Ayant découvert Webstory trop tard pour participer au concours 2024, mais trouvant le thème "Au-delà" particulièrement inspirant, j'ai souhaité tout de même m'en servir pour écrire mon premier texte voué à être publié sur ce site.
Reprendre la lecture
L’ancre est bien implantée pourtant, mais elle ne résistera pas. Les grains de sable, bien qu’agrégés, ne résisteront pas. Les tonnes de sable qui l’ensevelissent ne résisteront pas. Cette masse d’acier se soulèvera sans s’en rendre compte. Force d’Archimède et des flots oblige.
Ancré dans le rivage, le bateau prend de l’altitude pourtant. La mer s’est redressée. La chaîne qui le lie au fond est inutile, dérisoire. On perd pied. Prise dans les courants elle paraît bien légère. Cordon ombilical du vaisseau aux profondeurs, les maillons ont déclaré forfait. La barque ne peut qu’attester, admettre, témoigner du torrent de tristesse qui abonde. Jusqu’où dérivera-t-elle ?
Le tsunami des émotions est inarrêtable. Le cœur est imbibé et les larmes en ressortent salées. Et difficiles à sécher. Poissonneuses. Visqueuses. Lourdes. Les larmes d’une âme qui pleure, désarmée, aimante. La goutte fait déborder la vase.
Elle se vide.
Le manque houleux sera là quoiqu’il en soit, mais le vent se lève. Annonceur de vagues ne pouvant être qu’impressionnantes, voire scélérates. Les larmes deviennent acides, brûlantes, tranchantes. Un sevrage de toi contre nature. Une immersion dans un monde dont ton absence le rendra morne, faillible, et imprévisible. Rivage sans phare, jetée sans ponton, port sans escale. Vide laissant place au trop plein de tout, sauf de toi. Inondation émotive. Néant du manque.
L’écume amère d’un deuil agité.
Tempêtes mélangées aux marées n’en seront que plus vindicatives. Marées mélangées aux tempêtes n’en seront que plus furtives. Planquées derrière le tumulte de leur grandes sœurs tempétueuses, les marées savent resquiller et surprendre, se faire accueillir sans laisser le choix. Elles sont là et s’imposent aux plages, qu’elles laisseront paisible dans un moment, au moment qu’elles décideront, qu’elles souhaiteront. La marée sait s’imposer sans avoir été invitée. Trait de caractère partagé aux tempêtes, sauf qu’avec subtilité, sans tonitruance, sans s’être annoncée.
La gravité de la lune la créera tout simplement. La pesanteur lunaire est. Contre tous les vents elle sera. Effet gravitationnel indomptable, elle arrivera et repartira. Cycle intrinsèque. S’y dresser contre est peine perdue. Le satellite décidera du cycle, de l’étape à vivre, à suivre. La marée scellera, aucune digue ne l’arrêtera, les terres n’ont qu’à s’éroder, le deuil les entamera de toute manière.
Les flots de la mort s’entremêlent. Tourbillonnaires.
Les marins ont beau tenter de prévenir le naufrage, un simple mètre de plus les aura pris par surprise. Ascendance sournoise, le bateau a changé de place, l’ancre n’est plus. Les points de repère ont disparu. Mais où sont donc le phare et ses lumières ? La plage est transformée.
Cette marée est lourde, elle surprend, on la sent arriver mais sans s’en soucier. Grave erreur. Elle débarque sans prévenir, en progression discrète, et tout à coup, est installée.
Soudain l’eau arrive. Mouillé. Trempé. Inondé. Submergé.
Soudain on perd du terrain. Envahi. Englouti. Enseveli. Enterré.
Puis les larmes se font plus rares. La fréquence des flots s’espace. L’acidité s’apaise. L’amertume s’adoucit. On pleure moins, simplement.
La marée recule, déjà. On ose rire, déjà. On s’habitue, déjà. On fait honneur aux disparus en vivant. On fait honneur aux disparus en osant les oublier, par bribes de liberté seulement, mais on ose malgré tout. On est. Sans eux, mais on est. On ose faire, on ose être, malgré… malgré l’impact, malgré les flots, malgré le crime d’oser être, continuer à vivre, sans. Absence totale. Vide abyssal.
La marée s’est déjà retirée. La plage était submergée, la voilà démasquée. La plage à nu, découverte, ne peut plus cacher ses marques, son érosion, ses crevasses. Les creux cassent ses longitudinales. La plage subit les marées et en porte les traces. Cicatrices contractuelles. La plage naît de, est, existe par la marée. Pacte indélébile et inaliénable. Le prix de t’aimer. La puissance des vagues leur rappellera, éternellement, qu’elles n’existeront pas l’une sans l’autre.
Surprenante par sa lenteur et si conséquente par ses flots, par ses lots.
La plage attend la marée suivante. Les cicatrices en seront d’autant plus belles.
Commentaires (2)
Webstory
06.01.2025
Bienvenu à Thibaut Lamunière avec son premier texte La marée. Puisse la prochaine marée apporter son lot d'émotions en laissant des traces sur la plage.
Thibaut Lamunière
07.01.2025
Merci beaucoup pour votre accueil !
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