ton retour de l’hôpital. Je m’absente quelques jours car on donne à Paris une représentation de La Traviata dans des décors futuristes avec de jeunes artistes très prometteurs. J’ai appris ce matin par Valérie la création de ce spectacle et je pars avec elle. J’ai pu trouver un billet sur internet et je serai de retour dimanche. Tu pourras en profiter pour décider avec la petite de l’endroit qu’elle choisit pour son anniversaire ».

C’est la première fois que Chantal agit sans le consulter et malgré sa détermination, elle redoute sa réaction, bien loin d’imaginer le profond soulagement de son mari lorsqu’il réalise que le châtiment paternel est écarté. De plus, l’idée de passer quelques heures en tête à tête avec Violetta le remplit de bonheur. Bien qu’il soit extrêmement contrarié par l’initiative de sa femme, il donne sans difficulté son accord à ce projet car il a toute confiance en Valérie qui a toujours encouragé son amie à accepter sa condition de femme au foyer ; elle-même rêve d’un mari et d’enfants mais elle est encore célibataire. Ce qu’il ignore c’est que Valérie fait le tour de l’Australie sac au dos et qu’elle ne sera pas de retour avant six mois. D’ici là, Chantal aura quitté Jules et sera seule avec sa fille. Ce qu’elle a trouvé sur internet, c’est le programme des concerts de Giovanni qui est devenu un chanteur célèbre et elle a réservé un billet pour son prochain récital à Londres. Elle a souvent lu son nom dans des revues spécialisées sous la plume de critiques musicaux mais elle tournait immédiatement la page car elle souffrait encore trop profondément de sa trahison.

Cette nuit-là Chantal ne parvient à trouver le sommeil car l’idée de revoir son amour perdu est extrêmement angoissante. Quelle sera sa réaction lorsque surgira devant lui le fantôme bien vivant de celle qu’il a tant pleurée et qu’il n’a peut-être pas oubliée. Sera-t-il heureux ou gêné ? Prendra-t-il la fuite ou voudra-t-il la serrer dans ses bras pour ne plus jamais la laisser s’éloigner ? Comment peut-elle imaginer qu’il lui soit resté fidèle pendant toutes ces années, alors qu’il la croit morte ? Et comment supportera-t-elle le fait qu’ils soient tous deux vivants mais n’aient plus rien à se dire ?

Lorsqu’elle s’endort enfin elle fait un rêve.

Sa grand-mère maternelle qu’elle a tellement aimée se promène dans un jardin paradisiaque. Il y a des fleurs magnifiques et elle entend les chants d’oiseaux. Un ruisseau illumine la prairie et des agneaux s’y désaltèrent. La grand-mère est radieuse, jeune et forte, entourée d’un halo de lumière. Elle ouvre les bras et Chantal se précipite vers elle.

A ce moment elle se réveille avec un immense sentiment de paix et de bonheur. Elle est convaincue de la légitimité de sa démarche et ne craint plus les conséquences qui en découleront.

Le taxi qui emmène la jeune femme à la gare est bloqué dans le trafic. Lorsqu’il la dépose enfin à destination, elle a si peur de manquer son train qu’elle se lance à travers la chaussée sans regarder si le passage est libre. La voiture qui la percute la tue sur le coup.

Qu’aurait dit Jeanne à Chantal si celle-ci était venue la consulter au sujet de son rêve avant de partir à la gare ? Nul ne le sait. Un rêve aussi lumineux dans les circonstances de vie terribles que traversait la rêveuse pouvait l’encourager à s’engager avec confiance sur cette voie inconnue qu’elle avait décidé de prendre. Cela pouvait l’aider à trouver en elle cette énergie positive de sa grand-mère et à penser qu’elle était guidée par cet aspect de sa propre personnalité et non par un côté sombre tel que le désir de vengeance.On ne peut prendre les rêves de rencontre avec les personnes décédées comme des rêves annonciateurs de mort. L’interprétation dépend toujours de la situation du rêveur, de ce qu’il est en train de vivre tant sur le plan extérieur qu’à l’intérieur de lui-même Lorsque le sens trouvé au rêve correspond à l’attente du rêveur il faut même s’en méfier car en général le point de vue de l’inconscient est complémentaire par rapport à la conscience. Il faut toujours se demander quelle est l’attitude consciente que le rêve tend à rectifier. Une personne très déprimée ou qui se trouve dans une situation de vie qui lui paraît sans issue pourra faire des rêves lumineux et agréables. Par contre une autre personne vivant dans une réalité où tout semble lui réussir pourra, elle, faire des rêves pénibles. C’est comme si l’inconscient transmettait à la première un message d’espoir pour lui faire comprendre que tout ne va pas si mal que cela et à la seconde un avertissement de prudence pour qu’elle se tienne sur ses gardes et ne se laisse pas surprendre par un fait peut-être moins positif. A tout excès, dans un sens ou dans l’autre, répondent des compensations sans lesquelles il n’y aurait pas de psyché équilibrée.

 

Chaque interprétation est donc une tentative de déchiffrer un texte inconnu. Il est très fréquent que le rêve exprime quelque chose d’étonnamment différent de ce à quoi on s’attendait. Jeanne sourit toujours à l’intérieur d’elle-même lorsqu’elle entend si souvent la phrase : »J’ai fait un rêve mais il n’est pas nécessaire d’en parler. Il est facile à comprendre…. » Si le temps le permet et que le rêve en question est quand même travaillé, il est surprenant de découvrir que des aspects totalement nouveaux et inattendus du rêveur peuvent apparaître.Il n’est pas rare de constater les changements qui s’opèrent alors dans sa personnalité.L’exemple d’Eliane, la prostituée qui avait sonné un jour à sa porte après avoir lu la plaque sur la façade de son immeuble est resté gravé dans la mémoire de Jeanne.

 

A suivre: Chapitre 13 La consigne c’est la consigne

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