a a a

© 2013-2024 MYF

© 2013-2024 MYF

J’aurais dû faire marche arrière et ne pas me lancer dans l'écriture; une nouvelle qui allait me faire perdre la notion du temps et me faire douter. Mais pourtant je l'ai fait, j'ai commencé par écrire un mot puis une phrase et le monde autour de moi a disparu pour ne devenir qu'un lointain souvenir. 
Reprendre la lecture

J’aurais dû faire marche arrière et ne pas me lancer dans l’écriture d’une nouvelle qui allait me faire perdre la notion du temps et me faire douter. Mais pourtant je l’ai fait, j’ai commencé par écrire un mot puis une phrase et le monde autour de moi a disparu pour ne devenir qu’un lointain souvenir. J’ai mis quatre vingt seize heures pour mettre fin à l’histoire et toute une vie pour récupérer le temps perdu. Le jour je dormais, divaguais, vaguais et vaquais à mes occupations dans cette ville bruyante. La nuit je prenais la route vers des lieux plus oniriques. Comptant les heures et les minutes passées à conter.

Première nuit

Il était une fois dans la ville dormante, une marchande d’insomnie qui traînait tous les jours avec elle son chariot en bois muni de deux roues d’un vieux vélo et qui vendait sur la surface lisse de son étal, une multitude de choses aussi pétillantes les unes que les autres. Poudres de caféine, perles de stress, poils d’énergie et gousses de tâche inutile donnaient à cette dame âgée tous les ingrédients pour vivre convenablement. Mais un soir, alors que la lune avait décidé de signer son absence en rendant obscures les rues les plus sombres, la vie de cette pauvre femme s’envola pour laisser place à une mort certaine. Une mort comme les gens dormant les aiment, d’un seul trait, d’une seule et lente caresse de douceur, elle dit adieu au monde des vivants.

Il était une fois dans la ville dormante, un vagabond qui vivait à l’intérieur du dehors et au milieu du centre historique. Son cœur était vide et vierge d’égoïsme. Son âme généreuse avait préféré tout donner aux autres et ne rien laisser à lui-même. Comme un poisson dans l’eau, son quotidien était rythmé par le courant. Un courant de type alternatif qui aiguillait sa vie et éclairait ses nuits. Trouvant chaque soir un nouvel endroit pour tomber dans les bras de Morphée, il préférait les coins lumineux aux odeurs sombres et puantes. Un lampadaire faisait l’affaire d’une nuit et délimitait sa couche par un rond de lumière et des murs d’ombre. Mais un soir, les éclairages de la ville rendirent l’âme. Un par un, ils s’éteignirent et laissèrent notre compagnon sans domicile fixe, les rues noires comme seule habitation.

Il était une fois dans la ville dormante, un boulanger pétrissant de la pâte. Son air bourru cachait un caractère désagréable et loin d’être généreux, il s’occupait de son enfant de la pire sorte. Veuf et sédentaire, l’homme aux mains épaisses corrigeait sa progéniture comme il rendait la pâte malléable. Baguettes, croissants, chocolatines sortaient du four à un rythme effréné et sans même laisser le temps à ces belles dégustations de refroidir un temps soit peu, il les engloutissait aussitôt. Si bien qu’à l’aurore , il ne restait plus rien. Miettes, farine avaient disparu laissant un plan de travail propre. Mais un soir, alors qu’il continuait de puiser dans ses réserves pour survivre, le boulanger décida d’arrêter de se remplir l’estomac. Badigeonné de levure, il s’entailla le visage au couteau et se plaça tel un pain dans le four thermostat 8.

Il était une fois dans la ville dormante, un bon à rien qui avait cependant de bons atouts. Un don pour les lettres, un autre pour les maux et le dernier pour les phrases. Intimidé par les femmes, les pêcheurs et par association les femmes de pêcheurs, il préférait s’envoyer des lettres le soir venu au lieu d’être triste de n’avoir toujours rien reçu. Car ses mots étaient les maux de tous sans modération et le papier sur lequel il écrivait aussi bien que mal lui avait été offert par un ami syrien: Kamal. Le bon à rien grattait la bille de son stylo sur la surface rugueuse du papier blanc et pensait sans cesse à ce compagnon disparu durant la guerre. Mais un soir, alors qu’il espérait toujours de ses nouvelles, un courrier officiel glissé dans sa boîte aux lettres lui annonça la triste nouvelle. Kamal avait trouvé la mort, étouffé par un os de poulet.

Deuxième nuit

Il était une fois dans la ville dormante, une célèbre vendeuse de rêves. Son chariot en bois n’était que fantasme et ses potions que poudres de perles et pépins. Elle n’avait ni nom ni âge, ni de chien ni d’oiseaux. Cette vieille dame ne faisait rien de sa vie excepté se souvenir de sa jeunesse passée à découvrir les hommes et vendre son corps aux plus offrants. Mais cette fameuse première nuit, elle laissa derrière elle son chemin de vie tracé par le temps. Modestement, elle contourna les hommages, évita les condoléances pour mourir seule. Nul doute qu’elle fût surprise de ses derniers instants. Ne sentant ni la vie, ni la mort, la marchande d’insomnie continuait de vendre son âme pour acheter une paix intérieure. Elle gisait depuis la première nuit sur le planché froid de sa chambre et tous l’avaient déjà enterrée dans l’oubli.

Il était une fois dans la ville dormante, des espaces de liberté. Des lumières qui s’éteignirent et des milliards de gens à la rue. Un nombre incalculable d’âmes qui cogitaient dans la tête d’un vagabond rendait l’air ambiant électrique. Il était plongé dans une torpeur consciente, présageant les souffrances d’une nouvelle nuit sans étoiles. Comme attaqué par le dehors, il était recroquevillé sur lui-même et attendait le jour où le jour dominerait le monde. Mais cette fameuse première nuit, aussi horrible qu’elle fût, paraissait inoffensive face à ce qu’il vivait sur le moment. Prisonnier de la ville, le vagabond cherchait désespérément une lueur d’espoir pour réchauffer son cœur et atténuer ses angoisses nocturnes. Il marchait, ne dormait plus, vaguant vers des odeurs à défaut de lumière. Senteurs familières, parfums de brûlé.

Il était une fois dans la ville dormante, un homme seul et désespéré qui rêvait de passer à l’acte dans ses sommeils les plus sombres. Artisan de passion et esclave de son propre commerce, il accumulait la fatigue et se réveillait en sursaut chaque nuit. Un seul et unique cauchemar dans lequel le boulanger finissait cuit à point et libéré de ses crédits. Mais cette fameuse première nuit fût sa dernière en tant que père. Son fils, vingt-trois ans et des miettes, qui avait quitté la maison familiale pour errer dans les rues il y a quelques années de cela, se tenait devant la porte de la maison. Tel un spectre figé dans la nuit, il observait en direction de la fenêtre et attendait le jour comme pour retrouver un semblant d’humanité. Mais à défaut d’être violent, son père se fit violence et à l’aurore laissa son fils dehors.

Il était une fois dans la ville dormante, de la tristesse, des mots et un homme qui n’aimait pas perdre un ami. Un fait divers en plein été, si ridicule, que lui-même aurait pu l’inventer. Cet écrivain joueur de mots tordus et mordu de jeux de mots ne cessait de pleurer la mort de Kamal. Il le connaissait depuis peu mais avait déjà beaucoup d’estime pour lui. De cette fameuse première nuit tout s’était mélangé dans sa tête et sa souffrance devait être posée sur du papier blanc pour qu’il puisse se sentir libre à nouveau. Il se mit alors à écrire des histoires farfelues où se mêlaient le meilleur comme le pire. Ne laissant aucune place à l’improvisation, ce tourneur de phrases décida de continuer à écrire sans interruption jusqu’à qu’il trouve la paix intérieure et pour ce faire pris quelques perles de stress et poudres de caféine.

Troisième nuit

Il était une fois dans la ville dormante, un cadavre. Les rues étaient animées et bruyantes. Les maisons de tailles et de couleurs différentes donnaient à cette ville un charme particulier. Les commerces et devantures de magasins n’avaient rien à envier aux plus belles avenues des capitales d’Europe. L’esprit conservateur des habitants faisait de ce lieu un endroit traditionnel et pittoresque. Il y avait longtemps que les prostituées avaient quitté la ville pour se retrouver en périphérie. Le jour et la nuit n’avaient plus d’importance pour la pauvre vieille femme et ses charmes d’autrefois n’était qu’un lointain souvenir. Intermittente du spectacle autrefois, elle se produisait dans la rue comme bonne prostituée qui se doit. Elle fût mariée, maman et désormais morte sans que personne ne s’en aperçoive.

Il était une fois dans la ville dormante un ancien fils, triste. Vagabond de passage, victime de toujours, il chassait le passé et tentait d’éviter le présent. Les lumières des réverbères éclairaient un spectacle de désolation. Celui d’un jeune homme, les larmes dégoulinant de son visage, les épaules tombantes vers le sol goudronné des rues. Même un excrément de chien avait plus de valeur cette nuit là aux yeux des gens que ce pauvre homme. Le jour et la nuit n’avaient plus d’importance pour lui. Il était seul laissé pour compte. Mort, ivre, minable, fantôme de la ville, il errait à nouveau. Traversant les murs et les esprits avec une aisance telle qu’il finit par disparaître tout simplement. Rejoignant sa mère dans les méandres de l’ignorance et hantant les nuits de son ancien père aimé.

Il était une fois dans la ville dormante un homme à deux doigt de commettre l’acte irréversible. Depuis deux nuits, son esprit était si dérangé qu’il ne dormait plus correctement et dans ses rêves les plus sordides, son fils apparaissait en bas de sa fenêtre. Chaque nuit, à la même heure, il était là. Se tenant droit, le regard figé, l’esprit de son fils semblait perdu à tout jamais mais une lueur de vie brillait dans ses yeux et son père était comme hypnotisé. Le jour et la nuit n’avaient plus d’importance pour lui car il avait déjà choisi de mourir. Sa vie en tant que boulanger n’avait été que dur labeur, stress et sourire commerçant. Veuf après trois ans de vie commune, sa poudre de caféine et ses gousses d’énergies avaient fini par s’envoler pour rejoindre sa femme dans le monde du sommeil profond. 3H23, il se pendît.

Il était une fois dans la ville dormante un marathonien du mot. Cela faisait des heures qu’il écrivait et il continuait sans perdre le rythme. La tristesse n’avait plus d’effet sur lui. Heureux comme un homme qui invente sa vie, il se perdait dans les anachronismes sans penser aux règles de littérature et omettait de donner un sens à ses maux les plus profonds. Contrepèteries, répétitions, répétitions, contrepèteries, se croisaient et se chevauchaient, créant le plus grand libre de tous les temps. Le jour et la nuit n’avaient plus d’importance pour lui si bien qu’il décida de renoncer aux heures, minutes et secondes pour se consacrer au métier de mensonger. Il n’était pas fait pour la mort et encore moins pour la vie. Il préférait s’imaginait un monde fallacieux où rien n’était vrai mais où les uns étaient les autres.

Quatrième nuit

Il était une dernière fois dans la ville dormante un monde souillé. La puanteur des morts voguait dans les rue sans que quiconque s’en préoccupe. L’odeur était si répandue qu’elle ne dégageait rien de spécial et les habitants ne se souciaient guère des choses banales. Ils préféraient dormir, manger et chier puis la nuit suivante se préparer à faire de même. Chaque journée était le reflet identique de l’autre. La dame de joie n’existait pas vraiment, elle faisait seulement parti intégrante du miroir aux milles facettes de cette ville léthargique. Qui aurait accepté que des putes finissent marchandes d’insomnie ? Les auriez-vous imaginer traîner leur chariot en bois sur les routes ? Poudres de connerie, perles de mensonge et poils de cul auraient mieux défini le monde des traînées mais les contes sont aveugles face aux vérités.

Il était une fois dans la ville dormante un monde désorienté. Tous les habitants connaissaient tout le monde mais personne n’était soucieux d’en savoir davantage sur ses voisins. La solidarité naviguait tel un navire en perdition sur les flots nauséabonds des rues propres et ordonnées. Aucune amarre pour s’accrocher, les signaux de détresse des marins urbains ne brillaient plus. Le vagabond n’existait pas vraiment, il n’était rien d’autre qu’un bon vieux phare à quelques nœuds des côtes. Il éclairait les pêcheurs et donnait de l’espoir à leur femme. Tant que le poisson arrivait sur les marchés, pourquoi se poser la question du sort de ces vagabonds esclaves de la société. Tout ceci n’était qu’une question de fatalité aux yeux des gens et chacun se rejetait la responsabilité si bien qu’un beau jour le poisson n’arriverait-plus.

Il était une fois dans la ville dormante un monde exténué. Le charcutier, le docteur et la vieille dame du tabac presse avaient toujours été présents pour la communauté et ils erraient là comme des fantômes emprisonnés. Des artisans et des professionnels qu’ils disaient, comme si leur qualification faisait d’eux des êtres spéciaux. Aucun remerciement, la ville était une colocation géante, ils en étaient les meubles. Le boulanger n’existait pas vraiment, il était le symbole de l’effort. Un porte drapeau des travailleurs méritants et tueurs de tâches qui se levaient tôt dans la nuit pour gagner, à la sueur de leur front, le droit de satisfaire la vie des autres. D’ores et déjà ils étaient morts avant bien même d’avoir commencer à vivre. Coincés dans ce monde hanté par la solitude, le travail, le sens de la famille et l’indifférence.

Il était une fois dans la ville dormante un monde qui n’existait pas. Un écrivain qui n’était autre que le narrateur de ce conte sans queue ni tête. La première nuit, après avoir écris un paragraphe pour ce journal de merde, je me sentais vraiment souillé comme peut l’être une prostituée mais j’espérais que la nuit suivante allait être meilleure. Je me mis à écrire mais mes idées étaient si désorientées que je ne me reconnaissais plus. L’auteur de ces histoires n’existait pas vraiment, il était un drôle de personnage et toutes ces histoires surgissaient de mon inconscient. Au bout de la troisième nuit, la fatigue s’emparant de moi, je décidais de dormir. C’est alors que je compris. Je me réveillais dans une ville dormante, le cauchemar d’avoir vécu des nuits à écrire et écrire sans jamais m’arrêter, sans jamais vraiment y croire. J’aurais du faire marche arrière depuis bien longtemps.

Commentaires (1)

We

Webstory
14.05.2016

"La ville dormante" a gagné le troisième prix du concours Webstory 2013. Il a été publié dans le livre Webstory I, disponible auprès de Webstory.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire