Créé le: 15.04.2013
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Le clochard

Nouvelle

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Quand le mistral souffle à n'en plus finir
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Merde et remerde ! je n’en peux plus de ce mistral qui me siffle aux oreilles depuis des jours. C’est qu’il est vicelard, ce courant d’air. Il s’insinue dans la moindre faille de mes vêtements. Déjà qu’ils ne sont pas bien épais. Mon jeans troué qui n’a pas connu la moindre lessive depuis longtemps, n’offre qu’un bien maigre rempart à mes jambes. Et quand il a fini de me frigorifier le bas, ce salopard monte à l’assaut de ma chemise. Je le sens qui pousse tout ce qu’il peut pour entrouvrir le col de ma veste que je ne peux boutonner jusqu’en haut, vu qu’elle taille un peu trop petit. J’espère pouvoir me mettre un moment à l’abri de ce vieux mur de pierre que j’aperçois à quelques centaines de mètres. Pourvu qu’il soit abrité et du mistral et des regards.

Ouf ! C’est mieux, le sifflement s’interrompt dès que je me laisse tomber contre les pierres sèches. Heureux homme assis derrière cet abri providentiel, j’enlève le bouchon de ma bouteille pour m’en verser une rasade dans le gosier. Le vin rouge me semble encore plus aigre qu’hier soir. Mon estomac va encore me brûler durant des heures. Mais pas le choix, il faut que je me réchauffe. L’alcool me donnera un petit coup de fouet pour repartir, ce qui ne va pas tarder. Des aboiements persistent en provenance du mas de l’autre côté du chemin, à une vingtaine de mètres. D’ici à ce que le maître des lieux vienne voir de quoi il retourne, faudra que j’aie filé sans me faire voir, si possible.

Pas une seconde de répit. Si au moins j’avais un bonnet ! Le dernier que j’ai eu sur la tronche m’a été volé par un autre SDF, lors de ma petite sieste de midi, aux allées Paul Riquet, à Béziers. On ne se méfie jamais assez de ses compagnons de misère. Oui, Béziers, c’est déjà loin. J’ai dû filer, parce que la cloche, même ça, était devenue invivable là-bas. Du jour où les Roumains ont débarqué avec leurs hordes de gamins et leurs femmes mendiantes, je n’ai eu qu’à dégager. Pourtant, devant le parking de la poste, ça donnait bien. Je me faisais de quoi manger proprement et avec un peu d’intelligence, de temps à autre, une nuit au motel, histoire de me laver et de dormir dans un bon lit.

Souvenirs, souvenirs, la bouteille qui me tape la hanche à-travers la poche de ma parka, sera bientôt vide. Adieu l’ivresse, bonjour la réalité, le froid et cette saleté de mistral. On n’en finit jamais. Je marche le long d’une vigne, le chemin est sablonneux, la route principale n’est pas loin. J’entends les voitures passer et je m’imagine.

Il y a 3 ans, je suis au volant de notre petite Renault Clio. Suzanne est à la place du mort, non du passager, quoique… Derrière, côte à côte, mes petits chérubins, et je ne crois pas si bien dire, Lulu et Jeannot jouent à un de leurs jeux, dont je ne connais pas les règles, mais qui les fait beaucoup rire. Nous avons quitté Lyon depuis quelques heures, direction plein Sud, par la route Nationale. Pourquoi pas l’autoroute ? Bonne question. La réponse est tout aussi bonne : parce que nous n’en avons pas les moyens. C’est déjà un luxe de rouler en Renault, alors l’autoroute …

Suzanne prend le paquet de Gauloises bleues, s’en allume une avec le petit briquet rouge qui me sert depuis que je suis fumeur. Suzanne veut savoir si je veux aussi m’en griller une. De la tête, je lui fais signe que oui. Ça a le don de déclencher les rires sur le siège arrière. Je refais encore le singe. Je regarde un peu trop les effets du spectacle dans le rétroviseur.

C’est comme ça que je me suis retrouvé veuf et mes chéris au paradis. Depuis, ici, c’est l’enfer.

Commentaires (1)

Asphodèle
27.02.2017

'Simple et efficace, on se prend la fin en pleine figure, même si on la sent venir. C'est délicieusement bien écrit, sans jugement, sans fioritures, mais d'autant plus juste. Bravo'

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