Créé le: 22.10.2024
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La mort fait partie de la vie
Quelques réflexions en hommage à ceux qui ont fait déjà le "grand passage"
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Nos sujets de conversation ont un spectre plus ou moins large en fonction de notre métier, notre genre, notre culture générale, nos préoccupations, etc. Dans l’incroyable monde occidental, un monde idéal, tout proche de « Une jeunesse sans vieillesse et une vie sans mort » (pour citer le titre d’un conte roumain), il y a un sujet tabou qui n’apparaît quasiment jamais dans les discussions : il s’agit de la mort.
Quand elle arrive, tout se passe discrètement, dans un cercle restreint, sans de grande manifestation de chagrin ; les corps sont la plupart du temps brûlés, ou bien leur lieu de demeure éternelle est temporaire pour donner la place à d’autres corps qui ont besoin d’un temps de repos. La vie reprend son cours après la cérémonie de passage, les gens continuent de se forcer à rester jeunes et à vivre longtemps. De ceux qui nous ont quittés on parle peu ou très peu, par discrétion peut-être, par gène d’aborder des sujets douloureux ; éventuellement osons-nous une pensée, une petite larme, seuls, dans l’intimité?…
La fête de la Toussaint et la fête des Morts n’ont plus beaucoup d’importance de nos jours. A la place, nous apprenons à nos enfants à se déguiser en monstres, squelettes, fantômes, sorcières, tout un amalgame d’accoutrements qui doivent faire peur, dans l’idée d’une thérapie comportementale : chasser le mal par le mal, se moquer de la peur, de la mort, pour les faire disparaître… Ce qui pourrait dire que, au fond de nous, nous avons vraiment peur de tout cela ?
Je suis née en Transylvanie. Je n’y ai jamais rencontré ni vampires, ni monstres, en tout cas pas la nuit et pas dans un cimetière. Les monstres ne sont pas parmi les morts, ils sont malheureusement parmi les vivants. Les gens, là-bas, ne se moquent pas de la mort, ils ne l’ignorent pas, ils n’essaient pas de la faire fuir : ils la respectent.
Enfants, mon père nous apprenait à prier pour une « bonne mort ». Chaque soir quand je faisais ma prière, j’essayais de m’imaginer une mort qui soit « acceptable » à mes yeux. Mais tout type de mort me semblait horrible…Une « bonne mort » était hors de ma capacité d’imagination. Aujourd’hui je commence à comprendre et je crois que mon père, lui, a pu avoir sa bonne mort : être entouré de ceux qu’il aimait, avoir eu le temps de préparer son âme au « grand passage », avoir eu le temps d’accepter…
Je me rappelle les enterrements comme des grandes fêtes, où tout le village était invité et, en ville, toutes les personnes qui avaient connu le défunt. J’ai le souvenir que nous pleurions de toutes nos larmes pendant la cérémonie religieuse, puis nous faisions tous la fête nous rappelant ce qui nous unissait, les moments que nous avions vécus ensemble. Les histoires coulaient en même temps que le vin : drôles ou tristes, baume sur les âmes de ceux qui restaient et, sûrement, sourires et amusements pour ceux qui partaient vers une autre existence. Les commémorations continuaient, en cercle plus restreint, après 6 semaines, puis 6 mois et ensuite chaque année. En fait, nous fêtons pour le vivant la date de sa venue dans ce monde, et pour le mort nous commémorons celle du passage dans un autre, inconnu, mystérieux, mais espéré.
Chaque année, pour la fête des Morts, les cimetières enflamment la nuit de mille bougies et le jour ils explosent en couleurs et odeurs des fleurs et du sapin. La colline ou reposent les morts devient un grand luminaire qui brille, visible depuis plusieurs kilomètres. Les gens visitent les tombeaux de ceux qu’ils ont connus, ils allument une bougie et disent une prière. Ils se rencontrent également en famille ou entre amis pour pleurer ou rire ensemble. Des fêtes ou des apéritifs animent le cimetière, qui prend vie le temps d’une nuit. La souffrance, comme le bonheur, a plus de sens si on la partage. Elle est triste et seule, la vie de celui qui ne sait pas avec qui pleurer.
Le monde actuel vise la performance, la perfection, la fraîcheur éternelle du corps et de l’intellect. La souffrance (la mort n’en est-elle pas le comble ?) n’a plus de place ici. Pourtant elle existe, elle arrive au-delà de notre contrôle. Elle nous prend toujours au dépourvu et, à son contact, nous cherchons des anesthésiants, des récompenses, tout ce qui peut nous rassurer ou nous faire oublier : distractions, écrans, substances quelconques, médicaments, sensations fortes… et même les innocents bonbons d’Halloween. Les «drogues » de la vie moderne sont innombrables, la plupart prennent un air d’innocence, mais elles peuvent toutes être remplacer par une seule et grande bénédiction : un ami.
Courageux sont ceux qui acceptent de vivre pleinement, consciemment, leur vie, avec des hauts et des bas, des souffrances et des joies, ce qui lui font confiance, en prennent soin comme d’un précieux trésor, tout en sachant qu’un jour ils vont devoir s’en séparer. Heureux sont ceux qui ont le courage de la partager avec les autres.
Mon fils de 9 ans m’a dit un jour, quand nous traversions un pont accroché à deux pics de montagne : « Si on tombe, c’est bien de tomber du plus haut possible, comme ça on profite mieux de la mort !». Sagesse ou folie ?… Peut-on « profiter » de la mort ? Peut-on la « vivre » pleinement, comme on aimerait le faire de la vie, comme faisant partie de notre vie ?
Une très belle et mystérieuse ballade populaire roumaine raconte l’attitude d’un jeune berger quand il découvre le complot mortel ourdi par ses camarades. Il n’essaye pas de s’enfuir, il n’imagine pas des plans pour déjouer le complot, il ne cherche pas à se défendre, ni à se venger. Simplement, il confie à son amie, une brebis pas comme les autres, sa peine de quitter ce monde si jeune et de causer autant de douleur aux personnes qui lui sont chères. Puis il lui expose en détails ses dernières volontés et ses souhaits pour l’enterrement, si le malheur devait arriver. Le poème ne dit pas si le berger a finalement perdu la vie ou pas, l’auteur anonyme se concentre à relater l’attitude devant une mort probable. Ne sommes-nous tous devant la même situation ? Autant de sagesse en quelques ligne dites ou chantées en langage populaire ! Le jeune berger ne désire pas sa mort, il la pleure, mais, il n’est pas seul devant son chagrin. Il n’en a pas peur non plus : il l’accepte et il se prépare, comme s’il savait que la mort faisait partie de la vie.
Si la mort nous inquiète par tout l’inconnu qui l’entoure, les morts, eux, ne peuvent et ne doivent pas nous effrayer : ils sont des âmes qui ont laissé leurs corps sur la Terre et qui veillent sur nous depuis une autre dimension. Mes réflexions ne sont qu’une invitation : prenons peut-être le temps d’allumer une bougie, de penser à nos proches ou amis qui sont morts, à leur vécu, à leur caractère, à leurs bons moments, à leurs souffrances, et, pourquoi pas, de raconter leur histoire…
Commentaires (2)
Starben Case
23.10.2024
J'aime le passage où ton père vous fait prier pour une "bonne mort". Je ne connaissais pas la coutume roumaine de fêter la mort et la description des cimetières vivants et illuminés la nuit montre la joie de penser, tous ensemble, à nos chers disparus. Comme au Mexique. La phrase de ton fils m'a beaucoup touché: Si on tombe d'une montagne "... il vaut mieux tomber du plus haut possible, comme ça on profite mieux de la mort." Les enfants disent des choses si étonnantes. Merci Oana
Oana
30.10.2024
Merci pour avoir lu et pour ton commentaire, Starben Case! Cela me touché beaucoup !
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