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© 2016-2024 Anne-Marie Gabella

Violette n’a pas échappé au virus et elle se retrouve terrassée par une forte fièvre le jour de son examen de médecine interne.
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L’étang dégelé était bien annonciateur de beaux jours mais hélas, avec le printemps se développe une épidémie de grippe d’une virulence telle que ses victimes sont plongées dans un état de très grande faiblesse, incapables de sortir du lit. Les symptômes sont douloureux et certains malades ont l’impression de vivre leurs derniers instants. Ceux qui ne sont pas atteints par le microbe se cachent de peur de le rencontrer. Violette, hélas, n’a pas échappé au virus et elle se retrouve terrassée par une forte fièvre le jour de son examen de médecine interne. C’est pourtant la branche dans laquelle elle se sent le mieux préparée et l’idée de ne pouvoir se présenter devant les examinateurs fait encore monter sa température. Elle s’est bourrée de médicaments et tente de se mettre debout mais ne parvient même pas à atteindre la salle-de-bain. Elle retombe dans son lit et comprend qu’elle doit renoncer à tout espoir de se rendre à l’hôpital où se déroulent les épreuves. Peut-être n’est –elle pas la seule dans son cas et pourra-t-elle obtenir une autre date. La secrétaire de la faculté la rassure au téléphone car l’un des examinateurs est également grippé et l’épreuve a été reportée à un jour qui n’est pas encore fixé. Violette regrette de ne pas avoir son père à ses côtés mais elle a été si heureuse de pouvoir reprendre le studio d’une amie qui s’est mariée qu’elle ne va pas se laisser aller à des pensées moroses. Elle sombre bientôt dans un sommeil lourd peuplé de monstres. Ce studio qui lui a été proposé de manière providentielle a également apporté la solution à la question de la cohabitation avec Yvan. Lorsqu’elle l’a visité avec lui pour connaître son avis, il lui a vivement conseillé de le louer car il répondait à presque toutes ses exigences. Moderne, d’un loyer

raisonnable, très bien situé géographiquement, entre l’hôpital et le conservatoire, éloigné du bruit de la circulation, il aurait été stupide de ne pas le réserver immédiatement. Violette a été un peu déçue que son ami ne fasse aucune allusion au lit étroit coincé entre la paroi et la porte de la salle de bain et qui, visiblement, ne pouvait accueillir un couple, même très amoureux. Elle reconnaît cependant que si elle veut être franche, cette situation l’arrange. Une très profonde affection, une amitié presque fraternelle les lient pour toujours, espère-t-elle. Mais elle veut vivre des émois qu’elle ne ressent pas avec lui. Peut-être est-elle encore une fillette naïve de vingt-cinq ans attendant l’arrivée du prince charmant. La réponse du conservatoire n’est pas encore arrivée. Parfois elle s’affole devant son ambition démesurée. Mais qui ne tente rien n’a rien, se répète-t-elle. La représentation se fera dans le cadre de l’école et Violette veut croire qu’elle a ses chances de réussir. Elle a fait tant d’efforts pour mener de front deux apprentissages différents dont chacun exige que l’on y mette toute son énergie qu’elle n’a jamais envisagé un double échec. La question qu’elle se pose est plutôt celle du choix qu’elle devra opérer entre les deux voies qui s’ouvriront prochainement à elle, sans nul doute. Dans les contes de fées, la princesse élevée par le roi, son père, a d’elle-même une opinion si haute qu’aucun homme n’est, à ses yeux, digne de sa main. Elle ne peut que susciter l’admiration de tous ceux qu’elle gratifie de ses talents incomparables. La pauvre princesse a souvent beaucoup d’épreuves à traverser pour rejoindre le monde des humains auquel elle appartient et trouver enfin celui qui lui redonnera sa

dimension féminine. Dans l’inconscient profond de Violette il y a une princesse inaccessible que ses rêves permettront peut-être de transformer en une femme vivante.

Pour le moment, elle somnole, à moitié inconsciente et lorsque retentit la sonnerie de la porte, elle ouvre difficilement les yeux. Si c’est bien son père qui est là, comme elle l’imagine, il faut absolument qu’elle puisse se sentir en sécurité auprès de lui car elle commence à avoir très peur d’être seule. S’il allait repartir, la croyant absente et si elle venait à mourir? Personne ne serait là pour s’en apercevoir. Elle tente de se lever mais tous ses muscles la font souffrir et elle est incapable de sortir du lit. Elle veut appeler et ne parvient à émettre aucun son. “Pas fameux pour une future diva !” pense-t-elle, ce qui la fait presque sourire. Mais l’angoisse l’étreint encore plus fort.

La jeune femme croit avoir une hallucination car son père se tient à côté du lit. Il lui a déjà saisi le poignet et compte les battements de son pouls. Elle ne sait pas comment il est entré mais la toute petite fille qui appelait son papa dans le noir pleure de soulagement. Il est là. Il va s’occuper de tout.

Le Docteur Jules Marcau qui s’est fait ouvrir la porte par le concierge de l’immeuble, fronce les sourcils. Sa fille est très malade et elle doit être immédiatement transférée à l’hôpital. Il l’enveloppe dans une couverture et la soulève dans ses bras avec beaucoup de délicatesse car il craint qu’elle n’ait une pneumonie. Son état indique que la maladie est dans un stade avancé. Pourquoi ne l’a-t-elle pas informé plus vite? Il est presque fâché contre elle mais son inquiétude domine bien vite sa colère. C’est à la vitesse d’un ambulancier qu’il parcourt le trajet jusqu’à son lieu de travail où le service d’urgence est prêt à accueillir Violette. Il passera la nuit à son chevet et reprendra normalement

ses consultations le lendemain matin car elle est désormais en de bonnes mains et la situation devrait évoluer favorablement.

Au cours de cette longue nuit, le père inquiet repasse dans sa tête tous les moments heureux vécus avec cette enfant qui est le seul être au monde à l’avoir aimé inconditionnellement et qui lui a donné tant de bonheur. Elle ne peut pas , elle aussi, l’abandonner comme sa femme l’avait fait autrefois.

Chantal était plus jeune que lui d’une vingtaine d’années. Il l’avait entendue interpréter des lieder de Schubert lors d’un récital donné dans le cadre du festival d’art lyrique de la ville où tous deux habitaient. Dès qu’elle était apparue sur scène, il en était tombé follement amoureux. Elle avait une voix au timbre très particulier et ses professeurs lui prédisaient une carrière importante. Jules avait tout-de-suite compris que sans cet ange à ses côtés, sa vie n’avait plus de sens. Il devait la voir le matin lorsqu’il ouvrirait les yeux, savoir qu’elle l’attendait lorsqu’il rentrerait d’une longue journée et s’endormir auprès d’elle en la serrant dans ses bras. Son décor allait devenir magique et son monde enchanté. Il n’avait même pas imaginé que la jeune fille puisse avoir d’autres projets que celui de devenir sa tendre épouse et la douce mère de ses enfants.

Ce fut donc pour lui très surprenant lorsque la jeune artiste refusa ses avances. Elle avait un fiancé parmi les élèves du conservatoire et tous deux partageaient les mêmes intérêts, chacun encourageant l’autre à travailler sans relâche. Ils se réjouissaient de leurs succès réciproques, les fêtaient ensemble et se consolaient de leurs échecs. Giovanni venait de Florence et Chantal était très heureuse à l’idée de s’installer avec lui dans cette ville dont il lui avait fait découvrir les richesses.

Lorsque Jules entreprit sa longue croisade pour gagner son amour, elle avait cru tout d’abord qu’elle n’aurait pas de peine à lui faire comprendre qu’il l’importunait. Des hommes plus âgés lui déclaraient souvent leur flamme après un concert mais elle se contentait d’apprécier leurs compliments et ne répondait jamais à leurs invitations. Cela faisait partie de la profession et toutes ses collègues vivaient ce genre de situation. Elles en parlaient parfois entre elles et riaient lorsqu’elles reconnaissaient le même individu parmi leurs soupirants éperdus. Certains devaient tenter leur chance avec toutes les jeunes chanteuses. Chantal avait expliqué clairement la situation au docteur qui ne cessait de la recontacter et lui envoyait des fleurs dans toutes les villes où elle s’arrêtait lorsqu’elle était en tournée. Elle n’avait jamais su comment il connaissait son programme mais il y avait toujours un bouquet pour elle au théâtre où avait lieu le concert. Giovanni s’en était inquiété mais elle l’avait très vite rassuré. Ce monsieur ne l’intéressait pas et cette histoire allait cesser.Ce qui n’était guère possible. Car il n’y avait pas d’histoire. Il y avait juste un homme déterminé à épouser celle qu’il avait choisie et qu’il considérait déjà comme sa femme. Et si cela ne s’appelle pas le destin, cela y ressemble étrangement.

A suivre: Chapitre 6 La corne d’abondance

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