Créé le: 02.02.2017
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La flaque d’eau

AUDIO, Fiction

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© 2017-2024 Suzy Dryden

Lecture audio par Suzy Dryden

Dans une flaque d’eau, il y a 1000 possibilités. Celle de sauter dedans avec des bottes en caoutchouc et d’éclabousser en faisant beaucoup de bruit. Ou...
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Dans une flaque d’eau, il y a deux possibilités. Celle de sauter dedans avec des bottes en caoutchouc et d’éclabousser en faisant beaucoup de bruit. Ou celle de l’enjamber pour éviter de se mouiller. Martin choisit la deuxième option. Après la nouvelle catastrophique de son licenciement ce matin, l’art d’esquiver lui semble plus approprié. Alors qu’il enjambe la flaque, une deuxième puis une troisième semblent s’avancer vers lui. Comme des ricochets dans l’eau d’un lac, éphémères mais légèrement mystérieux.

 

La tête lui tourne. Les flaques d’eau se multiplient devant ses yeux et il sent son cœur battre dans ses tempes. Dans la moiteur froide et humide de l’après-midi, son choix est fait. Mentir le plus longtemps possible pour ne pas inquiéter sa femme Amy. C’est si facile de faire semblant, d’esquisser sa vie, de porter le masque de celui qui ne sait pas. Aujourd’hui, le chemin à travers la vieille ville perd tout son charme familier.

 

En passant devant le Café du Soleil, encerclé par trois flaques immenses, Martin s’arrête soudain, pantois, incrédule. Une forme énigmatique posée sur un carton attire son regard. En s’approchant, sa curiosité s’accentue et il cligne légèrement les yeux derrière ses lunettes en écaille. Là, il regarde furtivement sa montre et constate qu’il est l’heure de rentrer, l’heure du thé : 17h07. Peut-être un signe ces deux 7. En général, c’est plutôt Amy qui est superstitieuse mais aujourd’hui peut-être à cause des circonstances particulières, les rôles risquent de s’inverser… Que faire? Ignorer ce tas et rentrer?

 

Non. Peu importe. L’heure attendra. La forme sur le carton d’abord. Martin enlève ses chaussettes bien cirées d’employé modèle et marche hardiment dans les flaques qui le mènent au tas. Autour de lui, pas un chat, pas un bruit. Le Café du Soleil affiche « Fermé pour travaux ».

 

Pêle-mêle, avachis en tas, il découvre une magnifique longue robe rouge en soie, un boa de velours noir, des escarpins enlacés et une lettre cachetée. Martin attrape la lettre et lit les mots visiblement gribouillés à la hâte :

 

« Pour celui qui me trouve. Pour la femme qu’il aime. Je ne serai bientôt plus. Les années passent…».

 

Martin n’arrive pas à déchiffrer la signature mais remarque que l’écriture glisse tel le doux frémissement d’une brise sur un lac.

 

Sans réfléchir, comme animé d’une soudaine confiance, il saisit les vêtements, attrape les chaussures, la robe rouge et le boa et enfouit la lettre dans sa poche.

 

Il court, il court, léger, saute dans les flaques d’eau, fredonne, s’éclabousse. Le paysage défile tel un train à grande vitesse.

 

La porte de leur appartement sans dessus dessous s’ouvre toute seule. Comme d’habitude, elle n’est pas fermée à clé. Sa femme Amy est déjà rentrée de l’hôpital où elle travaille comme infirmière depuis longtemps. Martin la retrouve devant le poêle vert, les yeux tout cernés, les pieds endoloris après une journée de travail. Il prend sa respiration. Elle se retourne et lui dit comme chaque soir:

 

-« Hello Martin. Comment s’est passé ta journée ? Mais… pourquoi es-tu tout trempé ?

 

Martin lui sourit.

 

-« J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle… ».

 

Suzy Dryden

Ecrit un jour de pluie.

Commentaires (3)

Yo-Xarek
01.11.2023

L'eau transmet beaucoup d'énergie et le reflet des flaques nous renvoie à notre image , nos souvenirs, notre vie. Cette curieuse découverte un peu surréaliste nous fait entrer dans le rêve.

Suzy Dryden
01.11.2023

Merci ! Je n’avais pas pensé à cet élément. L’inconscient doit sûrement parler…Résonance. À bientôt au fil des mots.

Suzy Dryden
01.11.2023

Merci ! Je n’avais pas pensé à cet élément. L’inconscient doit sûrement parler…Résonance… Cela me donne envie d’écrire la suite de cette nouvelle. À bientôt au fil des mots.

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