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Le choix des Arts

Pourquoi choisir un art plutôt qu'un autre pour partager une émotions, raconter une histoire? Quand une oeuvre bouillonne au fond d'un estomac, il faut la laisser sortir... peu importe le biais...
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C’était ses derniers pas. L’ultime effort, la cavalcade finale. Plus que quelques mètres à parcourir avant de retrouver son chez-soi, sa famille. Il regardait autour de lui comme un étranger qui découvre de nouvelles terres. Il savourait ses foulées, dévorant des yeux les pavés de ces ruelles, les façades majestueuses de ces édifices qui semblaient protéger la ville plus encore que ces fortifications. Juste avant d’arriver sur le seuil de sa demeure, il leva les yeux au ciel. La cathédrale était là où il l’avait laissée, dominant les toits comme une mère qui couve ses petits. Il esquissa un sourire de soulagement.

Ce fut à cet instant précis qu’il décida d’écrire un journal de voyage.

Lui, le peintre reconnu, amoureux des visages aux pastels raffinés, décidait de s’intéresser aux mots. Tout de suite, il se mit au travail. Comme une douce infidélité, à son art, mais non à la beauté, il commença à dessiner des glyphes calligraphiés. Dans un premier temps, au détriment du sens, il laissa sa plume glisser sur sa feuille juste pour le geste. Pour le plaisir de voir la lettre se former sous ses doigts. Majuscules, minuscules, virgules, il modelait ses créatures typographiques créant des caractères. Un coup avec un empattement robuste. Un autre par un trait fin, léger comme l’air, pour laisser les voyelles s’envoler. Il voulait maitriser l’écriture comme il reproduisait, avec une minutie presque sans égal, ses corps humains sur ses toiles.

Comment pouvait-il exprimer par un texte les émotions qu’il transmettait dans ses portraits avec autant de virtuosité ?

La question le travaillait.

Il s’agissait de retranscrire en mots, ces images souvenirs des péripéties de ses pastels. Ces couleurs propres à chaque pays visité, ces contrastes mélanges subtils de tonalités, ces courbes d’épaules humaines à peine esquisser. Une mince affaire pour ses pinceaux mais un tourment pour sa plume. Il chercha longtemps des tournures de phrases comme on mélange des teintes sur une palette. Il passa des nuits, couché dans son lit, à chuchoter ses paragraphes à lui-même avant de les écrire au petit matin. Une schizophrénie artistique dont la folie ne serait que création absolue.

En tant que peintre, il aimait la lumière blafarde de l’aube. Dans sa peau d’écrivain, il appréciait le calme que lui inspirait le lever du soleil lorsque la feuille vierge sur son bureau était rattrapée par un rayon blanc émanant de sa fenêtre. L’encrier se mettait alors à scintiller invitant l’artiste à s’asseoir à ses côtés pour en découdre avec ses émotions.

Des mois passèrent, à remplir des pages de ratures et de taches d’encre.

Puis un jour, son récit fut achevé. Entre ses mains, un texte captivant était venu au monde.

Son auteur est Jean-Etienne Liotard. Portraitiste des grands de son époque pour lesquels il a voyagé dans toute l’Europe.

On raconte, un peu comme une légende, qu’en rentrant à Genève en 1778, il eut une illumination en levant les yeux au ciel pour contempler la Cathédrale Saint-Pierre. On dit qu’il aurait aperçu, en face de chez lui, la librairie de Mendel Slatkine dans ce qu’on pourrait définir une « prémonition visuelle ». Une fenêtre spatio-temporelle avec vue sur le futur. En effet, ce n’est que des années plus tard, en 1918, que la famille immigrée de Russie s’installera à la rue des Chaudronniers. Cette hallucination aurait incité Jean-Etienne à écrire. Comme un envoutement, le peintre se serait senti tiraillé entre ces deux formes artistiques : la peinture et l’écriture.

Aujourd’hui, toujours propriété des descendants Slatkine, la librairie est devenue un Café littéraire. Il y aura peut-être un jour un client qui en regardant en face croisera le regard de Jean-Etienne Liotard. Surement un peintre en devenir…

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Webstory
14.01.2022

Balade du 27 février 2021 dans la Vieille-Ville de Genève – Les textes inspirés par ce rendez-vous de webwriters sont visibles dans Histoires > Catégories > Balade des webwriters

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