Créé le: 27.08.2019
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L’avenir est un chien qui aboie

Nouvelle

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© 2019-2025 a André Birse

Je ne veux pas en parler (titre en anglais). Le chanson date de 1972. Le” hit” de 1975.  La séquence vidéo de 2004. 198 millions de vues. Webwriter vous dis-je.
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L’avenir est un chien qui aboie

 

 

Elle ne veut pas en parler, dire qu’il lui a brisé le cœur. Comment il l’a fait, combien puissamment elle le ressent. Ces mots pourraient être de lui. Avec un immense succès, avant, sans elle, il les a chantés. Ce soir, à ses côtés, de la rue venue devant un public qui ne sait rien d’elle et ne souhaite entendre que lui. Elle pose sa voix sur des mots d’habitude. La peine que l’on a. Le refus de parler. La volonté de refuser. Pas à ce propos. Ne parlons plus de ça. Le tour du monde avec les mêmes mots. En respectant la mesure et les notes, les unes après les autres. La gamme des sentiments, nécessairement. Elle le chante avec douceur, force et talent. Humainement compatibles.

 

Son regard bleu délavé. Hier encore dans la rue, elle y retournera. Lui vêtu de jaune, connaît chaque note et s’en amuse. Entre attitudes d’arrogance et de protection, il la regarde, lui laisse une place et la dirige. Elle est intimidée et déterminée, polie, grave et radieuse, par instant, à chaque note, tempo ou mesure, lui laisse du temps, invite à céder la place et à la reprendre ensuite avec les mêmes mots. Je ne veux pas en parler. « Si je reste ici un instant de plus, si je reste, sauras-tu entendre mon cœur ». On en vient vite à cette question-là. Elle revient à lui par le regard, aurait pleuré depuis toujours. Il le lui a dit. Elle n’est vêtue qu’à demi sur les hanches. Là c’est lui qui regarde. Je le vois, la regarde aussi, timide et décidée à reprendre au milieu du couplet. Face et dos. Hanches et bras qu’elle enlève de là. Evite par les gestes tout risque de connotation. Ne veut pas en parler. Combien elle eut de peine. Mots masculins ou féminins. Mots d’homme à une femme chantés par celle-ci. Si, elle reste un instant de plus. Il en dirait tout autant.

 

Il lui  tourne le dos pour lui permettre d’être seule et brillante. Les étoiles ne signifieraient rien, ne seraient qu’un miroir. Les yeux de la star la regardant, d’abord ailleurs, dans le vide, puis beaucoup plus précisément. Pas même une seconde. L’éternité n’a de sens que dans la furtivité du plaisir qu’elle concède. Elle est attirée par lui qui pense à sa gloire, à sa place dans le ciel. Elle, toute entière dira maintenant son envie d’en être sans avoir à en parler, laissera son chant nous séduire et le remerciera. Le mot cœur prononcé des centaines de milliards de fois. Pour avoir du nombre une idée. Le sens nous le connaissons. Les modulations de sa voix.

 

Il faut que l’autre le sache et la musique aide à cela. Ecouteras-tu? Ne pas vouloir en parler et tout dire par ce refus qu’il faut répéter, sans ressassement. Hurlant son lamento, le saxophone, une femme qui se lève et les voix en sueur. Leurs sourires dissemblables, leurs tréfonds différents. Elle reprend après le public, « si je reste un instant de plus ». Lui aussi a exprimé sa satisfaction, en tirant, fort et fier, sur sa cravate rayée, comme pour finir un nœud. Il a d’un geste net, sans se retourner, instruit ses choristes de faire silence. Elle reprend seule après le public ravi d’entendre et de participer. Plus personne ne veut en parler. Chacun sait que personne n’écoute. Tant d’impasses avec tant d’émotions. Mais ce soir-là, c’était dans le ciel et sur scène, inouïe, une juste et vulgaire perfection. Elle passe du sourire émerveillant à la gravité de circonstance, pour la vie et pour le chant se perpétuant.

 

En anglais, il y a un h aspiré dans le mot cœur. En français, nous avons une consonne uvulaire. Entre langues et à travers genre, il y a des différences. A la fin, elle remercie avec beaucoup de reconnaissance et n’hésite plus. Elle l’embrasse alors que plus personne ne croit à l’infini. A tort si l’on entend bien le saxophone et le son des voix dans le silence de certains cœurs. Il dit son nom. Amitié et beauté. Deux fois. Elle remercie. Deux fois et se jette dans ses bras. Il accepte et aussitôt s’en va travailler à sa gloire.

 

La suite n’a plus d’importance. Je ne veux pas en parler. Mais la mélodie s’est, au hasard de nos divagations, insinuée en moi sans m’offenser, depuis le début de l’été.

 

Le titre avec le chien, m’est venu comme ça pour définir ce que semble être le devenir des instants de grâce, s’agissant d’attirance. Je ne veux plus en parler. Si j’écris encore un instant saurez-vous combien mon cœur est brisé ? Le cou d’Amy est entouré d’un collier de perles blanches qui révèlent et proscrivent les anciens rêves. Lèvres rougies par un maquillage audacieux, cheveux noirs cachant le front, yeux perdus dans leur propre bleu, elle passe d’un rire, qui avait sur ce moi visionnaire et visionneur un pouvoir séducteur, à une expression de tristesse que l’on n’aime pas reconnaître.

 

J’ai toujours entendu cette voix (masculine, l’ajout féminin est plus récent) et cette chanson traînante et soucieuse de s’incruster. Marbres de l’adolescence et de ses suites. Sans y prêter à vrai dire attention, je le croyais sincère et les diffuseurs aussi. Cela devait mener à quelque chose. Tristesse constructive, rencontres offrant des perspectives. Mais à la vérité, comme sur cette scène ce soir-là, c’est une suite de non-rencontres avec une infinités d’émotions qui semblent nous attendre.

 

Je ne demanderais plus au chien de se taire. J’irai lui consacrer un moment, avec trente ans de retard, et lirai dans son regard apaisé que la seule rencontre illimitée est celle que l’on fait avec soi, au fil du temps, rendez-vous qui ne devrait être de disgrâce. Ce n’est pas la seule vérité, mais c’en est une, imaginaire. Les autres affluent au bout des doigts du guitariste et peut-être des bras de Ben Gazzara – un homme lui ressemblait dans le public, doucereux, et de deux femmes entouré – dans la voix de la star ou celle de la jeune femme sur scène venue, sans écarter (en aucun cas) la saxophoniste, ni même les choristes. Mais ce sont des vérités enfouies dans le temps vidéo. Reste le ciel avec les étoiles qui n’en seraient pas et que regarde le chien. Dans mes souvenirs, je l’accompagne. Sans rancœur, il me tient en éveil.

 

Genève, juin 2019, relu et publié ce soir (relu encore 27 avril 2020 et 28 novembre 2020)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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