Leïla est née le 19 mai 2013, naissance d’un trésor, naissance de l’écriture.
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Dédicace pour ma fille Leïla

« Trois choses nous sont restées du paradis : les étoiles de la nuit, les fleurs du jour et les yeux des enfants ». Dante Alighieri

Ma chère fille,

Tu es née une nuit de Printemps, le 19 mai 2013, à 4h07. Tu regardais les étoiles. Tu avais le menton relevé, telle une figurine de défilé. Impossible pour toi de naître par voie basse, par voie naturelle.

Nous avions pourtant parcouru un bon bout de chemin ensemble, en arpentant les ruelles du marché le matin, s’arrêtant à chaque contraction, puis en longeant le bord du lac. Il y avait des deux grands cygnes qui avaient bâti leurs nids, l’un proche des maisons de pêcheurs, l’autre proche de la digue et des bateaux. Chacun d’eux couvait une demi-douzaine d’œufs. Quelques jours après ta naissance, en sortant pour notre première ballade lacustre, on pourrait voir les petits bébés cygnes avec leur duvet moëlleux et sombre, entourés de leurs parents aux plumes blanches étincelantes. J’avais l’impression que c’était l’inverse pour moi : tu étais bien née avec cette peau blanche et douce, d’une étrange pureté, mais moi je me sentais salie de cette nuit d’effort qui s’était terminée au bloc opératoire.

 

J’ai beaucoup pleuré quand la douleur de la cicatrice s’est réveillée, le dimanche matin qui a suivi ta naissance. C’était comme si on m’avait éventrée et que ma gynécologue m’avait volée ta naissance. Au plan purement rationnel et scientifique du terme, elle était un excellent médecin. Elle avait déjà assisté à la naissance de ton grand frère Lucien qui était arrivé un peu en avance, mais sans trop d’encombre. Lui, est né en regardant vers la terre. J’étais debout, agrippée à une corde pour défier l’apesanteur.

Toi tu es née en regardant vers le ciel, comme un papillon qui s’envole vers les étoiles de la nuit. Cette image du papillon m’a beaucoup aidé à accepter ce qui s’était passé. Peut-être qu’inconsciemment je le savais à l’avance car j’avais déjà décoré ta chambre avec de multiples papillons roses et mauves, au-dessus d’un arbre en fleur pour célébrer l’arrivée du Printemps et de la vie.

J’avais pourtant tout préparé pour une naissance naturelle, en douceur, avec ton papa, notre sage-femme et aussi la doula Andrea que l’on avait fait venir d’Amérique du Nord. Je ne regrette rien car c’était une expérience fabuleuse de commencer cette merveilleuse aventure de la naissance avec des ballades dans la nature, un dîner à la chandelle, des musiques chaudes et un bain illuminé par les bougies. A chaque contraction des sons vibratoires gonflaient dans ma poitrine et mes muscles faisaient leur travail pour dilater le col avec succès et te faire un passage jusqu’à 9 centimètres d’ouverture. Suspendue comme une liane au coup de ton papa, je le suppliais de me tenir fermement, aussi ferme qu’un arbre pour retenir mon corps et éviter sa liquéfaction totale sur le plancher de notre chambre. Et puis après minuit, plus rien ne progressait et je poussais désespérément sans voir la sortie du tunnel. Alors vers 2h du matin, la sage femme a pris la sage décision de me faire transférer vers l’hôpital.

C’est ton papa qui a conduit la voiture pendant que je me tordais de douleur, à quatre pâtes sur le siège arrière. Dehors je voyais défiler les lumières et je reconnaissais un feu ou un virage qui me donnait une idée du nombre de minutes à patienter avant d’arriver aux urgences. J’y suis arrivée en rampant et en courant entre chaque contraction. Puis tout est allé très vite et alors que mon corps semblait se vider de tous les côtés, comme une cocotte minute sous pression, les sage femmes de l’hôpital ont appelé ma gynécologue et l’anesthésiste. Je regardais l’horloge, à 3h on m’avait dit que cela prendrait encore 10 minutes. Vers 3h15, j’avais droit au cocktail explosif de péridurale et d’ocytocines, que ton cœur ne semblait pas vraiment supporter. A ce stade, la doctoresse m’a dit : « désolée, on a plus le choix », et on est descendu au bloc pour t’aider à sortir. J’étais triste car j’entendais cet écho dans sa voix du « je vous l’avais bien dit qu’il ne fallait pas tenter une naissance à domicile ». Mais ton père et moi, nous étions soulagés car tout cela aurait pu très mal finir, et pour toi, et pour moi.

Quand tu es née, nous étions là, derrière le rideau, et les médecins t’ont présenté à nous comme un trophée, un véritable trésor qui était enfoui dans le labyrinthe de mon corps. Tu étais ce magnifique papillon qui survolait les rideaux du grand théâtre de la médecine moderne. On m’a dit que peut-être que c’était toi qui avais eu envie de naître comme ça, telle une princesse à qui l’on déroule un tapis rouge, avec un portier spécial pour ouvrir la sortie d’un grand hôtel de luxe. Mais moi je n’y crois qu’à moitié. Une force étrange s’était immiscée dans notre projet de naissance, quelque chose qui nous dépassait, voulant empêcher notre séparation par les voies naturelles, comme si l’humanité devait nous prouver à nous deux que rien ne valait mieux qu’une naissance sous le contrôle rassurant de l’intervention occidentalisée et médicalisée.

Oui, mais que serions-nous devenues dans la même situation au fin fond de la brousse africaine, dans les montagnes afghanes ou les steppes mongoliennes ? On ne le saura jamais.

Que ce serait-il passé si j’avais choisi une autre sage-femme, à la maison de naissance ? Comme le disait ton papa, cela aurait pu être mieux… ou pire.

Alors accepter, il n’y a que cela à faire. Accepter qu’il y a des choses dans la vie qui nous dépassent et ne dépendent pas de nous.

Et biensûr apprécier, apprécier cet immense cadeau de la vie, cette beauté, cet amour tellement immense qui me submerge chaque jour un peu plus quand tu viens te blottir contre moi pour boire le lait maternel, te réconforter comme un petit châton qu’on caresse sur la tête jusqu’à l’assoupissement. C’est toi qui m’a guéri de cette terrible souffrance physique et psychologique que j’ai ressentie le jour de ta naissance. C’est peut-être pour cela que je t’appelle mon bébé magique. Un petit être si sensible et si vulnérable mais qui procure tellement de force et de réconfort à une grande personne comme moi. Leïla, mon bébé magique, bébé magique qui commence à faire ses nuits vers un mois, qui grandit si vite et si bien, qui se délecte à chaque repas et qui ne pleure qu’une petite demi-heure le soir lors du coucher de soleil. C’est toi Leïla, ma petite étoile de mer que je sens tellement bien arrimée aux cinq hémisphères de notre belle planète.

Leïla, la belle princesse de la nuit. Leïla – Zoé. Ton premier prénom veut dire la nuit, en arabe, et le deuxième la vie, en grec. Car malgré toutes ces péripéties nocturnes, tu avais bien décidé de vivre, résolument, et avec détermination. Tes poumons se sont emplis d’air comme un parachute qui était prévu pour un atterrissage en douceur, après le saut vertigineux que nous avions engagé toutes les deux. Aucun problème d’adaptation, tu as tout de suite adopté et embrassé ce monde pourtant si imparfait, ce monde que ta maman s’entête à vouloir changer pour le rendre plus juste, plus équitable, plus durable. La vie, tu sembles déjà la croquer à pleine dent, comme un bol de cerises dans lequel on pioche sans pouvoir s’arrêter de nouveaux fruits charnus et sucrés. Et en retour, tu offres ces sourires magnifiques à tous les êtres qui osent venir te parler du haut de leur grand âge, grand âge comparé au tien, ou encore à ton frère qui te fait tant rire quand il fait le clown au détour d’une rue ou d’un repas.

Leïla, princesse de la nuit. Tes yeux en amande sont une invitation au voyage et à la réconciliation entre l’Orient et l’Occident, entre l’arabe classique et le grec ancien, entre le soleil levant et le soleil couchant. Parfois je me plais à rêver que tu vas trouver un prince charmant, comme dans la légende orientale de Leïla et Madjoun, à l’instar de notre Roméo et Juliette occidental.

Je prie aussi les cieux, – si tenté que quelqu’un là-haut puisse avoir une emprise sur notre destin -, je prie pour que jamais dans ta vie tu n’aies à affronter la douleur violente et brutale d’une séparation. La séparation de la césarienne, ou bien encore la séparation d’un couple, comme est entrain de la vivre ta marraine Nathalie.

Nathalie a appris il y a maintenant 9 jours que Sébastien la quittait pour une autre femme et demandait le divorce. Nathalie et Sébastien, on les avait choisis pour toi comme parrain et marraine d’un couple et d’une petite famille exemplaire, avec leur fille Paloma, la belle rousse aux cheveux cuivrés. Et puis voilà que 5 mois après ta naissance, tout bascule.

Ton autre marraine, c’est Anne-Laure. Une femme forte elle aussi, une fille d’exception, mariée à un indien, qui fait carrière dans le fund-raising pour les causes humanitaires. Après avoir eu deux enfants, dont le premier, Pierre-Aman, est né un jour après ton frère, elle vient de décrocher un poste à responsabilité au siège du CICR (Comité International de la Croix Rouge) à Genève. De quoi en faire pâlir plus d’un. C’est elle qui m’avait donné l’adresse d’Andrea, la doula qui est venue à la maison pendant un mois pour s’occuper de nous, alors que je pouvais à peine marcher et surtout pas porter de charge lourde suite à la césarienne.

Pendant ces quatre semaines, j’ai entretenu avec Andrea une relation d’amitié ponctuée de hauts et de bas. Quand j’étais rentrée de l’hôpital, avec toi, mon petit bébé de 3kg dans les bras, je l’avais trouvée nue dans ma baignoire entrain d’écouter de la musique sur ses écouteurs, les jambes écartées de chaque côté du bain. J’étais sortie horrifiée de retrouver ces lieux quasiment sacrés où j’avais réussi à faire tout le travail de dilatation sans péridurale ni assistance médicale. Ma chambre et ma salle de bain, c’était un peu comme si c’était mon corps qu’on avait violé avec cette intrusion au scalpel.

Et puis ensuite tout était rentré dans l’ordre. Elle me préparait ses repas ayurvédiques qui me faisaient tant de bien, et tu te délectais de ce lait si doucement épicé pour le palais et la digestion. J’avais aussi droit à des massages bénéfiques pour le corps, le cœur et l’esprit. Mon être se laissait doucement guérir et assouplir par l’huile de sésame et le parfum des huiles essentielles. Vers 17h, il était l’heure de partir chercher Lucas à la crèche et c’était souvent elle qui s’y rendait, pendant que je prenais une douche chaude et que j’allaitais Leïla.

Lucas, il était très jaloux de tous ces soins réservés à sa maman et sa petite sœur, et il mordait à n’en plus finir toutes les personnes qui le contrariaient, y compris Andrea ou même sa grand-mère Nanou qu’il aimait pourtant beaucoup. D’ailleurs il a aussi mordu sa petite sœur à pleine dent, un petit pied dodu qui dépassait de la table à langer, un matin pendant les vacances estivales à la montagne dans le chalet de Grimentz.

Et pourtant, il t’aime tellement ton frère. Je crois que cet amour naissant a commencé déjà quand tu étais dans mon ventre et que je lui chantais des chansons le soir pour l’endormir pendant des heures. Je te sentais bouger de bonheur, à l’entendre ronronner, assis sur mes genoux. Et puis l’amour fraternel s’est déclaré le jour où il a vu qu’il arrivait à te faire rire en faisant des singeries. Car c’est bien lui qui a fait naître en toi le premier rire magique de bébé.

Vous êtes désormais unis pour la vie, en tant que frère et sœur, unis pour le pire comme pour le meilleur, pour les larmes, les rires, les jalousies, les jeux, les bagarres, les premiers amours et les premières sorties en boîte de nuit. Parfois je me surprends à l’imaginer amoureux d’une de tes copines de crèche, ou à t’imaginer toi dans les bras de son copain Pierre Aman !

Maintenant qui sait ce que te réserve la vie. Nul ne peut le prédire. J’espère que tu continueras à te délecter de la vie, comme de ce bol de cerises charnues et sucrées, sans te laisser déstabiliser par les quelques fruits trop mûrs qui auraient pu se glisser dans le lot. Mais en attendant, j’ai décidé d’écrire pour toi cette belle histoire imaginaire illustrée et nourrie de mes propres expériences. Cela peut paraître étrange de vouloir laisser cette trace en guise de testament à seulement 33 ans, mais je me suis dit que si je ne commençais pas ce projet, je ne le commencerai jamais.

Alors allons-y, partons ensemble pour cette belle aventure et ce beau voyage que représente une écriture naissante.

La suite, c’est l’histoire du voyage de Lucien et Léa, l’histoire de deux enfants nés de l’union de la lune et du soleil, sur une île située sur le grand lac d’une planète imaginaire. Leur mission: partir à la rencontre des habitants de la planète terre et les aider à prendre leur destin en main. Le mariage de l’énergie solaire masculine et de l’énergie lunaire féminine peut créer des miracles.

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