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Cette histoire m'a été inspirée par la dernière lame, le Mat, j'ai repris la symbolique de la carte, avec le chien qui m'a aidé à imaginer les Griffins, puis le baluchon et le bâton de combat. Le personnage d'Adarwene qui fui sa vie royale, se perd et voyage, elle découvre le monde et l'amour.
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Adarwene, fille du roi, se glisse hors de ses draps de soie, en entendant sonner au clocher les douze coups annonçant le milieu de la nuit. Elle s’agenouille sur le sol, repère son balluchon puis le récupère, il est caché sous son immense lit. Elle s’approche du mur où est accroché son bâton de combat, s’en saisit et le glisse habilement dans son dos. Elle prend alors dans un petit panier deux dagues de parade aux manches gravés et à la lame finement ciselée et ornée de dorures. Elle hésite quelques instants, puis s’empare de bijoux et de pierreries qu’elle fourre dans une bourse attachée à sa ceinture de cuir. Maintenant qu’elle est prête, la jeune princesse se met à marcher sur la pointe des pieds en évitant les lattes du parquet qui grincent. Près de la porte, elle s’arrête, indécise et se questionne sur le bien-fondé de cette fuite, l’abandon de son futur royaume, par la panique qu’elle provoquera chez ses très chers parents avec cette stupide fugue.

Elle ferme les yeux, saisit doucement la poignée de sa main et la tourne en produisant un déclic, le battant s’ouvre dans un sinistre couinement, elle est presque sûre qu’avec cet affreux bruit des gardes vont arriver. Elle attend. Des secondes puis des minutes passent, mais, personne ne se présente, elle est rassurée, un sentiment de sérénité. Forte de cette sensation, elle cavale dans le couloir sans craindre le claquement de ses pieds sur le sol, puis essoufflée, elle interrompt sa course pour reprendre de l’air. Elle apaise le battement de son cœur qui semble vouloir s’échapper de sa poitrine. Elle doit emprunter l’escalier en colimaçon qui s’étend devant elle, elle le dégringole en espérant qu’aucun garde ne soit en train de monter. Adarwene manque de trébucher plus d’une fois sur une marche tant elle dévale rapidement l’escalier.

Elle parvient enfin dans la cour intérieure du palais, elle se colle à la muraille pour tenter de se fondre dans l’obscurité apportée par la nuit. La sueur de son front fait adhérer les mèches de sa frange, de la couleur des châtaignes, et la montée de l’adrénaline provoquée par sa fuite laisse transparaitre la terreur qu’elle ressent face au monde extérieur. Au contact avec l’air froid, son souffle se condense en un petit nuage, elle grelotte, elle se remet à marcher. Sous ses pieds, la terre est gelée. La jeune princesse ressent un petit peu de nostalgie, elle s’inquiète des risques encourus pendant le voyage qui l’attend. Mais la tentation de la liberté, si alléchante et si plaisante, lui permet de reprendre son avancée.

Elle arrive face à l’écurie en brique rouge où sont logés les griffins, de gigantesques chiens cornus. Elle se faufile à l’intérieur de la bâtisse et vérifie en jetant un coup d’œil qu’il n’y a pas le moindre écuyer. A cette heure, tout le monde dort. Elle se saisit de la première selle venue et du harnachement nécessaire, elle s’approche d’un des boxes abritant un immense griffin blanc. Elle ouvre le portillon et s’approche de la monture qu’elle harnache. Elle attache ses armes et monte en selle avec son baluchon.

Alors qu’elle monte sur son dos, l’animal l’observe de ses grands yeux bleu pâle, la jeune princesse regarde la bête qui lui sourit de tous ses longs crocs. Il grogne et produit un hurlement tonitruant, réveillant un mystérieux garçon, qui saute tel un diable d’un tas de foin où il dormait. Il sourit, laissant apparaitre des dents et des trous, elle a l’impression d’avoir en face d’elle une grotte, où les molaires, les canines et les incisives restantes sont des stalagmites et des stalactites.

Après avoir pu contempler cette vision d’horreur, elle détaille la physionomie de l’inconnu. Il a des cheveux roux assez longs, avec des tresses finissant par des perles de bois et de cuir, des yeux verts goguenards, une cicatrice sur la joue droite et un début de barbe non entretenue. Il ouvre encore sa bouche, la princesse tourne la tête dégoutée, il se baisse dans une grotesque imitation d’un salut, et commence d’un ton des plus ironiques :  Vous permettez, princesse, de vous présente votre fidèle – il émet un rire grotesque – destrier Hélios.

Elle s’arrête bouche bée quelques instants avant de répondre :

-Comment pouvez-vous savoir que je suis une princesse, elle se ressaisit et se met à imiter l’étranger, comment connais-tu le nom de ce griffin ?

– Je tends l’oreille – nouveau rictus sarcastique – personne que je ne connais ne porte des habits de cette facture – c’est de la soie ?

– D’accord – elle épelle en exagérant – t-u-a-s–g-a-g-n-é ! Qui es-tu ?

– Je suis Théorisk, je suis un saltimbanque de la cité portuaire d’Arwil. Je l’ai quitté pour tenter ma chance dans la capitale. Et vous, princesse, que faites-vous dans cette chemise de nuit à minuit dans cette écurie ?

– Je-je fais – elle bégaye – je fais, en fait, je fuis, j’ai décidé de fuguer, vois-tu…

. – Je vois, il prend un air surpris, mais je ne comprends pas pourquoi tu fais ça ?

– Je le fais pour découvrir le monde – elle sourit tristement – voir la mer et le désert. Mon oncle m’a raconté un jour avoir admiré un hippocampéléphantocamélos, moi aussi, j’aimerais bien en croiser un.

– C’est quoi un hippo-machin-péléphantocamélos-truc-bidule ?

– C’est un mélange entre un hippocampe, un éléphant et un chameau, il y en a des roses, des bleus, des oranges ou des verts.

– Je n’en ai jamais vu, princesse, nous pourrons aller les voir ensemble.

– Prenez une selle et un harnais, et choisissez votre monture.

– C’est fort sympathique de votre part, je sais monter sans selle ni harnachement, princesse.

– Arrêtez de m’appelle « princesse », elle prononce le mot en imitant Théorisk, je me nomme Adarwene, ignorant.

– Je vous ai mis en colère p-r-i-n-c-e-s-s-e A-d-a-r-w-e-n-e – prononce-t-il en épelant les deux mots – je ne le ferais plus si tel est votre plus profond désir.

– Oui, cela me ferait fort plaisir – elle hausse les sourcils, agacée – tu as un problème ?

– Oui, la taille de votre balluchon. Vous n’avez rien pris à manger ?

– Non, quel intérêt ?

– L’intérêt est que nous ne serons plus au château, et que plus personne ne vous apportera vos repas.

– Je n’y avais pas pensé, je peux toujours tenter d’aller dans les cuisines pour grappiller quelque nourriture, dit-elle embêtée.

– Inutile, sinon vous éveillerez des soupçons. Votre bourse semble pleine de pierreries et de bijoux, de quoi financer cette petite escapade. Il vaut mieux partir tout de suite.

– Vous avez raison. »

Théorisk se dirige vers une femelle griffin, et ouvre le box. Il la dirige vers le tas de foin où il s’était endormi, grimpe prestement sur le dos de sa monture. Il conseille à Adarwene de se baisser quand ils partiront pour éviter d’attirer l’attention des gardes. Elle se rabat sur Hélios, enserrant dans ses bras la douce fourrure de l’animal. Elle voit le jeune homme qui susurre à l’oreille de son destrier et se dirige vers la porte de l’écurie. Il se relève puis ouvre complètement la porte que la jeune fille avait entrebâillée pour s’y faufiler à son arrivée. Il se rallonge et dirige sa monture vers la forêt. Elle demande à Hélios de les suivre, ce qu’il fait.

Le jeune saltimbanque repère un passage dans la barrière qui mène dans les bois. Sa monture se faufile suivie par celle de la princesse. Elle ressent l’odeur de liberté qui l’enivre. Elle accélère et dépasse son compagnon qui éclate de rire. Lui aussi fait prendre de l’élan à sa griffin pour la rattraper et reprendre sa place en tête. Ce jeu dure quelques minutes, Adarwene reprend son sérieux et se laisse guider par le jeune homme. Théorisk quitte le sentier et coupe à travers les bois. La princesse habituée à suivre le chemin, crie et insulte son compagnon pour chaque épine de ronce qui s’attache à sa chemise de nuit et à chaque branche qui lui fouette le visage. La moindre égratignure et la moindre écorchure la font pleurer, il pense maintenant comprendre pourquoi une princesse est mieux dans un château.

Il déclare :

– Princesse, si vous n’arrêtez pas de vous plaindre, il est préférable de retourner au château, une fugue est quelque chose qui n’est pas pour une si jolie précieuse.

D’un ton boudeur, elle lui répondit :

– Ma robe est en lambeau, je suis blessée et épuisée, il est logique que je me plaigne.

– Que nenni princesse, rien n’est logique, sortons de ses bois avant de nous reposer, plus loin du château nous serons, mieux ce sera.

– Je ne suis pas sûre de comprendre, mais d’accord.

– Pressons nos montures.

Il se relève, imité tout de suite par Adarwene, et donne au flanc droit de sa monture un petit coup lui indiquant d’accélérer. La princesse arrête de se plaindre, mais elle continue de pousser quelques soupirs. Soudain, en plein milieu du chemin, un immense ours à la fourrure ensanglantée les bloque. La jeune fille met pied ta terre, se saisit de son bâton et s’approche de l’animal. Il bondit, elle recule et l’évite. Elle tend son arme, attendant la prochaine charge de son adversaire. Pendant ce temps, Théorisk sort un couteau et vise l’ours. L’animal fonce sur le bâton, il grogne et laisse le temps au garçon de lancer son arme. L’ours la reçoit dans le cou, s’affaisse et pousse un dernier grognement avant de mourir. Elle range son bâton et remonte sur Hélios, pendant que le saltimbanque récupère son couteau. Il enfourche sa monture et tous deux reprennent la route. Ils sortent enfin de la forêt.

De l’autre côté, s’étalent les flancs escarpés de la Montagne Rouge. Théorisk soulève son manteau et enlève sa ceinture qu’il attache autour du cou du griffin pour s’en servir de bride et mieux le diriger. Il commence lentement la descente, Ardawene le suit en silence. Le garçon guide parfaitement sa monture sur le chemin le moins abrupt même si le griffin pourrait les conduire dans la vallée sans le moindre problème. Mais Théorisk préfère s’en occuper, car il sait où se trouve l’auberge la plus proche et voit bien que la princesse est en train de céder à la fatigue et à la peur. Il ralentit enfin et s’immobilise face à une vieille auberge en bois à l’enseigne illisible. Il fait signe à la jeune fille de descendre, se saisit de la bride d’Hélios et le tire vers une petite écurie des plus miteuses. Adarwene les suit en tremblant, le froid la gagne en même temps que l’adrénaline la quitte.

Il entre dans l’écurie et attache les montures en leur murmurant des mots doux. La princesse les suit toujours en silence. Le garçon roux se dirige vers la porte, la princesse lui emboite le pas. Ils se suivent. Il se tourne vers elle :

– Fatiguée princesse, la vie est dure sans serviteurs.

– Je peux me débrouillée toute seule, grogne-t-elle.

Ils continuent jusqu’à la porte d’entrée. Il regarde sa camarade et remarque l’état de la chemise de nuit, qui n’est plus qu’une loque. Il enlève son manteau et le lui tend, elle s’en saisit et l’enfile rapidement. Ils poussent la porte et entrent. Ils pénètrent dans une salle aux murs avec du lambris blanc, graisseux et abimé. L’aubergiste leur fait signe de s’assoir à une table. Ils y vont et s’installent. Théorisk commande deux bols de ragoût de champignons. Il se lève pour aller marchander le prix de la nuit. Il revient pour informer Adarwene qu’il ne peut avoir qu’une chambre avec un lit.

Elle soupire, exaspérée :

– Le lit me revient.

Il baisse la tête :

– D’accord princesse, demain, nous nous réveillerons avant le lever du soleil,

– Pourquoi donc ?

– Car dès que vos chers parents découvriront votre absence, princesse, ils enverront leurs gens à votre recherche. Et plus nous serons loin du château, mieux ce sera.

– J’ai compris. Bon appétit.

– À, vous aussi, mademoiselle.

– Merci, elle rougit et tourne la tête piteusement.

Il remarque la rougeur sur les joues de la jeune fille. Il dévore goulument son ragout et la regarde finir de manger. Il l’accompagne à la chambre, l’observe faire une mine dégoutée face au lit sale et envahi par les puces. Elle enlève le manteau et il le récupère. Elle s’allonge douillettement, met la couverture râpeuse sur elle pendant qu’il s’installe par terre avec son pardessus comme couverture. L’un et l’autre s’endorment rapidement.

                                                                    * * *

Le soleil ne s’est pas encore levé que Théorisk réveille la jeune fille et lui fait comprendre que c’est le moment de quitter l’auberge. Elle se lève en grognant et se baisse pour récupérer le manteau sur le sol, qu’elle remet pour couvrir sa chemise déchirée. Ensemble, ils descendent sur la pointe des pieds dans le vieil escalier branlant et le garçon saisit la bourse d’Adarwene pour l’alléger de deux joyaux.

Il les pose sur le comptoir et les deux jeunes gens vont récupérer leurs montures dans l’écurie. Théorisk se baisse et s’agenouille près de sa monture pour lui fredonner une mélodie. Il fait pareil pour Hélios, mais en lui murmurant des encouragements. Il se relève, dénoue le nœud pendant que la princesse en fait autant. Tous deux se remettent alors à descendre la sente qui sillonne des ensembles de roches, des arbres morts dont l’un supporte un pendu squelettique habillé des lambeaux d’un habit rendu méconnaissable par le passage du temps. La princesse face à cette rencontre détourne le regard, il se moque de sa réaction. Au lever du soleil, ils arrivent sur la plaine, provoquant chez elle l’émerveillement, il sourit, heureux de la vue qu’il vient d’offrir à la jeune fille.

Pendant ce temps au château, les servantes, chargées de l’habillement de la princesse, frappent à la porte de sa chambre. Elles attendent quelques minutes puis poussent le battant, et découvrent ainsi la disparition d’Adarwene. Au même moment dans les écuries, il est relevé l’absence des griffins. Les servantes et les garçons d’écurie paniqués accourent prévenir le roi et la reine. Le couple royal voit arriver les deux groupes, l’un dans un état de transe et l’autre d’accablement. L’un s’exprime avec des cris hystériques et l’autre avec un grand nombre d’explications qui se mélangent :

– Ma reine, mon roi, deux griffins, votre fille, disparus…

– C’est impossible, soupire la reine qui tombe en pâmoison. Le roi s’empourpre et se met à crier. À ce moment, un garçon des cuisines arrive et dit essoufflé :

– Il-il y a des traces de sabots qui se dirige vers la forêt.

– Préparez des montures, et partons suivre ces traces. Envoyez des messagers aux quatre coins du royaume.

Pendant ce temps, Théorisk et Adarwene arrivent sur la route des marchands. Devant eux, un groupe de brigands armés jusqu’aux dents leur barre la route. Le chef s’approche et lance aux deux compagnons avec un sourire mauvais :

– Donnez votre argent et la fille en prime.

– Impossible, répond le saltimbanque.

La princesse descend de sa monture, sort son bâton et se met en garde. Elle se prépare à se battre quand elle voit le chef s’effondrer, un couteau planté dans la poitrine. Son compagnon vient de le lancer. Les deux acolytes s’enfuient et disparaissent dans la nature.

Reprenant leur chemin, Théorisk et Adarwene arrivent enfin dans la ville portuaire d’Arwil. Ils traversent la cité en évitant les quartiers les plus malfamés. Face à une forêt de mâts des bateaux qui s’élèvent vers les cieux ils découvrent le port. La jeune fille ouvre grand la bouche et les yeux, elle est ébahie, lui sourit. Ils descendent tous deux de leurs montures, elle s’approche et se colle à lui, il sent son cœur battre plus fort. Il prend la tête de la princesse entre ses mains et l’embrasse, elle lui rend son baiser. C’est à ce moment qu’une patrouille de gardes tombe sur les tourtereaux. L’officier à leur tête reconnait la princesse, et met un terme à leur baiser.
– Je vous remercie ma Dame, grâce à vous mon exil loin de la capitale est fini.

Les gardes les escortent alors vers l’auberge la plus proche. Le trajet du retour se passe sans encombre.

Cette histoire est inspirée de la lame XXII, le Mat. La suite est une autre histoire, mais elle sera issue de la lame VI.

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