Créé le: 13.09.2013
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La porte

Amour, Histoire de famille, Nouvelle

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© 2013-2024 Cédric Tonoli

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Un vieux souvenir ignoré.
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Derrière la porte

« J’aurais du faire marche arrière » Charles César marque une hésitation alors qu’une bouffée de sentiments refoulés refait surface dans sa vielle tête. Quand on atteint l’âge respectable qui est le sien aujourd’hui il faut s’attendre à ce que ce genre d’évènements se produise. Peut être même qu’il ne s’agit là que du premier délire d’une longue série à mettre sur le compte de la sénilité qui le guette lui aussi. Il pense à son père qui en fin de parcours s’était inventé une vie imaginaire. Le vieux Jean-Baptiste César avait perdu la mémoire un beau jour et malgré ses tentatives de recoller les morceaux, il voyait avec consternation, la montagne de ses souvenirs, les bons comme les mauvais, s’écrouler dans sa tête comme un vieux château de cartes. Pour faire face à cette décrépitude le père s’inventa des souvenirs imaginaires. Il combla le vide laissé par sa perte de mémoire par des évènements sorti d’on ne sait où, dont lui seul avait le secret. D’abord surpris, puis résigné, Charles César faisait mine de croire ces aventures abracadabrantes. Il lui tenait sa vieille main fripée, doucement et se laissait bercer par ses exploits inventés de toutes pièces. Le côté angoissant de voir son père se liquéfier intellectuellement laissait place au plaisir qu’il avait de partager ces derniers instants en sa compagnie. Il rattrapait ainsi des années d’éloignement et retrouvait son père dans un monde où le temps s’arrêtait où leur relation prenait une nouvelle dimension. Charles César savait les jours du vieux comptés. Petit il n’avait jamais eu d’histoire pour s’endormir, alors il écoutait.

 

Plongé dans ses pensées, Charles César réalise que la vie ne l’a pas épargné non plus. A de nombreuses reprises il a connu l’amour, pas toujours avec un A majuscule mais souvent avec passion. L’une d’entre elles, probablement la plus belle fut ces quelques années qu’il partagea avec Mélanie Rose. Ces souvenirs qui lui revenaient en mémoire à cet instant précis seul devant une porte dans un corridor sombre. A la fin des années 60 Charles César venait d’avoir 18 ans. Son parcours se résumait à quelques années de collège couronnées d’une maturité obtenue par les poils. Par la suite, il s’était essayé sans grand succès, ni conviction, à la grande université de Genève, ses parents lui échafaudaient une carrière d’avocat qu’il eut tôt fait d’abandonner. Il faut dire que ses rêves d’aventures et d’espaces cadraient mal dans le décor, étouffés par l’exigüité des salles où les maîtres drapés de noir distillaient pompeusement des cours en latin pour des élèves qui avaient plus l’air d’ersatz de gentilshommes genevois que de centurions romains conquérants. Il dégota quelques petits boulots avide qu’il était d’entrer dans le monde des grands. Charles César travailla comme assistant dans la boulangerie du père. Un métier difficile, rendus d’autant plus invivables que Jean-Baptiste ne cessait de crier sa mauvaise humeur. Il changea rapidement de profession, son père fut ravi. Solitaire et bougon le vieux n’aimait rien de plus que pétrir sa pâte à pain du matin au soir. Sentir ses gros doigts de boulanger infatigable pénétrer la douceur du pain en devenir, le reste l’emmerdait profondément. C’est dans la serrurerie que Charles César trouva son bonheur.

Façonner des clefs et des serrures qui se correspondaient l’une à l’autre lui donnait l’impression de contribuer à un travail un peu magique. Chaque serrure était unique pensait-il, comme la clef qui devait l’accompagner. Il comprit qu’il en allait dans la vie comme dans la serrurerie, les choses vont de paires pour le meilleur et pour le pire. C’est à cette époque là qu’il fit la connaissance de Mélanie, toute menue et blonde comme un sourire timide de début d’été la jeune fille accomplissait un apprentissage dans la pharmacie où il fut convoqué pour changer les serrures. Le pharmacien, M. Poitreau, un homme bourru, sans grande finesse ni méchanceté lui demanda d’un geste dédaigneux de la main de s’occuper du jeune serrurier car il devait finir de concocter dans l’arrière-boutique des médicaments pour des clients importants. M. Poitreau, que certains habitués du quartier surnommaient affectueusement M. Poivreau, s’enferma comme promis, derrière le magnifique comptoir en chêne sculpté et passa le reste de la matinée à écluser ses sirops médicinaux à base de plantes alpestres au fort relent d’alcool pur. Les deux futurs amoureux qui s’ignoraient encore, eurent ainsi toute la matinée pour faire connaissance en toute quiétude. Charles César, subjugué par tant de beauté concentrée dans une seule petite personne, prenait son temps pour faire son travail.

Lui, d’ordinaire si habile et véloce dans l’exécution des tâches, prit le temps, ce jour là, de démonter et inspecter les différentes pièces des verrous une à une. Il astiqua, chacune d’entre elles avec minutie avant de les ranger dans sa besace comme s’il s’agissait de bijoux très précieux. Après plus de 2 heures de traficotage inutile, il était à court de gestes justifiant son occupation, il admit, la mort dans l’âme, que son travail était fait et même fort bien fait. S’approchant timidement du comptoir Charles César déposa les nouvelles clefs rutilantes sur une vitrine d’exposition sans un mot. Mélanie, dont il ignorait encore le prénom était perchée sur une échelle entrain de ranger avec application des médicaments dans leurs compartiments. Profitant de la situation, le jeune serrurier leva les yeux sur les jolies jambes blanches et vulnérables qui s’offraient à ses coups d’œil dérobé. Ignorant ou feignant d’ignorer le puissant intérêt que pouvait susciter ses guibolles dénudées, Mélanie redoubla de soin dans l’accomplissement de sa tâche de haute voltige. Elle tourna brusquement la tête et surpris son regard qui s’étalait, maintenant sans vergogne entre le haut de ses mollets et le bas de ses fesses. Pris les yeux dans le sac, il en fut quitte pour un joli coup de sang sur les joues, du plus bel effet pour souligner le bleu profond de ses yeux. Ce contraste de couleurs plût à Mélanie qui se retint de rire trop fort de peur tomber de son escabeau.

« Aie » s’écria-t-elle pour prolonger son avantage.

« Vous vous êtes fait mal ? » balbutia Charles César surprit

« Oui espèce de nigaud, vous m’avez piqué la cuisse, là », ajouta-telle indiquant d’un doigt menteur une surface située sous le ourlet de sa jupe.

« Moi ? Mais je n’ai rien fait j’étais là, je ne vous ai pas touché ! » Un début de panique s’empara du brave Charles César.

Ah bon ? dit-elle avec malice. « Si ce n’est pas moi, si ce n’est pas lui, indiquant d’un clin d’œil le serrurier, c’est qui alors ? Mélanie Rose fixait le plafond en attente d’une réponse qui ne venait pas.

Charles César ne trouva pas de réplique à cette accusation, son sang se glaça dans ses veines.

Il se sentit condamné avant d’être jugé, l’innocente victime fit un pas vers la porte. La fuite lui semblait la seule solution à cette injustice patente.

Il bafouilla quelques excuses et s’apprêtait à sortir prestement quand, la main posée sur la nouvelle poignée en acajou qu’il venait d’installer, il fut retenu par un murmure, juste un murmure….. « Je m’appelle Mélanie »….

Cette phrase, cette toute petite phrase fut la première fois que Charles César entendit le son de sa voix.

« Vous devriez faire attention où vous laissez trainer vos yeux Monsieur, ils sont d’un bleu très piquant. Mélanie esquissa un sourire avant de rougir à sont tour.

A partir de cet instant là, tout s’enchaîna assez rapidement, une glace chocolat-vanille sur une terrasse puis une balade au soleil un dimanche après-midi quand il lui prit la main pour la première fois. S’en suivi d’un premier baiser volé un soir au bord du lac. Les 2 amoureux s’engageaient dans des rêves communs avec un avenir et des horizons lointains, suffisamment lointains pour qu’ils n’en discernent pas la fin. Charles, les yeux brillants, lui fit part de ses rêves d’aventures et de voyages, ce besoin de découvrir le monde. Mélanie rêvait d’amour et de famille nombreuse, rien d’incompatible avec ses attentes à lui, pensait-elle. Ils emménagèrent au bout de quelques mois, c’était le 21 juillet 1969, dans un petit immeuble sans ascenseur au cœur des Eaux-Vives. Ce jour-là à des milliers de kilomètres de là, très précisément à 384’400 km, pour la première fois un homme posait son pied sur la lune. Depuis leur chambre de bonne, les jeunes amoureux avaient une vue magnifique sur l’astre de la terre. Ils s’enlacèrent tendrement puis firent l’amour tout nu, à même le sol, dans une chambre dénuée de tout meuble superflu, à peine caressé par les rayons lunaires, Neil Armstrong n’y vit que du feu.

Un profond sourire ridé et sincère était revenu sur le visage de Charles César. Assis devant cette porte il redécouvre les morceaux de son passé. Après toutes ces années, toute cette vie qu’il a construite, tous ces voyages au bout du monde avec son lot de découvertes et de désillusions. Il se retrouve comme aspiré, par un hasard dont la vie seule a le secret, vers son point de départ. Inspirant aussi fort que ses poumons d’ancien fumeur lui permettaient, il prend son courage à deux mains.

Qu’allait-il trouver de l’autre coté de cette porte ? Il imagine que les choses avaient bien changés depuis tout ce temps. Mais de quelle manière ? Et Mélanie, la reconnaîtrait-il ? Avait-elle refait sa vie? Une idée sombre lui traverse l’esprit, et si elle était devenue folle. Une de ces folles hystériques les cheveux en bataille, que l’on croise de temps en temps dans le tram, qui crie des mots dénués de sens, vêtue de vieux haillons dépareillés et fripés. Ceci peut arriver à n’importe qui et plus facilement qu’on y pense. Personne n’est à l’abri. Il suffit d’un choc dans une vie normale pour voir tout se chambouler dans l’esprit. Son départ précipité peut-il avoir été ce choc brutal qui a transformé la vie d’une jolie jeune femme fraîche et pimpante en une vielle folle neurasthénique errante. Il chasse cette image de sa tête. De toute façon il n’y a qu’une seule façon d’en avoir le cœur net. Charles César se redresse péniblement sur ses jambes soixantenaire. Il défie du bout du doigt la sonnette qui le sépare de cette femme qu’il a aimé.

Plongé dans ses pensées, Charles César réalise que la vie ne l’a pas épargné non plus. A de nombreuses reprises il a connu l’amour, pas toujours avec un A majuscule mais souvent avec passion. L’une d’entre elles, probablement la plus belle fut ces quelques années qu’il partagea avec Mélanie Rose. Ces souvenirs qui lui revenaient en mémoire à cet instant précis seul devant une porte dans un corridor sombre. A la fin des années 60 Charles César venait d’avoir 18 ans. Son parcours se résumait à quelques années de collège couronnées d’une maturité obtenue par les poils. Par la suite, il s’était essayé sans grand succès, ni conviction, à la grande université de Genève, ses parents lui échafaudaient une carrière d’avocat qu’il eut tôt fait d’abandonner. Il faut dire que ses rêves d’aventures et d’espaces cadraient mal dans le décor, étouffés par l’exigüité des salles où les maîtres drapés de noir distillaient pompeusement des cours en latin pour des élèves qui avaient plus l’air d’ersatz de gentilshommes genevois que de centurions romains conquérants. Il dégota quelques petits boulots avide qu’il était d’entrer dans le monde des grands. Charles César travailla comme assistant dans la boulangerie du père. Un métier difficile, rendus d’autant plus invivables que Jean-Baptiste ne cessait de crier sa mauvaise humeur. Il changea rapidement de profession, son père fut ravi. Solitaire et bougon le vieux n’aimait rien de plus que pétrir sa pâte à pain du matin au soir. Sentir ses gros doigts de boulanger infatigable pénétrer la douceur du pain en devenir, le reste l’emmerdait profondément. C’est dans la serrurerie que Charles César qu’il trouva son bonheur.

Pourquoi tout s’était terminé sans crier gare un beau jour il y a tant d’années ? Charles César était jeune et peut être un peu con comme on peut l’être à cet âge là. Certains disent que les filles possèdent une maturité plus précoce. Mais, malgré l’amour sincère qu’il éprouvait pour Mélanie il s’interrogeait sur les lendemains. Allaient-ils se marier, avoir des enfants et vivre heureux jusqu’au début des années 2000 ? La perspective du nouveau millénaire l’angoissait. Discerner les contours de son futur alors qu’il n’avait que 25 ans était un fardeau qu’il n’était pas prêt à endurer, pas encore. Alors quand un soir d’avril 1974, Mélanie Rose le regarda dans les yeux et lui dit qu’elle avait quelque chose d’important à lui demander, il fut prit de panique. Une de ces angoisses qui réveille en nous la présence d’un danger imminent. Jusqu’à présent il avait su éviter la conversation du mariage en restant sur le ton du badinage. Charles César la prenait dans ses bras, lui rappelait leurs voyages en tête à tête, leurs longues balades au bord des lagunes de Venise. Ces moments incroyables de liberté ensoleillée sans qu’une ribambelle d’enfants vienne s’en mêler comme des nuages dans le ciel. Mélanie mettait un terme de guerre lasse à la discussion avec une moue boudeuse et attendrissante. Elle remettait ses projets de mariage à plus tard, avant de se blottir dans ses bras elle lui demandait : Mais est-ce que tu m’aimes au moins ?

Mais ce jour là, il n’eut pas la force de se lancer dans une nouvelle plaidoirie contre le mariage. Non, pas ce soir. Charles César se leva de son fauteuil, prit Mélanie dans ses bras et promit qu’il l’aimait. Puis, il sortit acheter un paquet de cigarette, se retournant sur le pas de la porte, il aperçut Mélanie dans sa jolie robe en fleurs, un chiffon jeter sur l’épaule. C’était là, la dernière image qu’il garda d’elle, une image qu’il n’oublierait jamais. Presque tous les souvenirs se meurent, mais il en reste quelques uns, comme coulés dans le bronze qui résistent aux assauts du temps. C’était le cas de celui-ci, Mélanie Rose et ce bonheur qui irradiait l’espace, un chiffon posé sur l’épaule. La porte derrière lui, presque sans bruit.

Il marcha, d’abord jusqu’au coin de la rue, puis à droite en direction de l’avenue principale qui le menait tout droit vers la gare centrale. D’un bon pas il devrait pouvoir y arriver avant minuit se dit-il. Il enchaîna donc les pas les uns derrière les autres, sans arrières pensées, sans pensées tout court.

A partir de cet instant-là c’était un nouveau chapitre de la vie de Charles César qui débutait. Des chapitres il y en eut tant d’autres, des pages et des pages noircies de vie. Remplies de chagrins, d’amours, de douleurs, d’emmerdes, brefs de souvenirs. Et maintenant, tant d’années après, alors que le livre touchait presque à sa fin, il se retrouve à quelques centimètres de son passé. Un passé qu’il n’avait jamais oublié. Une simple petite porte se dressait entre lui et cette femme qu’il avait tant aimée.

Drrrriiiiiinnnggg, le doigt sur la sonnette, le résultat ne s’est pas fait attendre, une longue sonnerie stridente le sorti brutalement de ses souvenirs.

Rien, puis un pas léger qui s’approche de l’autre coté. Le verrou se tire lentement cédant à une porte qui s’ouvre sans grincer sur une jeune fille pétillante aux cheveux très blonds. Mélanie Rose. A cette vue il sent un malaise le prendre. Pour Charles César l’uppercut dans l’estomac lui coupa le souffle, il sent le monde se dérobé sous ses pieds.

Oui ? La jeune fille l’interroge du regard, un peu amusée, un peu intriguée. C’est bien vous qui venez de sonner ?

Charles César ne trouvait pas ses mots. Ses paroles se perdaient dans sa bouche et sa tête oscillait de gauche à droite comme un métronome à pleine vitesse.

« Tiens donc » s’amusa la jeune fille « Si ce n’est pas moi, si ce n’est pas lui, indiquant d’un mouvement de tête celui qui se trouvait devant elle, c’est qui alors ?

Son regard bleu malicieux lui piqua le cœur comme le dard d’un papillon sauvage.

Charles César eut une longue hésitation, la gorge nouée il pleura : « c’est ton père ».

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