Créé le: 30.08.2022
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Le chameau ne voit pas sa propre bosse, il voit la bosse de son frère.
La cage
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C'est dans la solitude et dans le désert, dans la confusion et dans le désordre que j'ai trouvé la voie à suivre. Il me fallait juste la nuit pour arriver à faire avancer mon chariot et mes chevaux dans la même direction.
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Je fais rouler mon chariot.
Je ne le quitte jamais.
Mon chariot, je l’ai trouvé au supermarché puis je l’ai décoré.
Orné d’objets improbables, mon chariot est incroyable.
Je le vois bien, tout le monde l’observe.
Chacun de ses objets ont été choisis minutieusement. Ils ont tous été trouvés à des moments clés. Il représente chacun à leur tour mon voyage et ma volonté d’avoir voulu avancer de manière indépendante et autonome.
Je suis parti lors d’une belle nuit d’été. Je vivais dans des contrées lointaines et ensoleillées. J’appartenais à une élite. J’étais un homme respecté. J’avais également un jumeau. Né légèrement avant moi, il avait dû reprendre l’entreprise familiale. C’était la règle.
Dans la famille, j’étais vu comme l’agité et le fantaisiste. Cette image me collait à la peau. Peu importe où j’allais, j’étais mis dans une case. Toute ma personnalité s’était façonnée par le biais de cette image. Comme mon frère était l’adulé, je m’étais éduqué seul. Je cherchais en vain à faire les choses bien. Je ne savais jamais par quel bout m’y prendre. Mes projets n’étaient jamais pris au sérieux. En somme, plus je grandissais, plus j’avais de la difficulté à assumer ces débordements. Las d’avoir toujours quelque chose à prouver, je suis parti à la rencontre de ma personne. C’est un soir d’été, au vent doux et chaud que j’ai commencé le périple de ma vie.
Dans mon pays, j’étais, dirait-on : « le spontané ». Les gens utilisaient ce mot surtout pour ne pas me vexer. Je n’étais pas patient et lunatique. Il fallait que ça aille vite, très vite. Le vide me faisait peur et me rappelait que j’étais seul face à mon destin. Je n’avais pas la lourde tâche de gérer ce fardeau familial mais être seul était un fardeau tout aussi difficile.
Tout n’était pas un échec lorsque j’allais vite. C’est vite que j’ai quitté mon quotidien. C’est vite que j’ai décidé de comprendre mes besoins. C’est vite que j’ai décidé d’offrir mes recherches dans un pays qui n’est pas le mien et c’est très vite que j’ai décidé de m’octroyer ce chariot.
Mon chariot est sur 4 roues.
Une cage métallique l’entoure.
Grâce à cette cage, j’arrive à entasser environ 240 litres de bazar.
En moyenne, mon chariot va aux rythmes de mes pensées.
Il va à l’allure du pas et parcourt avec moi les endroits où je suis demandé.
Véritable pièce de collection, mon chariot je ne l’ai pas volé mais fabriqué.
Je l’ai fabriqué de toutes pièces.
C’était il y a 7 ans.
Il ressemble à un véritable Caddie et mon nom d’artiste c’est Nafy, comme mon chariot.
Mon chariot est le miroir de mon âme.
Il représente mon cœur et ses intuitions.
Ma première intuition fut de quitter ma routine. J’agissais en fonction de mes émotions alors que ma famille souhaitait que je réagisse avec raison. Comme aucun poids ne pesait sur mes épaules, mon occupation du soir était d’allumer mon ordinateur. J’adorais éplucher les annonces qui me permettaient de sortir de mon monde. Faire ce travail de recherche me permettait d’envisager un nouvel avenir en liant ma sensibilité avec de la création. Devenir artiste, un soir, m’a paru être une révélation. J’avais déjà un talent fou à créer. J’adorais fabuler. C’était un état constant d’hallucinations que je ressentais, que je vivais. Les histoires, c’était mon truc. Cela me permettait de mettre à plat mes pensées débordantes. J’étais perdu dans une infinité de personnalités où il m’était possible d’attirer vers moi tous types de profils. J’étais un polymorphe. De visage expressif et par un profil imposant, attirer l’autre était une obsession et me paraissait être un véritable challenge. En réalité, de par mon physique, j’étais déjà un symbole d’autorité qui m’accordait silence et respect. J’agissais comme un chant de sirène. En déballant mes anecdotes, je me rendais attrayant alors qu’en vérité, il ne se passait et ne se passe rien, absolument rien. Grâce à un dégueulis de paroles, je rentrais dans une transe dans laquelle j’embarquais toujours un public pour marquer les esprits de mes spectateurs. Je savais créer la dépendance puisque, à chaque fois, mon public venait réclamer d’autres histoires. Je savais séduire par mon authenticité. Je captais leurs besoins fondamentaux en matière d’imaginaire pour donner du sens à leurs émotions et j’avais ensuite la capacité de les relier à un univers plus grand. Mes spectateurs s’identifiaient clairement à mes histoires.
Mon chariot était devenu le symbole de celles-ci et chaque objet qui l’orne, leurs appartenait, à mes histoires.
Autour de mon chariot, on compte 7 objets.
Les sept objets sont tous différents.
Sur mon chariot, on trouve un stylo, un agenda, une montre, une bougie, deux rois d’échecs, une carte de tarot et une petite boîte.
Le stylo est rouge. L’agenda est petit et en cuir. La montre est usée par la durée. La bougie est au ¾ utilisée. Mes deux pions sont des rois où l’un est blanc et l’autre est noir. Ils sont en bois délavé, du même bois que la petite boite. Pour finir, la carte de tarot que je possède est celle du chariot.
Le stylo rouge, je l’utilise dans l’agenda. Comme mon agenda est façon “moleskine”, il possède une petite pochette, à l’arrière, dans laquelle j’insère des tickets de caisse. Sur ces tickets de caisse, au dos, beaucoup de notes et de dessins y sont inscrits. Les notes qui se trouvent à cet endroit sont les informations que je n’ai pas encore enjolivées et utilisées face à mon public. Pour faire rêver mon public, j’ai un rituel précis où mon temps est compté car il est impossible de passer sa vie à rêver. La montre est l’objet qui ne cesse de me rappeler que pour donner vie à ma réalité rêvée, chaque chose à son temps. Et c’est grâce à ce rituel précis et minuté que j’ai pu y arriver. Ce temps, je me l’octroie, la nuit, comme la première fois que je suis parti. La bougie éclaire sur mon bureau mes pions blancs et noirs qui, à l’image de mes chevaux sur ma carte de tarot, inspirent mes voyages nocturnes. Mes deux pions, comme les chevaux, voient tout, ressentent tout. Ils sont blancs et noir mais également émotion et raison. Ils se séparent par le lever du jour et se rassemblent à l’arrivée de la nuit. Puis lorsqu’une histoire est finie, je la range bien soigneusement, dans ma petite boite, à la fin de la nuit.
L'agenda
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J’ouvre mon agenda. J’ai le modèle ministre. Chaque case est remplie de manière appliquée afin de ne manquer aucun rendez-vous dans la journée. Les journées s’enchaînent de travail acharné et tout doit être bien calculé pour me réserver des soirées de tranquillité.
Il y a 7 ans, J’ai repris l’affaire familiale. Les journaux locaux parlent d’un empire. Pendant longtemps, j’ai eu peur de ne traîner qu’un boulet, jour et nuit. Pour cette entreprise, j’ai tout bien fait, tout comme l’on m’avait demandé. J’avais eu de bonnes notes à l’école. J’avais suivi un cursus général et j’avais tout réussi, haut la main. Mes études scientifiques m’avaient appris à raisonner de manière cartésienne.
Mes parents avaient choisi mon prénom à l’image de ma réussite intellectuelle. Je m’appelle Ijabiun. En arabe, cela veut dire le positif, le favorable. À l’image de la signification, je devais réussir dans la vie.
Effectivement, pendant mes études, j’avais appris les chiffres mais peu les hommes. Mes intérêts, à ce moment, étaient restreints et tout tournait autour de mes chiffres. J’en parlais constamment. Mes chiffres, c’était mon sujet de prédilection. C’est grâce à ça, que la boite tourne et que je tourne avec elle.
Je tourne autour de pions qui ne me comprennent pas. Je tourne autour du pot. Mon corps et mon esprit fonctionnent d’une manière bien étrange. Comme je suis grand et imposant, il y a de la place pour les pensées parasites et paranoïaques. Auprès des autres, tout se bouscule, joie, tristesse, excitation et tout me rend de temps à autre dans un état second. Cet état second, je le qualifiais de moment « Tohu-Bohu » mais personne ne captait réellement la gêne.
Symbole d’autorité, je n’ai jamais besoin de faire pression sur les autres pour avoir ce dont j’ai besoin. J’étais l’image de l’ordre, de la prise de décision et de la responsabilité. C’est pour cela que mes journées avaient besoin d’être rythmées par ce que j’appelle des temps calmes. Des temps, où je pouvais ne penser rien qu’à moi et calmer la tempête de mes émotions pour revenir à la raison.
Mon agenda, dans lequel se trouve toutes les informations essentielles de ma routine, est un agenda façon « moleskine ». Sa couverture est en cuir noir. Chaque page possède un semainier et une page de notes. Dans mes notes se trouve un explicatif de mes réunions. Entre chaque explication, une ligne est sautée. C’est pour aérer et respirer. Dans le semainier se trouve une étoile rouge, tous les deux jours. Lundi, mercredi, vendredi, dimanche. Tous les deux jours, pendant une heure et demie, j’ai un temps pour moi. Une heure et demie que je m’offre pour jouer aux échecs. Aux échecs, je ne joue pas seul. Mon bras droit s’offre ce temps-là, avec moi. Cela fait 7 ans que le rituel dure et depuis 7 ans, je n’ai plus jamais perdu.
Le seul qui avait ce pouvoir là, à l’époque, c’était mon frère. Il me déconcentrait toujours avec des histoires rocambolesques. Je perdais le fil de mes coups d’avance et je me faisais happer par ses anecdotes. Il avait souvent l’air de souvent être au mauvais ou au bon endroit au bon ou au mauvais moment.
Un soir où nous jouions aux échecs, il me raconta une histoire. J’étais légèrement fâché du timing. La partie venait de démarrer. S’il me déconcentrait dès maintenant, on n’allait pas rentabiliser mon temps libre bien longtemps. J’allais perdre le contrôle et je ne supportais pas ça.
Je ne supportais pas, ne pas comprendre autant d’énergie débordante et étouffante. Cette énergie étouffait et embrouillait mes esprits. Ses émotions étaient vécues avec une intensité démesurée et elles étaient, parfois, difficiles à maîtriser. J’en perdais le fil. L’échiquier n’existait plus et je buvais ses paroles. Dans ses histoires, il contait souvent des événements du quotidien. Dans ces évènements, il ajoutait assez de piquant pour que quelque chose de normal et habituel devienne incroyable et formidable.
L’échiquier sur lequel on jouait était en bois. Le bois atténuait le sombre des 32 cases noir. Les 16 pions noirs, aussi en bois, paraissaient délavés.
J’utilisais toujours les pions blancs et mon frère toujours les noirs. Cela représentait notre volonté à vouloir toujours se différencier. Lorsqu’il gagnait, je bouillonnais d’avoir perdu la face et lorsque je gagnais, il boudait et mettait des jours à sortir de sa coquille. Jusqu’à une nuit où il a craqué sa carapace de repli.
Le lendemain de cette nuit-là, fut le jour où j’avançais mon fou en ligne quatre, c. C’est le jour où mon frère m’a raconté à quoi ressemblerait sa vie, s’il quittait cette cage dorée dans laquelle on avait été élevé. Il avait tout prévu et imaginé. Il me racontait que tout son succès se révèlerait lors de belles nuits d’été, dans des contrées lointaines où les passants ont besoin d’être ensoleillés par de l’authenticité. Il ferait rouler sa cage dorée, jusqu’à eux pour leur montrer qu’on peut toujours s’en échapper. Chacune de ses nuits rendraient son quotidien, de base, lassant et ennuyant , réellement attrayant et passionnant. Il utiliserait, grâce à sa vivacité, sa cage comme un voyage à partager. Et c’est après cette histoire qu’il a choisi de partir dans la nuit. Il avait enfin décidé de vivre sa vie dans un bonheur extrême alors que moi je subissais mes journées avec une profonde tristesse. Nous nous ressemblions tant, dans notre fonctionnement, alors que nous agissons tellement différemment.
À l’image de cette carte de tarot qu’il gardait toujours sur lui, nous étions, ensemble, le prince. Nous avions, ensemble, le pouvoir de grandes choses. Il était seulement difficile de comprendre à qui il était le tour de diriger notre attelage pour faire meilleur usage de notre vie. Il était l’émotion, j’étais la raison. Il était moi et moi j’étais lui. J’étais la journée et il était la nuit.
Commentaires (1)
Starben Case
06.12.2022
Histoire étrange, ambiance mystérieuse qui rappelle les contes orientaux racontés au coin du feu dans le désert. Tous vos personnages sont énigmatiques, comme s'ils passaient d'un corps à l'autre selon vos récits, mais ils sont fabriqués avec la même recette mystérieuse. Captivant
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