Créé le: 27.09.2021
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Grandir

Journal personnel

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© 2021-2024 Omar Bonany

© 2021-2024 Omar Bonany

Texte paru au sein d'un recueil collectif en septembre 2021 (Éditions Soleil Blanc), sous le titre générique «D’Écrire ma ville Lausanne»
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G R A N D I R

 

Omar  Bonany

 

 

 

Étudiant perpétuel, avide de tout savoir.

Gottfried  Keller,  Henri  le  Vert  (1855)

 

À Mme B., auditrice à Dorigny

 

C’était la figure vivante de l’Ordre, le maître du château aux ouvertures condamnées, où il était relégué à demeure. Mais il y avait de loin en loin des enclaves franches ; des terres inaliénables et libres, étrangères à sa juridiction.

Il en allait ainsi de la Bibliothèque municipale.

Déjouant sa surveillance, il s’éclipse à la première occasion pour gagner cet ermitage. Imperméable aux rigueurs d’un père habité de noires obsessions, c’est la serre chaude où il peut enfin trouver asile en toute quiétude.

De Chauderon à Montriond, impropre à concevoir qu’il puisse se trouver endroits plus hospitaliers, il y aménage ses quartiers; il y prend racine, sous la conduite des Anciens tout autant que des Modernes.

Dans la suite des temps, d’autres lieux d’ancrage s’offrant à sa curiosité, il s’avise d’y pousser une reconnaissance. Tombant successivement dans leur attraction, ce fut ainsi, du Cercle littéraire aux ors du palais de Rumine, sa triomphale tournée des grands ducs.

Puis vint la citadelle, dont il n’entend plus déserter l’enceinte.

C’est sous les murs de Dorigny, où il emprunte la casquette d’auditeur libre, faute d’y occuper de plein droit une place attitrée sur ses bancs.

Payant ce providentiel sauf-conduit d’une assiduité redoublée, il s’emploie de cette manière à rattraper ses classes. Elles furent, il y a beau temps, ruinées par le fait du prince ; mais ce dernier a beau avoir disparu, et ses lois d’airain tombées en désuétude, ses injonctions déchirent toujours ses nuits.

Désormais, c’est au sein de ce vivier où la pluralité des disciplines, à l’égal de la Maison de Salomon*, ne sont jamais en peine d’officiants, qu’il travaille à se rétablir dans son estime.

C’est là qu’il prend à tâche de grandir et de réduire ses plaies et bosses, en travaillant à restaurer, vaille que vaille, le livre dévasté de son passé.

*Nouvelle Atlantide, Francis Bacon (1627)

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Caroline Rieder, quotidien 24 Heures (22 septembre 2021)

«Deux cents habitants racontent leur Lausanne. La capitale vaudoise se donne à lire dans de courts textes de 1200 signes rassemblés dans l’ouvrage collectif  D’Écrire ma ville Lausanne…»

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Pour consulter d’autres productions du même auteur, cliquer sur son nom, en haut à droite

 

©  Septembre 2021

(Texte remanié en 2024)

Commentaires (3)

Omar Bonany
17.03.2024

Bref, comme dirait la Sévigné, mille bontés pour votre chaleureuse appréciation, Starben Case. (Les 450 caractères admissibles ne me permettant guère d'en dire plus ci-dessous)

Omar Bonany
17.03.2024

C'est en adepte convaincu de l'Art du peu, après avoir côtoyé Saint-Simon ou Jules Renard (qui ne se paient pas de mots), que je m'emploie à forger de telles formules. Ceci dit, ce texte ressortit du vécu. Le père habité de noires obsessions, malgré toutes ses qualités par ailleurs, a bel et bien dévasté mon existence; mais grâces soient rendues à ce qui constitue notre intérêt commun ici: les livres, sans le soutien desquels je ne serais plus

Starben CASE
17.03.2024

“… restaurer, vaille que vaille, le livre dévasté de son passé.” C’est exactement l’aventure qu’il faut entreprendre pour rendre un livre tout beau tout neuf à la fin d’une existence. Jamais expression si courte n’a exprimé cette réalité. Merci Omar

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