Un homme accuse. S'en prend à la vie. Lui fait son procès... Douleur, colère, lucidité ou délire ?
Reprendre la lecture

Je n’en peux plus de vieillir ! Du déclin des hormones, de l’émoussement des sens, des soubresauts du cœur, de la sénilité avançant à grands pas, de ce visage – le mien ! – devenu étranger.

 

J’en ai ma claque des maladies de toutes sortes qui me guettent, tels les vautours la charogne. Plein le dos de ce spleen mêlé d’angoisses, des nuits sans sommeil, de cette solitude qui croît comme un désert !

 

Marre de tout ! Marre de toi ! Raison pour laquelle je t’écris aujourd’hui, LA VIE !

 

Je n’attends aucune réponse de ta part. M’as-tu une fois écouté ? Et au moins je ne serai pas interrompu par tes excuses débiles, ta mauvaise foi. Le temps qui passe ? L’âge ? S’il n’y avait que ça ! Non, tout au long des années, tu n’as été que déceptions, désillusions, souffrances ! Tu ne m’auras vendu que rêves et promesses non tenues. Pire traîtresse que toi, on ne fait pas ! En vain j’ai cherché ton cœur, un semblant de raison, une once de compassion.

 

Laisse-moi parler des commencements ! Au milieu du sang, « de l’urine et des fèces » (saint Augustin), tu nous jettes au monde ! Et la première inspiration – atroce brûlure dans nos poumons – nous arrache cris, pleurs, douleurs sans nom… Merveilleuses mises en abîme pour cette existence cruelle où tu nous plonges sans même demander notre avis, alors qu’on dormait – divine béatitude – en un lointain paradis dont tu oblitères jusqu’au souvenir.

 

Et quelle hérésie (ou pire : je-m’en-foutisme ?) de nous affubler de deux parents qu’on n’a même pas choisis ! Une mère rejetante (je vais parler pour moi) dont je ressentais déjà, en son ventre honni, toute l’acrimonie ; femme que tu as précipité dans le malheur puisqu’elle ne se remettra jamais de cette grossesse précoce non désirée. Et un père qui détalera quelque temps après ma naissance, car lui non plus (pour faire court), ne voulait pas de ce marmot que je fus. J’ai pu pardonner à mes parents ces débuts où j’ai payé cash leur fugitive attraction. Puis leur désertion. Tu es la seule coupable, LA VIE ! Trois malheureux d’un coup – bien joué ! Une famille décimée – quelle main ! Vraiment !

 

Tant de choses à te reprocher… Car qui d’autre que toi implante le désir en chacun de nous ? Ainsi les hommes ne pensent-ils pas plus loin que leurs instruments à jouir et… à faire des bébés – quelle vicieuse arnaque que d’apparier si étroitement les deux ! Quant aux femmes, tu leurs as offert ce cadeau empoisonné : une involontaire fécondité ne les autorisant guère à se prémunir des grossesses non souhaitées. Car ce que tu veux LA VIE, avoue-le, c’est que nous nous reproduisions, tels des rats ou des cloportes. N’importe quand, dès douze ans ! N’importe où ! Et dans n’importe quelles conditions ! Même pauvres et incapables de nourrir nos enfants qu’il faudra abandonner sur le parvis d’une église ou dans une poubelle. Même sans amour et par accident – n’en suis-je pas l’exemple parfait ! Et pire, lors de viols, qu’ils soient subis dans la vie quotidienne ou durant les guerres où les vainqueurs ne se gênent pas pour engrosser les femmes des vaincus. Alors, qui te guide ? Sinon ton propre égoïsme, lequel te rend prête à faire souffrir toute la planète pour assouvir ton unique dessein. PERPÉTUER LA VIE À N’IMPORTE QUEL PRIX ! Tu es misérable et devrais avoir honte. Personne, plus que toi, ne pourrait mériter la condamnation sans appel pour CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ !

 

Dois-je dévoiler une autre de tes vilénies ? Ton artillerie lourde ! J’entends : l’agressivité mal dosée avec laquelle tu nous as équipés ! Pour notre bien et pouvoir nous défendre ? Qu’est-ce que tu racontes ! Si tu avais mis au monde, LA VIE, des êtres bons, il n’y aurait nul besoin de se défendre. Contemple un instant ton œuvre. Le monde s’entretue, les êtres se déchirent ! Il n’y a sur terre que conflits, guerres, incompréhensions… Et ces innombrables exactions, ces charniers infinis, toutes ces armées et leurs canons n’existeraient pas si tu n’avais logé la violence au plus profond de notre biologie et de notre psyché…

 

Et pourquoi, autre absurdité, nous mettre au monde pour une si brève durée ? Une vie éternelle nous aurait épargné calculs et horloges, temps et argent. Que de problèmes réglés ! On vivrait sans compter. On serait riche sans posséder ! Mais non, on ne vit guère plus longtemps qu’un éphémère et sitôt atteint l’âge de la lucidité et de la pacification, bang ! on se retrouve six pieds sous terre ou à huit cent degrés dans les flammes de la crémation. Terre, poussière, cendre… et tout recommence… avec une nouvelle salve (le mot sied !) de nouveau-nés sans lucidité, avides de découvrir TES terrains de jeux… contaminés ! Prêts à commettre joyeusement les mêmes erreurs que leurs aînés. Mouvement perpétuel qui donne envie de vomir !

 

Te prétendre mon amie ? Toi qui m’as constamment blessé ! Trahi ! Toi qui n’as répondu qu’à une infime fraction de mes désirs, ne m’a octroyé qu’au compte-goutte les chances de me refaire, m’a fait payer au centuple la moindre de mes erreurs…

 

Ô LA VIE, comme je comprends ces choix – ou plutôt : échappatoires de vie : alcools, drogues, médicaments, folie, quête de distractions et plaisirs en tous genres… Ça et bien d’autres choses pour oublier combien tu es difficile, voire impossible à vivre !

 

Et tous ces suicidés ! Est-ce parce que les gens t’aiment, LA VIE ? Réponds !

 

M’en prendre à la mort, ta sœur ? Ne te défausse pas à coup de piètres arguments ! La mort ne partage avec toi aucun lien de sang et on lui chercherait en vain un air de famille. Faux, cape noire, souffle froid, chez elle aucune hypocrisie. Bienveillante, elle accueille les morts que tu rejettes à la pelle, délivre les suicidés du fardeau trop lourd (la vie !) dont tu les as chargés… Et contrairement à toi, elle au moins garantit l’éternité !

 

J’exagère ? A peine ! Bien sûr, tu offres menus plaisirs, jouissances fugaces – et, last but not least, le coït, qu’on devrait plutôt appeler un « couac » ! Pleine d’avarice, tu ne cèdes qu’avec douleur de rares périodes bénies où le malheur est absent. Grâce à ces bonheurs de paille tu nous donnes l’illusion, LA VIE, que tu vaux la peine d’être vécue. Tu soutiens que tu n’as pas de prix, ni ton pareil. Tu te prétends la plus belle, te mirant maladivement dans ton grand miroir… aux alouettes ! Comme tu sais te montrer habile, ô perfide mystificatrice, avec tes poudres de perlimpinpin que tu jettes à nos yeux ébaubis.

 

Car même en exagérant la somme de tes joies, celles-ci ne sauraient contrebalancer le poids des peines et des morts, LA VIE ! Parents, grands-parents, fratrie, famille, amis, connaissances… c’est tout un cimetière avec ses lourdes pierres tombales et ses croix de marbre dont tu nous obliges à porter le chagrin… Eh quoi, faire le deuil ? Mais pour réussir à passer au travers cette procession de décès, une lobotomie vaudrait mieux ! Eh quoi, continuer à vivre malgré tout ? Mais dans quel état ?  La cruauté est bien ta seconde nature !

 

Hé, réveille-toi, LA VIE ! Sais-tu que tu es la plus grande tueuse en série ! Une sociopathe sous des oripeaux de sainte ! Après des milliers d’années et des milliards de morts, tu n’as rien appris et pas évolué d’un iota. Rien ne dure ! Désolant leitmotiv que le tien ! Alors, j’y songe : l’obsolescence programmée ? C’est donc toi – et non le consumérisme – qui l’a inventée !

 

Tiens, l’encre arrive au bout ! Il me faut changer de cartouche… – belle expression pour un… futur suicidé !

 

Oups ! Te l’annonçais-je trop tôt ? Non, déjà le poison distille son effet ! Trop tard pour dépêcher tes gardes du corps – peur et instinct de vie – et venir empêcher mon geste!

 

Sache encore qu’œuvrer à mon suicide et penser à la mort furent, durant longtemps, les seuls réconforts qui donnèrent du sens à ma – ou mieux – à TA vie. Vie prêtée que je te rends, car je n’en veux plus.

 

Douce vengeance au cœur de l’indien… Bienheureuse délivrance !… Oui…

 

Te quitter à jamais, VIE HAÏE ET DAMNÉE !

 

Toi, de toujours MON ENNEMIE JURÉE !

 

 

Commentaires (1)

Joelle Oudard
28.10.2021

Bien joué, cette lettre haineuse à la vie ! Le titre est drôlatique, et contraste bien avec la suite. On a parfois envie de rire, un rire acide, bien-sûr. Le personnage en est presque attachant, on hésite entre le vieux fou qui vocifère ou le jeune suicidaire. Bravo !

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire