Créé le: 18.09.2019
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La dernière brique

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© 2019-2024 Ema Cera

Dans chaque légende se cache une vérité. Parfois, elle nous surprend en nous parlant d’humanité. La légende de MengJiangnü narre le destin tragique d’une histoire d’amour de la Chine antique. Un récit où la tristesse d’une femme pour son défunt mari provoque l’effondrement d’un pan de la Grande Muraille. Quand on y croit, tout devient possible…
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La dernière brique

Vernon regarde sa savonnette fixement. Il ne sait pas s’il va oser le faire. C’est une astuce qu’il a entendue d’un de ses camarades de classe. Soi-disant, si l’on ingère un bout de savon, on obtient un état fébrile. Il suffirait de croquer dans cette matière écœurante pour éviter cette sortie de classe au MEG. Visiter le Musée d’Ethnographie demain matin veut dire prendre part à un travail de groupe : écrire une histoire en s’inspirant de l’exposition temporaire « La fabrique des comptes ». Pour Vernon, qui aime la solitude de façon pathologique, c’est un calvaire à éviter absolument, au grand dam de son psychiatre.

Il vit essentiellement sur son ordinateur, par les réseaux sociaux et les amis virtuels qu’on enferme dans une réalité alternative silencieuse et impalpable.

Il prend le savon dans sa main et commence à le serrer fort. Il sait qu’il ne va pas oser. Une larme tombe sur son pouce crispé autour de ce petit pavé à l’huile d’amandes douces.

D’un geste ample, il jette le savon sur la porte de sa chambre qui s’écrase bruyamment, comme un coup de poing.

– Vernon ? Tout va bien ?

– Oui, pardon monsieur, le savon m’a échappé des mains.

C’est la voix de Bernard, l’éducateur du foyer, qui se fait entendre dans le couloir.

Vernon a été placé en foyer d’accueil suite à la dépression de sa mère l’année dernière. Son père, il ne l’a jamais vraiment connu. Lorsqu’il était à peine plus qu’un bébé, il l’a vu sortir acheter des médicaments à la pharmacie sans jamais en revenir.

Les secrets ayant la vie dure dans une cour d’école, ses copains de classe ont été informés des mésaventures familiales. Une chansonnette « Papa est parti avec la pharmacienne » a ainsi accompagné l’arrivée de Vernon en classe pendant plusieurs années.

Quant à lui, Vernon a préféré la lâcheté de son père à la méchanceté puérile et infantile. Il s’est enfermé dans une bulle virtuelle, avec connexion Wi-Fi, sans fenêtre sur l’extérieur.

 

Le lendemain matin, le réveil sonne comme le glas. C’est le jour J, celui de la création du compte, du travail en équipe, des soirées d’écriture à passer chez l’un ou chez l’autre, des échanges d’idées, des délais à respecter. Pour Vernon c’est une véritable punition. C’est l’exaltation de ses limites. Un hymne à ses faiblesses. Un combat qu’il est sûr de perdre.

Il fait froid ce matin devant le MEG. Une de ces journées tristes de novembre. Madame Liroi la prof de la classe 8P attend ses élèves, à l’extérieur, devant l’entrée du musée. Elle piétine pour se réchauffer. Les enfants arrivent par petites vagues, en fonction du passage des transports publics. Vernon se présente en dernier. 

 

– Tout le monde est là ? dit-elle d’un air joyeux qui se voudrait entrainant.

Elle compte les petites têtes en bougeant la sienne.

– On peut y aller !

Une fois à l’intérieur le groupe se dirige directement vers le grand escalier qui descend vers les lieux d’expositions sans passer par la billetterie. 

– L’exposition que vous allez voir se termine dans deux mois. Avec les Fêtes qui arrivent, vous n’aurez probablement pas le temps de revenir… Je vous prie donc de prendre des notes si des idées vous viennent à l’esprit pour vos futures créations.

Madame Liroi est remplie de bonnes intentions. Des ondes positives qu’elle essaye d’envoyer aux jeunes personnes qu’elle a devant elle.

Vernon n’a pas capté cette énergie. Absorbé par son petit écran de smartphone, il suit quelques mètres derrière tout le monde.

En passant devant l’exposition permanente, il lève la tête vers sa droite. La vitrine qui est visible depuis le couloir l’interpelle. Il entre dans la salle. Le reste du groupe, continue en direction de « La fabrique des comptes ». Certains diraient que cet instant, ce choix d’entrer dans cette pièce était inscrit dans sa destinée.

La première salle de l’exposition permanente est presque vide. Il y a un agent de surveillance à l’entrée qui regarde le groupe s’éloigner, en tournant le dos au lieu qu’il est censé surveiller.

À l’intérieur, une silhouette recouverte d’un coupe-vent est figée devant la vitrine où est exposée la brique de la muraille de Chine.

Tout à coup, une scène irréelle se produit. La silhouette se baisse pour ouvrir un sac à dos entre ses pieds.

Elle en sort un marteau avec lequel elle fait voler en éclat la vitrine devant elle. Une alarme se déclenche. L’homme (maintenant on peut le définir ainsi en voyant ses mains) s’empare de la brique exposée. Il tente de l’enfiler dans son sac à dos.

Vernon, qui est le seul témoin et donc une victime toute désignée, se fait tirer par le bras.

Sans avoir le temps de réaliser ce qu’il est en train de vivre, il se retrouve avec un canon de revolver sous le menton.

Plaqué contre la poitrine de son agresseur, Vernon marche à reculons dans le couloir qui mène à l’ascenseur. Un gardien surgit à hauteur de l’escalier. En voyant cette scène, il se fige et lève les mains comme si l’arme était dirigée contre lui.

Les quelques personnes présentes sont immobiles, paralysées par la peur et par l’effet de surprise. Arrivé devant l’ascenseur, l’homme appuie sur le bouton de sa main libre. Dans le couloir un silence inquiétant et irréel. Ils entrent ensemble dans l’élévateur toujours collés l’un à l’autre. Au moment où la porte se referme devant eux, l’homme pousse Vernon à l’extérieur de la cabine. Le garçon tombe. Promptement il se retourne pour voir le visage de son agresseur. Il a juste le temps d’identifier des traits asiatiques sur une peau mate et un visage ridé avant la fermeture des portes coulissantes.

Choqué, l’enfant reste couché sur le sol quelques secondes. En essayant de se relever, il remarque le revolver à ses pieds.

Pourquoi s’est-il débarrassé de son revolver?

En approchant son visage de l’objet, sans le toucher, l’aspect de l’arme lui saute aux yeux. C’est un jouet !

Il s’empare alors du pistolet de cow-boy et le range dans son sac juste avant l’arrivée des gardiens.

« Que diraient mes copains de classe s’ils savaient que j’ai été menacé avec un jouet pour enfant ? » pensa-t-il.

Il aurait encore droit à des moqueries sous forme de chansonnettes ou d’allusions indélicates pendant des années.

Il faut dissimuler l’arme du « crime » pour éviter ces représailles humiliantes.

– Ça va petit ? Tu es blessé ? lui dit un des gardiens.

– Oui, ça va… J’ai juste besoin de reprendre un peu mes esprits… répond le garçon, haletant, dans un état confus.

Madame Liroi est revenue sur ses pas alertée par la sonnerie de secours. Elle s’approche de son élève.

– Vernon, je vais téléphoner à ton foyer. Quelqu’un va venir te chercher…Je te trouverai un travail de remplacement à écrire à la place du compte…

En entendant ces mots, l’enfant peine à contenir un petit rire. L’absurde probabilité d’un vol dans un musée lui a fourni l’excuse qu’il cherchait pour éviter ce travail de groupe.

– Je suis désolé Madame Liroi, j’y tenais vraiment…

En prononçant cette phrase, il s’imagine acteur de cinéma. La phrase lui est venue spontanément, avec une justesse digne d’un comédien à succès. 

Vernon s’est relevé. Il regarde autour de lui une scénographie se monter à son insu. On pourrait le définir comme de la synchronicité jungienne. On se croirait sur un plateau de tournage. Des personnes affluent de tous les côtés. On commence à lui poser des questions. C’est lui la « star ».

On l’emmène dans le local réservé aux employés du musée en attendant l’arrivée d’un éducateur.

Un agent d’accueil attend avec lui.

– Ça va ? Tu as eu peur ? L’homme t’as dit quelque chose ? La police va bientôt arriver. Ils vont juste te poser quelques questions…

– Oui ça va… J’ai juste eu très peur… Mais heureusement tout est allé très vite… Je n’ai pas eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait…

– Tu es un garçon très courageux… dit-il d’un ton faussement condescendant.

 

– Pourquoi venir dans un musée pour voler une brique ? répond le garçon pour changer de conversation.

« Je ne sais pas ce que l’agent d’accueil penserait de mon courage s’il voyait le jouet dans mon sac… » pense-t-il. 

– Oh…mais il n’a rien volé du tout ! La brique est restée intacte au pied de son présentoir… répond l’employé presque fièrement.

Vernon prend un air étonné. Il éprouve un peu de déception. L’homme au coupe-vent non seulement l’a tenu en joue avec un revolver en plastique, mais en plus est parti sans son butin.

En rentrant au foyer, il ne parle pas, assis sur la banquette arrière de la voiture.

Sa courte célébrité prend fin.

Il retrouve son huis clos. Cet espace restreint qui lui sert de chambre et son ordinateur portable.

Sauf que cette fois, un intrus s’est glissé dans ce microcosme. Il y a un revolver en plastique dans son sac à dos. Il faut s’en débarrasser au plus vite, comme un mauvais souvenir qu’on cherche à occulter de son esprit.

Il pose l’arme sur son bureau. Et là, quelque chose se passe. Son regard fait mouche. Il fixe des yeux la crosse du faux revolver. Il y a une inscription gravée en lettres minuscules, un travail d’orfèvre : “Fú nóng call me Mengjiang-” Qu’est-ce que ça veut dire ?

Son agresseur avait un air asiatique. Il a brisé la vitrine qui exposait une brique de la Muraille de Chine. Maintenant cette inscription énigmatique… Vernon sent une étrange excitation l’envahir. Il vient de s’engager dans un jeu de piste…

Le jour suivant, son psychiatre, qui a appris l’accident, demande à voir son jeune patient.

Le garçon obtient un arrêt maladie d’une semaine pour « se reposer ».

C’est juste le temps nécessaire pour mener sa petite enquête.

De nos jours, la première chose qui vient à l’esprit de tout investigateur est d’allumer son ordinateur. Pour Vernon, c’est un geste qu’il fait spontanément plusieurs fois par jour.

En cherchant sur internet, il trouve un état chinois disparu en 1945 : Mengjiang.

« Call me » est surement de l’anglais pour dire « Appelle-moi ».

Fú nóng est un nom chinois. Lorsqu’on le tape dans Google, on trouve des restaurants, des personnalités plus ou moins anonymes, des citations quelconques. Cette première esquisse d’enquête, facile et simpliste est une piste qui probablement ne mène nulle part.

« Il faut aller chercher plus loin… ». Vernon ne se connaît pas cette ténacité.

Sur sa semaine de congé maladie, 3 jours se dispersent en pensées, à ressasser cette petite phrase pour lui trouver un sens. Un vrai casse-tête chinois sans queue ni tête.

Le 4e jour, son téléphone portable sonne.

– Bonjour Vernon, je suis le directeur du MEG, Boris Wastiau. J’étais absent l’autre jour. Ça te dirait qu’on se rencontre pour parler un peu de tout ça ?

Vernon est réticent, mais il se laisse convaincre quand le directeur lui dit :

– Il y a du nouveau dans l’enquête…

Quelques heures plus tard, le garçon entre dans le bureau du directeur. Il franchit le seuil de la porte en tant qu’inspecteur autoproclamé déguisé en victime de prise d’otage.

– Jeune homme, je voudrais te parler de l’autre jour. Je m’excuse d’évoquer ce terrible moment. As-tu vu ton agresseur ? Il t’a parlé pendant qu’il te tenait en joue ?

Vernon répond par la négative d’un hochement de tête compulsif.

– La brique que nous avons au musée aujourd’hui n’est pas l’originale. Le voleur l’a subtilisée pour la remplacer avec une autre… Plutôt étrange, non ?

Le garçon reste impassible devant ces révélations.

– Nous avons analysé cette autre brique qui semble en tout point pareille à celle que nous avions… sauf… cette inscription.

Il saisit le smartphone sur son bureau et le tend à Vernon. Sur l’écran du téléphone, il y a une image en gros plan d’une inscription gravée: “live : -Nü”.

Les yeux du jeune garçon s’écarquillent dans une micro expression que le directeur n’arrive pas à percevoir. Il a reconnu la calligraphie. C’est la même que celle du revolver qu’il cache dans la chambre du foyer.

– Bien… je te libère mon garçon dit le directeur dans un souffle de déception.

– Ça doit surement être un code de classification appartenant à une collection lâche-t-il sans vraiment en être convaincu.

– Je suis désolé de ne pas avoir pu vous aider Monsieur le Directeur.

– Ce n’est rien Vernon. Merci de t’être déplacé jusqu’ici. Cette histoire d’échange de brique doit rester entre nous, je te fais confiance… Il prononce ces derniers mots l’index sur la bouche.

En sortant du musée, le garçon s’empresse de se diriger vers l’arrêt de bus le plus proche. Il n’a jamais eu aussi hâte de rentrer au foyer. Il a trouvé la réponse à son énigme. Ses yeux brillent comme s’il venait de résoudre un théorème. Les deux gravures misent bout à bout compose un pseudo Skype : Mengjiang- et -Nü, MengjiangNü. « Call me »… sur Skype, c’est devenu évident.

« Je vais peut-être faire la connaissance de Fú nóng » se dit-il en trépignant d’impatience à l’arrêt de bus.

Lorsqu’il arrive au foyer, Vernon se dirige à grande enjambée vers sa chambre en lâchant un « Salut » hâtif à qui veut bien l’entendre.

Il se connecte sur Skype et cherche son interlocuteur mystérieux. Il ne s’est pas trompé. Il y a bien un Mengjiangnü sur le réseau de messagerie. Sa photo de profil est une image de la Muraille de Chine… pas de doutes…

On pourrait dire que c’est un cas de « syndrome de Stockholm ». Mais il y a bien une énergie intérieure chez Vernon qui le pousse au-delà de ses limites… lui-même ne saurait l’expliquer.

« Je vais lui laisser un message » susurre-t-il.

« Fú nóng, je suis le garçon que tu as pris en otage au Musée d’Ethnographie. Je t’ai retrouvé… ». Vernon regarde son écran d’ordinateur avec un petit sourire en coin.

Quelques minutes plus tard, il reçoit un appel Skype.

– Bonjour Vernon. Comment vas-tu ? J’attendais de tes nouvelles.

Tu n’as pas eu trop peur l’autre jour au musée ?

– Bonj…(il s’interrompt). Comment savez-vous mon nom ?

Il entend un petit rire à peine dissimulé.

– Pardonne-moi ce petit jeu de piste… Je devais vérifier ta motivation… C’est bien toi que je cherchais…

– Comment ça c’est bien moi ?!? Bien sûr que c’est moi ! J’ai eu la peur de ma vie ! dit-il d’une voix chargée d’émotions. Le même petit rire sort de son ordinateur.

– Je te propose une rencontre. Je vais tout t’expliquer. Et en plus j’aurai un cadeau pour toi… un très beau cadeau…

Vernon a les yeux brillants devant son écran.

– Viens seul. Le cadeau que j’ai à te faire pourrait susciter de la jalousie… Je t’attends au Café du Lys, demain à 14h, rue de l’Ecole-de-Médecine… Il y a toujours du monde à cet endroit, il ne peut rien t’arriver… À bientôt Fú nóng…

Il se déconnecte. “Pourquoi m’a-t-il appelé Fú nóng ?” pense-t-il.

Une partie de la nuit passe au ralenti entre recherches sur internet et tentatives d’endormissements.  Au petit matin, Vernon tombe de sommeil. Maintenant, il connaît la plupart des articles du web sur la légende de MengjiangNü. Une de ces publications mentionne un certain Fú nóng, un garçon chinois des campagnes. Suite à un rêve prémonitoire, Fú nóng se serait rendu à la muraille de Chine à pied, parcourant plus de 80 kilomètres. Il aurait assisté à l’effondrement d’une partie de l’édifice et vu le visage de Dame MengjiangNü. Une sorte de légende dans la légende.

Le lendemain, Vernon entre dans le café à 13h15.

Un homme entre. Il est seul. Il porte une grosse veste et un bonnet jusqu’aux sourcils. Il se dirige vers une table du fond isolée, qui au même moment se vide de ses occupants.

Une fois assis, l’homme découvre son visage. Vernon reconnaît son agresseur. Il a le sourire de ces moines tibétains qui ont atteint le Nirvana.

Il s’approche. Quand il arrive à sa hauteur, l’homme engage la conversation.

– Assieds-toi mon garçon dit-il d’un ton paisible.

Vernon s’exécute.

– J’ai le cadeau que je t’avais promis.

Il lui glisse sous la table le sac à dos qu’il a utilisé quelques jours plus tôt au musée. La brique est à l’intérieur.

– Vous êtes fou ?!? Je vais faire quoi avec une brique volée moi ?!? répond le garçon en entrouvrant le sac à ses pieds. 

– Écoute ce que j’ai à te dire sans m’interrompre, petit impatient. La brique du mur qu’il y a dans ce sac est la dernière brique d’une série de 3. Elles datent de l’époque de l’Empereur Qin Shi Huangdi. Elles ont le pouvoir de « guérir ».

– Guérir de quoi ? demande le garçon d’un air suspicieux.

– Elles guérissent celui qui les possède de ses peurs les plus profondes. Ainsi, aucune d’entre elles ne se réalise.

Après une brève hésitation, l’homme enchaîne.

– Je ne me suis pas présenté. Tu vas mieux comprendre si je te parle de moi. Je m’appelle Fan Xiliang. J’ai été marié à MengjiangNü, il y a plus de 2000 ans.

Vernon est pétrifié, convaincu d’être face à un fou. L’homme poursuit.

– J’ai travaillé à la construction de la Grande Muraille jusqu’à m’évanouir d’épuisement.

Pensant que j’étais mort, on m’a enseveli à la base d’un mur porteur. J’ai été réveillé par une secousse, suivie d’un éboulement. J’ai senti la structure de l’édifice se dérober sous mon corps. Je me suis agrippé à une pile de briques restées miraculeusement unies et intactes. Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais plongé dans une végétation luxuriante, couché sur ce lit de pierres agglomérées.

Un enfant était là, il me regardait avec le même air que tu me regardes en ce moment dit-il avec son petit rire atypique. En me voyant, il saisit une des briques pour m’assommer. N’arrivant pas à ses fins, il prit la fuite avec son bloc rectangulaire en le portant avec aisance malgré son poids. À mon tour, je m’éloignai de la Muraille avant d’être vu, en emmenant les 2 briques restantes. Je leur devais la vie, mais je ne savais pas encore à quel point…

Très vite, je me rendis compte du pouvoir qu’avaient ces pavés. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas en garder un seul, s’ils ont tous le même pouvoir ». Alors j’ai vendu au plus offrant la brique surnuméraire. Ce fut une erreur tragique que je regrette encore aujourd’hui. L’objet tomba dans les mauvaises mains. On raconte qu’en 1933, un certain Adolf Hitler se fit offrir cette pièce après avoir pris le pouvoir en Allemagne… Elle fut cassée des années plus tard par un officier allemand qui voulait s’en emparer.

– Attendez… Qu’en est-il de l’autre brique ?

– Je l’ai donné à un étudiant chinois… Cherche « manifestation tiananmen » sur internet, tu trouveras une photo d’un étudiant tenant tête à un char d’assaut… Il porte un sac en plastique. Il y a ma brique à l’intérieur. Je la lui ai offerte pour le protéger de ses peurs lors de cet événement…

Je devais retrouver la dernière brique et la remettre à une personne de confiance.

J’ai eu besoin de plusieurs centaines d’années pour retrouver une trace du garçon rencontré à la muraille. J’ai su même son nom :  Fú nóng. 

 

Fú nóng quitta ce monde très vieux, sans la brique. En 1879 il ramena l’objet sur son édifice d’origine, décidé à affronter sa plus grande peur, que nous avions en commun : la mort.

La brique fut recueillie par un jeune aventurier, Alfred Bertrand.

Vernon acquiesce d’un geste de la tête. Il connaît ce nom grâce à internet.

– Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans moi ? s’empresse-t-il de rétorquer. Il a beau prendre ce Fan Xiliang pour un fou, il n’en reste pas moins fasciné par son récit. 

– Tu es la « réincarnation » de Fú nóng mon garçon. En Chine, on parle de « renaissance ». Vous avez le même visage, les mêmes expressions et le même nom. Fú nóng se traduit Vernon en français…

– Cette brique est la tienne… Fais-en bon usage… Adieu Vernon.

Deux jours plus tard, le garçon retourne en classe. À la sortie de l’école un homme, accompagné de sa mère, l’attend. Elle tient un mouchoir sous son nez et ses yeux sont brillants. Lui, s’est accroupi à hauteur du garçon quand il l’a vu s’approcher.

– Il a les yeux de ma mère, tu ne trouves pas ? dit-il en fixant le garçon en face de lui.

– La semaine prochaine, tu quittes le foyer Vernon… On te ramène à la maison…

Ses dernières soirées au foyer, le jeune garçon les passe devant son ordinateur.

Mais cette fois, il ne se connecte pas à internet.

Il écrit juste un conte pour rattraper son devoir scolaire. Son titre : la dernière brique.  

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Webstory
03.04.2021

"La dernière brique" une histoire qui a participé au concours d'écriture 2019, mêle astucieusement les faits historiques, le fantastique et les émotions d'un jeune adolescent, arrivée en 3e position du Prix du Public.

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