Créé le: 02.02.2023
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La Voix de la Bête

Fantastique, Horreur, Nouvelle

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© 2023-2024 Thibaut Barbier

Chapitre 1

1

Yann Holligan, athlète de haut niveau et de renommée internationale, voit sa vie basculer lorsque un vampire le transforme en l'un des siens. Histoire inspirée d'un personnage créé pour une campagne de jeu de rôle Vampire la Mascarade.
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Durant toute sa carrière d’athlète, Yann Holligan ne laissait aucune place au hasard. Pour lui, un entrainement minutieux et approprié garantissait une progression systématique. Et s’il considérait atteindre un plateau, il modifiait intelligemment son programme pour le dépasser. Il acquit l’admiration et la renommée auprès de ses pairs, ainsi que des récompenses diverses pour ses efforts. Pourtant, il ne leur accordait pas tant de crédit. Seule la pratique du sport et les performances de son physique avaient du sens à ses yeux. Lorsque les projecteurs commencèrent à se braquer sur lui, il décida de vivre en ermite dans les campagnes boisées de Virginie. Il investit un village reculé et débuta une vie discrète. Il profita de ses fonds pour louer un petit appartement mais surtout acquérir un pick-up fonctionnel et confortable. Il reprit ses entrainements dans les environs verdoyants et revenait dans la civilisation uniquement pour les compétitions.

Son comportement attira quelques questionnements qui furent rapidement dissipés dans un premier temps. Son entraineur attitré accepta la situation facilement, en particulier à la lumière des progrès constants de Yann. Il l’encouragea à poursuivre sa routine et prenait des nouvelles sporadiquement. L’athlète quant à lui savourait les étendues sauvages, approchant parfois des animaux qui s’accoutumèrent à sa présence régulière. Il connaissait mieux les forêts que les villes, et s’entrainait dans des conditions toujours plus complexes. Il excellait en particulier dans la course à pied. Il traversait les bois dans un sens et revenait paisiblement dans l’autre, s’arrêtant devant les merveilles de la nature.

Une saison, la compétition le ramena comme à son habitude devant les projecteurs. Yann Holligan, encore dans la force de l’âge, arborait un physique impressionnant. Son entrainement lui permit de renforcer équitablement son corps, et lui garantissait d’excellents résultats pour le tri athlétisme. Ses compétiteurs progressaient également à bon rythme, le stimulant toujours plus dans sa quête de perfectionnement de son physique. Il remarqua un jeune homme qui semblait particulièrement prometteur. Tous deux concouraient pour les mêmes disciplines et l’entraineur de Yann lui confirma que le jeune homme possédait déjà un excellent niveau.

Le jeune homme répondait au nom de Mark Harrington. Un nom que Yann n’oublierait pas de sitôt. Ils débutèrent la compétition par une course de vitesse avant de poursuivre par le marathon. Yann découvrit le potentiel incroyable du jeune Mark et s’extasia devant les perspectives à venir. Mais ses pensées retombèrent lorsque le jeune homme le dépassa et termina en première position dans la compétition. L’attention autour de Yann se redirigea subitement sur le nouveau venu. Et les premiers commentaires s’élevèrent autour de la performance de Mark. Malgré un âge encore raisonnable, Yann se heurta à la dure réalité de la vie.

Son entraineur tenta de le réconforter en lui rappelant la possibilité de devenir entraineur à son tour, laisser la place aux plus jeunes. Mais Yann refusa d’abandonner immédiatement. Il n’avait que 30 ans, il estimait pouvoir encore progresser. Il reprit alors son entrainement toujours avec le même sérieux mais en augmentant l’intensité. Il voulait dépasser le nouveau plateau qui pesait sur lui. Des mois durant, il explora les terrains inhospitaliers et se mesura aux aléas de la nature. Il se confronta aux bêtes sauvages, afin d’augmenter ses capacités de courses. Il apprit également quelques mouvements d’arts martiaux et de combat à mains nues, qui demandaient notamment un bon jeu de jambes. Il améliora davantage sa condition physique mais malheureusement, son nouveau rival en faisait de même.

Mark Harrington poursuivit son ascension dans la notoriété, éclipsant petit à petit la présence de Yann. Le jeune homme exultait de cette attention et se voyait gratifié de différents honneurs. Il acquit en confiance et défiait ouvertement son prédécesseur, aboyant des railleries puériles. Yann ne prêtait à première vue que peu d’attention à cet individu arrogant. Mais au fond de lui, la jalousie fermentait dans son sang. Il justifiait le succès de Mark par son beau minois plutôt que ses performances physiques. Pourtant, les deux hommes se ressemblaient beaucoup. Séparés de seulement 7 ans, les deux possédaient un physique solide. Plutôt grands et bien proportionnés, ils avaient tous deux un visage masculin et agréable. Même leurs noms sonnaient pareil. Ils ne se distinguaient finalement que par deux critères : la couleur de leurs yeux et celle de leurs cheveux. Yann était brun aux yeux noisette et Mark blond aux yeux bleu.

Chapitre 2

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Les comparaisons constantes agaçaient Yann. Partout, les titres faisaient mention de la montée du blond face à la chute du brun. L’ombre contre la lumière. Malgré ses efforts, Yann ne parvenait plus vraiment à progresser et pire, il se sentait faiblir. Il refusait de l’admettre, pourtant son corps commençait son immanquable vieillissement. Il retourna dans les étendues sauvages et s’entraina encore comme un ermite, à bord de son pick-up, et explorant la nature indomptée. Il s’émerveillait toujours autant et le spectacle lui suffisait à oublier ses tourments et sa rancœur contre le jeune Mark. Jusqu’à ce qu’il repense à son rival et plonge de nouveau dans une jalousie noire. Les mois passèrent et Yann revint dans le petit village de Virginie qu’il connaissait bien. Les terrains familiers l’accueillirent solennellement et il gouta de nouveau aux plaisirs d’autrefois.

Pourtant, une présence tapie dans l’ombre observait cet intru qui osait s’aventurer sur son domaine au crépuscule. L’agitation de la faune et la baisse de la luminosité n’empêchèrent pas cet individu de poursuivre son exploration. Yann continuait sa course et se dirigeait tranquillement vers son pick-up, inconscient de la menace terrée non loin. Les yeux rouges inhumains suivaient le moindre geste du coureur insolent, avant de disparaitre dans les fourrées. Yann sortit des bois et s’éloigna de son havre de paix à bord de son véhicule, épuisé mais heureux de sa session de sport. Il rejoignit le village voisin et reposa son corps affaibli par les efforts soutenus. Il tentait d’ignorer au maximum le vieillissement sur son corps.

Mais plus les jours passaient, et plus Yann se préoccupait au sujet de sa vieillesse. Il réalisait que le sport représentait toute sa vie et que s’il perdait cet aspect, son existence ne lui suffirait plus. Il consulta des spécialistes qui s’obstinaient à vanter sa santé de fer mais il refusait d’entendre ces commentaires. Ses performances déclinaient là où ses rivaux s’amélioraient. Là où Mark s’améliorait. Il repensa au jeune homme arrogant qui le narguait à la moindre occasion. Yann enrageait de voir cet impertinent grimper dans sa renommée, arrachant les dernières étincelles du champion maintenant déchu. Les journaux ne s’intéressaient plus qu’au petit miracle de la compétition et oublièrent l’existence même de Yann. Ce dernier ne supportait plus cette hypocrisie, et s’en voulait même de donner du crédit à ce jeu de marionnettes orchestré dans l’ombre du sport.

Un jour, Yann perdit son dernier contact avec le monde de la compétition. Son entraineur, au lieu de venir le saluer comme à son habitude, discutait avec le jeune Mark. La vision de la trahison lui arracha le cœur et une violente douleur assaillit sa poitrine. Les trois hommes se saluèrent et l’entraineur annonça fièrement reprendre le suivi de Mark. Il proposa à Yann une collaboration ou une opportunité pour devenir également entraineur, mais celui-ci refusa poliment. Dans son esprit, la haine s’installait sans retenue. Il jura même voir Mark sourire d’un air goguenard dans sa direction alors que son ancien entraineur s’éloignait. Yann se retint de bousculer son rival et quitta les lieux pour retrouver la forêt de Virginie.

Il statua que sa vie en ermite lui suffirait. Il arpentait les étendues sauvages, en soif d’aventures et d’évasions. Les rires narquois du jeune rival hantaient son esprit, le forçant à courir encore plus loin. Il traversait les forêts, les clairières, les cours d’eau et les plaines, soit à pied soit au volant de son fidèle pick-up. Il gouta à l’ivresse des grandeurs et à la tranquillité de la nature. Mais la compétition résidait dans son cœur, si bien qu’il continuait ses entrainements. Il courrait contre des adversaires imaginaires et remportait des récompenses glanées lors de ses expéditions. Et sans le réaliser, il attirait toujours plus l’attention de la créature dans les bois.

Chapitre 3

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Un soir, au crépuscule, Yann décida de poursuivre sa course plus longtemps encore. Personne ne l’attendait, aussi sa décision n’aurait pas d’impact selon lui. Il courrait au plus profond des bois, là où le soleil ne parvenait plus à percer à travers les feuillages. Tout à coup, une sensation désagréable l’assaillit. De manière inexplicable, il jurerait être observé. Il continua sur sa lancée mais surveillait les alentours, craignant une présence malveillante. Malheureusement pour lui, la réalisation survenait beaucoup trop tard. Les yeux rouges brillant le tenaient en chasse et bientôt, la créature serait sur lui. Les bruissements de feuilles annoncèrent la venue du prédateur et Yann eut tout juste le temps de le voir foncer sur lui.

Il s’agissait d’une aberration humanoïde qui n’existait normalement que dans les contes. Une fourrure éparse couvrait sa peau décharnée tandis que des griffes effrayantes se dressaient au-dessus de sa tête, prêtes à agripper leur proie. Dans un sursaut de survie, Yann se prépara à courir mais la créature plongeait déjà sur lui. Il se débattit violemment, repoussant la tête déformée qui s’apprêtait à enfoncer des crocs pointus dans sa nuque. Il se défit de l’étreinte du monstre, en vain. Le vampire planta ses canines dans la jugulaire et s’abreuva du sang de l’athlète. Yann repensa avec regret aux derniers mois de sa vie. Le souvenir du rire narquois de Mark accrut sa fureur et il se dégagea de la créature une dernière fois. Le vampire, amusé par la résistance de sa proie, joua encore un peu plus avec lui avant d’absorber la dernière goutte du liquide vital de l’athlète.

Face au corps sans vie de sa victime, une poussée de lucidité traversa les pensées du vampire. Il voyait en cet individu un potentiel allié. Il tailla ses propres veines de ses griffes et laissa couler le fluide visqueux noirâtre dans la gorge de l’ancien athlète. Le corps fut pris de convulsions et un cri s’échappa de cette carcasse auparavant inanimée. Yann se tordit de douleur sur le sol. Il sentait une force pulser dans ses veines et ses entrailles se charger d’une énergie nouvelle et malfaisante. Satisfait de son œuvre, le vampire laissa sa création se débattre contre les puissances de la nuit et s’enfuit de la scène. Il respectait ainsi la tradition de sa lignée : abandonner les nouvelles recrues à leur sort et tester leur résilience. Si sa progéniture survivait, il serait digne de rejoindre ses rangs et devenir un allié de choix.

Yann se réveilla dans l’obscurité de la forêt, allongé sur le sol. La lune haute dans le ciel lui indiqua l’heure avancée de la nuit. Il se releva péniblement mais ne ressentait étrangement aucune douleur. Ses derniers souvenirs flottaient dans un brouillard dense de pensées chaotiques. Il revoyait une attaque d’une créature indéfinissable, des yeux rouges, et plus rien. Il s’apprêta à rejoindre son pick-up lorsqu’une douleur déchira ses entrailles. Le sang battait ses veines et un vrombissement sourd saturait ses oreilles. Sa vue se floutait de rouge. Cette sensation horrible lui était absolument inconnue. Soudain, il perçut une odeur qui chatouillait ses narines. Une odeur délicieuse et irrésistible. Guidé par le fumé, il croisa la route d’un animal visiblement blessé. La fragrance émanait de lui. Il sentait le sang. Ce délicieux sang qui provoquait son appétit.

Yann se rua sur l’animal qui tenta de s’enfuir. Mais la soif de sang octroyait des ailes au prédateur. Il piégea sa victime sans peine, l’immobilisa et planta deux canines pointues dans la nuque de la faible créature. Le sang chaud emplit sa gorge et bientôt son corps. La douleur s’atténua et les sensations assourdissantes se calmèrent de concert. Une profonde satisfaction emplit le nouveau vampire qui observa la carcasse exsangue étendue sur le sol. Il s’agissait d’une biche. Yann ne s’en rendit compte que maintenant. La faim avait paralysé tous ses sens et sa raison. Il venait de tuer. Il réalisa pleinement la conséquence de son geste. De ce qu’il était devenu. Il décida de s’enfuir de ces bois maudits à bord de son pick-up.

Chapitre 4

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Il retrouva le village voisin plongé dans le sommeil. Il se glissa dans son appartement, tourmenté par les horreurs des derniers évènements dans la forêt. Mais sa vue se flouta de nouveau de rouge, des douleurs vrillèrent ses entrailles. L’appel du sang résonnait de nouveau. Il devait s’abreuver. Une fragrance délicate et familière chatouilla ses narines. Il sortit instinctivement dans la rue, guidé par son impulsion meurtrière. Il se déplaçait avec aisance dans les environs déserts et tout juste éclairés. Une masse rougeoyante se tenait non loin, progressant en titubant. Il avait faim, terriblement faim. Et cette proie facile s’offrait outrageusement à lui. La masse tomba bruyamment sur le sol, elle empestait une odeur âcre qui provoqua un léger recul avant que Yann plante ses canines pointues dans la chair tendre et viciée. Cette fois, le goût du sang le délecta profondément. Une extase indescriptible le grisa tandis que le sang affluait dans sa gorge. Il observa sa proie et réalisa qu’il s’agissait d’un humain.

Yann eut un mouvement de recul. Se nourrir de cet homme le terrifia au plus haut point. Il n’était pas parfaitement rassasié. Mais poursuivre cet acte sanguinaire lui provoquait des sentiments contradictoires. Il abandonna le pauvre homme ivre sur le sol et s’enfuit de la scène du crime. Il ne pouvait plus rester dans ce village, il redoutait l’appel du sang qui l’obligeait à tuer. Et il sentait que s’il succombait, il se transformerait en une créature plus terrifiante encore. Il se rua dans son appartement en une fraction de seconde, emporta de maigres affaires à la volée et se dirigea vers les bois à bord de son pick-up. Il ignorait ce qu’il ferait par la suite mais il estimait que cela pourrait attendre le lendemain. Pour l’heure, il décida de se cacher.

Il arriva à l’orée du bois, les sens encore en alerte. Le sang irriguait généreusement ses veines. Il se sentait comme en vie. Il descendit de son véhicule après l’avoir dissimulé dans des fourrés. Il constata qu’il ne percevait pas la température de la nuit. La fraicheur ou la chaleur n’avaient plus d’influence sur lui. Il observa le dédale végétal se dresser devant lui et entama une de ses courses rituelles. Les pas s’enchainaient avec une aisance inouïe et Yann s’extasia de son agilité presque surnaturelle. Et son corps ne semblait plus se fatiguer. Il jouissait de cette énergie incroyable et relativisa complètement les assauts qu’il avait perpétrés. Il considéra que sa situation avait certainement une raison. Et il continua sa course jusqu’à ralentir par une torpeur incontrôlable.

L’aube commençait à poindre, et Yann s’affaiblissait progressivement. Il comprit qu’il avait besoin de dormir. Une fois de retour à son véhicule, il s’enveloppa dans un drap qu’il gardait pour camper en extérieur. Depuis sa décision de vivre en ermite, il délestait régulièrement les villes. Il avait déplacé le véhicule encore plus à l’ombre pour ne pas être dérangé par le soleil levant et s’endormit paisiblement. Il se réveilla la nuit suivante, et s’aventura de nouveau dans la forêt plongée dans les ténèbres. Il voyait particulièrement bien dans le noir et utilisa son acuité précise pour scruter ce qui était invisible à ses anciens yeux. Après de multiples pirouettes et des accélérations entre les arbres, Yann croisa la route d’un autre individu qui s’aventurait dans les bois. Légèrement surpris par la présence, il se cacha instinctivement derrière un arbre.

« Inutile de te cacher, j’ai senti ta présence depuis bien longtemps », annonça l’autre à voix haute. Il parlait avec une voix étrangement douce, qui recelait des nuances de sadisme. Yann s’approcha prudemment et constata que l’être humanoïde tirait davantage sur la bête que sur l’homme. De multiples traits animaux décoraient la silhouette menaçante de crocs, griffes, touffes de poils et ses yeux rouges perçaient l’obscurité ambiante. L’éclat écarlate réveilla des souvenirs douloureux à Yann. Le vampire se présenta à lui et lui expliqua son nouveau statut de vampire, de non-vivant. Il absorba avec une forme d’admiration et de respect chaque phrase que lui donnait le mystérieux individu qui se faisait appeler Greyskin. Puis il lui lança un défi de le semer à la course, menaçant Yann de ses griffes aiguisées. Yann comprit que son existence ne tenait qu’à ses capacités et s’enfuit aussi vite que possible. Il sentit le prédateur sur lui et un poids s’écrasa avec force en l’espace d’une seconde.

Chapitre 5

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Les mois qui suivirent se consacrèrent à ce que Greyskin appelait l’entrainement de sa nouvelle recrue. Yann voyait plutôt cela comme un jeu sadique d’un tortionnaire violent. Le vampire lui expliqua son statut par rapport à lui et qu’il devait se plier aux règles de la communauté des vampires. Malgré la crainte de subir les représailles de son maître, Yann appréciait la tutelle improvisée de Greyskin dans cet environnement visiblement hostile. Il comprit aussi l’importance de la chasse et de la collecte du sang, sans quoi il succomberait à « La Bête ». A cette évocation, il comprenait parfaitement à quoi Greyskin faisait référence. La sensation de faim réveillait des instincts primaires violents, le tordant de douleur s’il tentait de les réprimer. La malédiction du sang représentait son prix à payer pour la vie éternelle. Mais grâce à elle, il conservait ses performances physiques qui lui importait tant de son vivant.

Un jour, dans la grande lignée des exercices de Greyskin, Yann dû partir en chasse solitaire pour ramener du sang frais. Le sang des animaux ne leur suffisait pas complètement et il leur fallait absorber l’essence vitale d’hommes pour satisfaire la faim. Généralement, ils se contentaient de quelques promeneurs imprudents qu’ils ponctionnaient d’un peu de sang avant de les relâcher en orée de la forêt. Greyskin insistait sur l’importance de ne pas vider les humains de leur sang sans raison, sous peine d’attirer l’attention sur les vampires. Yann s’accoutumait plutôt bien à sa nouvelle condition, la non-vie dans la forêt ressemblait beaucoup à ce qu’il connaissait autrefois. Il débuta sa recherche de proie innocente au crépuscule.

Les rayons rasaient la cime des arbres, étendant de vastes ombres des végétaux sur le sol. Yann profitait de cette protection naturelle contre le soleil devenu meurtrier pour lui. Il guettait pour une quelconque forme de mouvements. Et l’impensable se produisit. Comme un fantôme de son passé, Mark Harrington, son rival de son ancienne vie, effectuait une course dans sa direction. En effet, celui-ci retraçait les pas du disparu Yann Holligan, persuadé de perfectionner les performances de son ainé. Il arborait son même sourire arrogant qui énerva au plus haut point le vampire qui l’observait. Celui-ci décida que cet homme imprudent servirait d’excellent repas pour son maître et lui-même. Il tenta de dissimuler son excitation et s’avança prudemment dans la pénombre. Il aborda le coureur.

–        Mark ? Si je m’attendais à te voir ici.

–        Qui est là ? Montrez-vous … Yann ? Yann Holligan ?

–        Surpris de me voir ?

–        Le mot est faible, tu avais pour ainsi dire disparu des compétitions. La rumeur prétendait que tu t’étais exilé après ton cuisant échec face à moi.

–        Et qu’en penses-tu désormais ?

–        A te voir ici perdu en pleine forêt, je peux y croire sans problème. Regarde-toi, tu es dans un état pathétique.

–        Que tu crois … Je suis même persuadé de pouvoir te battre à la course, sans problème.

–        Hahaha, tu n’as pas perdu ton sens de l’humour !

–        Alors ? Acceptes-tu mon défi ?

–        Ok l’ancêtre, je vais t’apprendre à retrouver ta place.

Yann jubilait intérieurement. Il donna les conditions de la course, afin de l’entrainer dans les profondeurs de la forêt. Maintenant qu’il était un vampire, il pouvait courir sans problème dans le noir et même plus vite encore qu’avant.

Chapitre 6

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Il mit une distance respectable entre lui et Mark. Ce dernier s’essoufflait rapidement face à l’effort surhumain que son rival lui imposait. Il ne revenait pas de l’incroyable vitesse de Yann et tenta des accélérations alimentées par son orgueil bafoué. Ils arrivèrent dans une clairière, comme convenu au début de la course. Mark, visiblement exténué, s’inclina devant la victoire manifeste de son ainé. Mais il ne réalisait pas le traquenard qui l’attendait. Yann se jeta de toutes ses forces sur lui et le maitrisa au sol. Il planta ses canines dans la jugulaire et absorba un peu de sang de son ancien rival pour l’affaiblir davantage. Il repensait au châtiment que son maître lui infligerait s’il ne ramenait rien de sa chasse et tenta de se contrôler.

Sa vue se flouta de rouge tandis que le nectar chaud et subtil l’enivrait d’une frénésie sanguinaire. Savoir son rival qui avait tourmenté sa vie précédente sous son emprise alimentait sa soif qui lui chuchotait de poursuivre. Il savourait chaque lampée, vidant progressivement la carcasse de feu Mark Harrington. Une fois le corps exsangue devant lui, sa colère ne s’atténua pas. Le mort lui adressait un sourire narquois. Sa frénésie s’intensifia devant l’arrogance du cadavre, et il attaqua l’enveloppe vidée de son sang. Il déchira les vêtements, lacéra la peau, arracha les viscères et dispersa en lambeaux le corps inanimé. Un plaisir sadique s’empara de lui alors qu’il réduisait en débris de chairs la dépouille.

Son acharnement se poursuivit jusqu’à transpercer le corps et ses mains saignèrent sur des roches pointues. La douleur le ramena à la raison. Yann constata avec horreur le massacre qu’il avait engendré, les tripes éparpillées sur le sol et le corps profané de son ancien rival. Malgré l’aversion pour l’arrogant Mark, une part de lui ressentait une culpabilité. Et la nature de son geste le terrifia. Il comprit que s’il laissait la frénésie prendre le dessus – la Bête comme disait Greyskin – il pouvait commettre des crimes d’une violence inouïe. Mais aussi se réduire à un barbarisme qui le placerait en-dessous d’un animal le plus primaire. Il devait toutefois trouver que faire du corps mutilé. Il rassembla au mieux les restes et creusa une fosse sous en arbre, espérant que la décomposition fasse son affaire. Il retourna auprès de la cabane de bûcheron que Greyskin investissait et reçut une correction pour revenir les mains vides alors qu’il sentait le sang.

Yann conserva le secret de sa bascule dans la frénésie jusqu’à une battue effectuée dans la forêt, qui révéla le cadavre grossièrement dissimulé sous un arbre. Les investigateurs hurlèrent de terreur face à la découverte macabre tandis que Greyskin, apprenant la vérité, abandonna son disciple à ses responsabilités. Yann se dissimula dans la cabane, attendant que le groupe s’éloigne, pour s’enfuir à son tour, dans la direction opposée. Il parvint tout de même à retrouver son pick-up et s’éloigna le plus vite possible de la scène de crime. Sa situation d’ermite se précarisa davantage maintenant qu’il se considérait comme fugitif. Aucune preuve ne permettrait de remonter à lui directement mais l’état du cadavre soulevait des questions légitimes. En particulier, les autorités remarquèrent que le corps avait été vidé de son sang avant d’être réduit en charpies. Ce rappel constant de l’affaire ravivait les traumatismes engendrés par la Bête. Il s’enfuit vers New York dans l’espoir de reconstruire sa non-vie.

La métropole l’accueillit dans son écrin de noirceur et de violence, où le vice se répandait comme la peste dans le cœur des hommes. Une communauté de vampires, d’une petite centaine d’individus, trouvait son équilibre en secret et profitait d’opportunités diverses pour se nourrir. Il s’annonça auprès de la princesse de New York et s’intégra comme il le pouvait dans l’environnement urbain, en particulier dans Central Park. Il repensa à son ancienne décision de ne plus revenir dans de grandes villes pour échapper au chaos de la foule et souligna l’ironie de la situation. Finalement, Mark avait bien réussi à perturber sa vie, même après la mort des deux rivaux.

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