Créé le: 30.06.2021
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Le monstre

CorrespondanceLettre à mon ennemi 2021

Lettre adressée à celui qui fut mon ennemi de toujours et que j'ai mis plus de 10 ans à reconnaître comme tel. Il m'a fallu plus de 20 années encore pour sortir de l'abîme où il m'avait plongée
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Le monstre

A toi qui savais,

Ce n’était pas moi: j’étais la coulée de lave qui lentement et inexorablement se traîne jusqu’au point de non-retour.

 

En haut de cette allée de déshonneur où m’attendait un destin qui s’impose, je gravais sur un pan de ma longue robe blanche  ce passé bienheureux comme une relique sacrée  et tatouais déjà sur l’autre pan les prémisses d’un avenir  enfanté par les vestiges du passé de cet autre que moi

.

Chacun de mes  pas résonnait sur le sol en vieilles pierres, témoin habituel de tant de bénédictions et de ferveur. A mesure que j’avançais les vieilles pierres prirent l’aspect de sables mouvants  et du même aspect mes espérances et mon courage se vêtirent.

Les saisons et la raison passèrent et avec elles passèrent aussi le soleil et la lune.

La lave se figea des années durant enfermant dans son coeur une chrysalide et un soupçon de vie que réchauffait tant bien que mal ma relique sacrée.

Détruire, ni plus ni moins. Telle est sa mission.

Il reviendra autant de fois que nécessaire tant qu’il restera une étincelle d’amour-propre chez vous.

 

Il s’appropriera vos qualités en vous vidant de votre essence, vous poussera à l’erreur pour son bien à lui, puis vous reprochera cette même erreur qui vous rend indigne de lui.

Il collectionnera vos manquements qu’il aura provoqués et les utilisera contre vous avec l’aplomb de celui qui se pense au-dessus de tout.

 

Il réussira à convaincre grâce à ses ronds de jambes et ses pirouettes savamment apprises depuis l’enfance qu’il n’a jamais eue et vous serez pointée du doigt, impertinente que vous êtes ! Pour ne pas reconnaître en lui l’art de la danse et ne pas percevoir la chance qui est la vôtre d’avoir été choisie par un hasard qui n’en était pas un et qu’il a créé tout spécialement pour vous.

 

Il vous fera baisser la tête en signe de respect.

Il dénigrera tout ce qu’il a admiré chez vous au premier rendez-vous, vous isolera des amis qui seraient en mesure de voir la flamme de votre cœur s’éteindre peu à peu. Il séduira votre famille en leur servant des mots trempés dans l’opium qui endort. Il vous reprochera votre laisser aller dont il est le seul responsable, vous accusera d’aguicher si vous faites des efforts.

 

Il jugera votre niveau intellectuel comme défaillant en se basant, non pas, sur une échelle de valeurs, mais sur l’échafaud des reproches.

Il vous fera douter de vos compétences avant de les renier une fois pour toute à mesure que vous sombrez.  Il vous encensera en public et vous censurera à l’abri des regards. Il aspirera jusqu’à l’oxygène que vous respirez pour vous priver du souffle de vie. Il hurlera, puis vous reprochera de le faire hurler.

Il choisira et pèsera chacun de ses mots qu’il chargera dans le barillet de sa bouche avec l’intention préméditée de tuer tout espoir et toute espérance en vous. Il jouera avec vous à la roulette russe, chaque soir, chaque jour, et il ne sera jamais coupable puisque c’est votre doigt à bout de force qui se place sur la détente.

Il volera votre sourire pour le mettre sur ses lèvres. Il vous ôtera toute fenêtre de tir pour vous en sortir et les remplacera par de cyniques  miroirs aux alouettes qui vous renverront en pleine face tout ce que vous n’avez pas.

Vous baisserez le regard devant lui pour préserver votre âme de son âme noire.

Il étalera des prières récitées dans une église au hasard, église qui perdra de sa clarté lorsqu’ il y  pénètre.

 

Vous parlerez de moins en moins jusqu’à atteindre le silence qui soigne.

Vous apprendrez à ne plus entendre et en vous évadant dans les rêves que vous ne pouvez faire que de jour.  La nuit vous prierez pour que l’obscurité vous cache. Vous ne pleurerez plus tant la source est tarie.

 

Vous visiterez les églises en quête de sursis.

 

Vous choisirez de le croire sur parole plutôt que sous les cris.

 

Vous comprendrez qu’il peut neiger en plein été.

 

Vous vous remémorerez les premiers vertiges de l’amour avec celui auquel vous avez dû renoncer alors que lui vous aimait vraiment. Il ne restera désormais que les vertiges.

Vous aurez toujours froid et de façon subversive, vous commencerez à voir en noir et blanc, comme un chien.

 

Il s’adoucira devant votre pâleur, car il n’a pas fini de jouer, exprimant ses inquiétudes sur votre comportement incohérent. Il fera cela en public et le destinera à un public de premier choix: ces gens qui vous aiment et vous connaissent si bien.

Il confirmera ce qu’ils savent déjà : vous avez un fort caractère, de l’aplomb et de la répartie à revendre. Ils croiront dès lors, à la douceur de ses gestes, le plaindront même, ne verront pas la torpeur engendrée par la souffrance, le protégeront souvent de vos appels à l’aide qu’ils percevront comme des critiques envers le plus fabuleux magicien du monde.

 

Il versera quelques larmes feintes, ces larmes qui coulent sans peine, non pas par votre faute mais par la faute de ses nuits blanches, sales, hors du foyer.

Il rentrera pour attiser le feu de ce foyer en y jetant quelques embûches de plus.

Vous en ferez toujours trop ou pas assez, vous perdrez le sens de l’équilibre. L’harmonie et la joie vous tourneront le dos pour laisser place au néant. Vous n’aurez plus ni passé ni avenir, vous aurez presque autant de répit qu’un insecte pris dans la toile de l’araignée. Presque…car le coup de chance pour vous n’existe plus….reste juste le coup du sort qui s’acharne.

 

Vous ne compterez plus en années, mais en heures, en minutes et finalement en secondes. La confiance se muera en méfiance et sans encore le savoir, voilà le futur combat qui vous attendra une fois partie: tuer la méfiance.

 

Il vous faudra apprendre à utiliser ces instants éphémères de lucidité quotidienne pour élaborer « Le plan secret du reste de votre vie », les mettre bout à bout, durant des jours, année après année avant de jouer le rôle le plus important qu’il vous aura été donné de jouer.

 

Vous ramasserez à terre chaque miette de vos forces évanouies pour les réanimer.

Alors vous partirez, seule, le monde entier contre vous qui vous  accuse de détruire,  de mentir, de ne pas être à la hauteur. Vous admettrez alors que ce monde entier a raison. Vous détruisez, oui, les barreaux d’une prison où votre âme fut enfermée. Vous mentiez, oui, pour pouvoir garder secret le plan de votre vie. Vous n’êtes plus à la hauteur,  oui, trop d’années vous ont fait côtoyer les abysses d’un mental en souffrance.

 

Il va falloir apprendre à reconstruire les vestiges qui vous habitent,  à dire la vérité en confiance et vous convaincre qu’on peut prendre de la hauteur avec les ailes du courage qui elles, ne s’achètent pas. Mais vous le ferez car vous aimez la vie plus que tout et qu’il est possible de s’aimer soi-même à nouveau même contre le monde entier.

Si on attend de moi que j’accuse,  passez votre chemin,  je n’ai pas le temps pour ça  et si on attend de moi que je pardonne, tournez les talons, je n’ai pas ce pouvoir.

Ne vous méprenez pas lorsque je baisse encore la tête aujourd’hui.
Ce n’est ni un signe de faiblesse,  ni un signe de respect.
Les yeux étant le miroir de l’âme,  je préserve la mienne en évitant la vôtre.

 

Natacha Minghetti Majorana

Commentaires (5)

Ce

Celeste
21.02.2022

Très poignant et bien écrit. Quel difficile parcours ! Bravo pour ton courage. Nous sommes cousines, si tu as envie de me rencontrer après toutes ces années, ce serait un grand plaisir.

Thomas Poussard
12.08.2021

C'est à la fois la plus belle et plus terrible description d'un pervers narcissique et manipulateur que j'ai eu l'occasion de lire... Il n'aura, au moins, pas écorné votre talent.

NM

Natacha Minghetti Majorana
12.08.2021

Merci Thomas, cela me touche profondèment. J'ai mis plus de 20 ans pour être capable de mettre des mots sur cette triste aventure.

Eloïz
03.07.2021

Bravo pour ce texte qui garde son mystère tout du long. J'aime beaucoup le dernier paragraphe, il y a de très belles images et des phrases fortes.

NM

Natacha Minghetti Majorana
03.07.2021

Merci Eloïz, votre commentaire me touche infiniment. De tout cœur, merci !

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