Elle est là depuis…. quarante ans, sur le plus haut rayon de notre réduit à valises !
Reprendre la lecture

La valise

Elle est là depuis…. quarante ans, sur le plus haut rayon de notre réduit à valises ! Cuir brun, cabossée, à peine plus grande qu’un “attaché-case” de notre époque: la valise du pasteur… la valise de mon père.

Il y pliait sa robe pastorale lorsqu’on l’appelait pour prêcher dans une autre paroisse que la sienne, ou pour aller célébrer un mariage, un baptême, un service funèbre.

C’est beau, une valise qui transporte l’habit de celui qui apporte la Parole, la bénédiction, la joie et la consolation ! Mais qui accompagne aussi celui qui assume une lourde tâche. “Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à ces parents, tout à l’heure, lorsqu’ils enterreront leur fils de vingt ans qui s’est suicidé !?”

Il y mettait surtout son petit attirail pastoral pour porter la Sainte-Cène aux vieillards, aux malades, aux prisonniers : une petite nappe, des coupes de communion, un beau morceau de pain, une fiole de Gamay, et la Bible.

C’est beau, une valise qui apporte la communion avec les autres humains, le pardon, la paix et la bénédiction !

Alors, quand je la vois, là-haut sur son rayon, témoin de tant d’émotions, me reviennent tous les souvenirs dont cette valise semble encore pleine et qu’il nous a racontés:

– Bonjour M’sieur le pasteur, c’est bien que vous soyez venu : depuis que ma femme est morte, j’ai de la peine pour tout: j’ai mal partout, j’ai de la peine à marcher, je ne peux plus sortir seul; alors, aller au culte…vous pensez bien ..!

Donnez-moi la communion, ça va me requinquer et je prendrai mon mal en patience!

– “Alors, Madame Durand, vous avez demandé que je vienne vers vous pour la Sainte-Cène. Comment ça va aujourd’hui ??

– Oh, pas trop bien, je n’en ai sûrement plus pour longtemps !

– Mais, vous êtes inquiète quand vous pensez à la fin ?

– Oh non, vous m’connaissez bien, Monsieur le Pasteur, j’ai toujours été tellement curieuse, et je m’réjouis tant de voir comment c’est Là-Haut !!!

En fait, pourquoi est-ce qu’on aurait peur de la mort ???? Peur de quoi ? De la souffrance qui éventuellement précède, oui, mais de partir ?? Cette peur charriée depuis des siècles comme un épouvantail, ces charniers de damnés peints sur les fresques des églises, ces récits d’enfer et de purgatoire, chassons-les une bonne fois pour toutes, et rappelons-nous que l’esprit qui nous habite ne s’enferme pas dans la terre mais qu’il est volatile vers la lumière du cosmos, et que le corps, ses cellules, ses molécules, ses protons et ses génomes retournent à la terre, à l’eau, au vent !

La physique et les religions auxquelles chacun adhère selon son bon droit, peuvent magnifiquement cohabiter.

– Bonjour Docteur, le patient de la chambre 204, il a l’air tellement bien ! Pourtant sa famille m’a appelé pour venir lui faire une visite et l’aider vers la fin ! – Ah, Monsieur le curé (il a confondu…., pas grave!!), je n’en sais rien, je suis aussi surpris que vous. Vous savez, quand Dieu s’en mêle, moi je n’y mets pas les pattes.

– Allo, Marie-Rose, c’est votre pasteur qui vous appelle. Quand puis-je venir vous faire une visite??

– Oh, mais quand vous voulez, je ne bouge pas, comme vous savez, et je fais bien attention à moi parce que en septembre prochain, je vais avoir Cent Ans, vous vous rendez-compte ?? C’est tellement bien, et nous allons faire une fête avec tous les pensionnaires, donc il faut que je dure jusque là. Mais venez vite!

– Je suis fatigué de vivre Monsieur le pasteur, j’en ai assez, je n’ai plus personne à aimer ni plus personne qui m’aime. Le monde a trop changé, je n’y comprends plus rien, je n’ose plus traverser la rue parce que je ne vois plus bien clair et j’ai peur.

Dites, au lieu de la communion, vous ne pourriez pas me donner une petite soupe qui me ferait partir vers la Lumière ???

Une “petite soupe de Lumière”…….. Et si on pouvait la donner, avec la bénédiction, à tous ceux qui veulent aller Là-Haut plutôt que de souffrir de si longues années ici-bas???

Ce serait beau, une valise pour apporter une soupe de Lumière !

Elle me rappelle toutes ces choses, ma petite valise de papa, et j’y pense, j’y pense si souvent !