Créé le: 03.01.2013
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La 10e Muse

Fantastique, Fiction, Nouvelle

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© 2013-2024 Starben CASE

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Les Muses se préparaient pour leur réunion. Un banquet qui avait lieu tous les 900 ans et ce moment était arrivé…
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La 10e Muse

 

Les neuf Muses de l’Antiquité

Calliope: la poésie épique

Clio: l’histoire

Mélpomène: la tragédie et le chant

Euterpe: la musique

Erato: La poésie lyrique et érotique

Terpsichore: la danse

Uranie: l’astronomie

Thalia: la comédie

Polymnie: la rhétorique et l’éloquence

 

Le ciel cette nuit-là était électrique, vibrant. Quelque chose, dont les humains ne soupçonnaient pas l’importance, se préparait. La longue nuit arrivait où les Muses se retrouvaient, un événement rare qui avait lieu tous les neuf cent ans. Cette fois, Mnémosyne, leur mère, les avait conviées en haut d’une tour dans la ville de New York, sur le toit d’un gratte-ciel de haut standing. Une grande table avait été mise dans un décor fascinant : une orgie de fleurs, de candélabres, de nappes brodées, de coupes en or, de fontaines … le banquet des Muses était l’occasion d’une débauche de beauté et de luxe. Tout était prêt. Soudain un vent souffla et l’air vibra pour faire apparaître trois belles jeunes filles Euterpe (la musique), Terpsichore (la danse) et Thalie (la poésie). Elles étaient inséparables et joyeuses, bien que Thalie s’enfermait parfois dans des humeurs tristes à n’en plus finir. Puis vint Clio (l’histoire) qui ne put s’empêcher d’atterrir dans un vacarme assourdissant battant des ailes et renversant trois chandeliers au passage. De sa stature imposante, elle salua ses sœurs d’un geste grandiloquant. Elle fut suivie de près par Calliope (la poésie) et Polymnie (la rhétorique) qui entrèrent en grande pompe par la porte d’entrée dont les lourds battants étaient tirés par deux majordomes exotiques habillés en livrées rouges. Elles étaient impressionnantes dans leur longues robes blanches, Calliope portant une couronne d’or et Polymnie des rivières de perles. Un tintement crystallin annonça l’arrivée d’Erato (l’art lyrique et érotique), une des plus belles Muses jamais créées. Elle était accompagnée d’un couple de tourterelles qui ne la quittaient jamais. Toutes s’embrassèrent et se parlèrent dans un joyeux désordre lorsque soudain un grand éclat de tonnerre et d’éclair imposa le silence dans ce brouhaha. Toutes reconnurent la marque de Mélpomène (la tragédie), Muse qui n’avait pas sa pareille pour ternir l’ambiance avec ses prédictions néfastes.

Elle salua l’assistance d’un geste ample et lent qui fit découvrir un poignard glissé dans sa ceinture en cuir. Il ne manquait plus qu’Uranie (l’astrologie) qui savait se faire attendre, elle, à qui l’éternité servait de mesure. Des coupes de champagne pailleté d’or furent distribuées et les rires et les conversations reprirent pour célébrer cette rencontre tant attendue. Les déesses de l’antiquité ne se rencontraient plus autant qu’à l’époque de leur toute puissance, car d’autres entités avaient pris le relais. Malgré une baisse d’intérêt de la part des humains, leur influence sur les arts et la création demeurait primordial. Sur un signe de Melpoméne, elles se placèrent autour de la table ronde dans l’ordre de leur arrivée et attendirent Uranie qui se manifesta bientôt. Les étoiles devinrent plus brillantes, le ciel plus sombre et une étoile grandit peu à peu en s’approchant de la terre. On devina la forme d’un cheval ailé, blanc, portant une femme aux longs cheveux bleus nuit qui flottaient derrière elle comme une traîne. Sa robe et sa cap d’azur, légères comme de la soie, ondulaient au vent jusqu’à ce que Pégase se posa avec grâce sur la terrasse. Il fallait admettre qu’elle avait le sens du grandiose et toutes admirèrent cette sœur qui leur apportait toujours le réconfort du sommeil. Elle glissa de son cheval et rejoignit les autres muses en les saluant d’un magnifique sourire. Enfin la nuit des Muses pouvait commencer. C’est Clio qui ouvrit le débat:

– Mes chères sœurs, c’est une grande joie de vous retrouver et je vous souhaite la bienvenue. Cependant, nous devons nous mettre au travail rapidement, car la nuit, même la plus longue, ne suffira peut-être pas pour ce que nous avons à faire.

– Nous avons déjà toutes réfléchi à la question, rétorqua Polymnie, ce qui facilitera la décision finale.

– A mon avis, le problème est bien plus grave que les fois précédentes», lanca Mélpomène. Euterpe et Terpsichore parlèrent en même temps, chacune à sa manière, pour dire que Mélpomène exagérait et qu’il fallait des solutions positives à une situation qui était, après tout, assez banale. Thalie approuva en silence, mais son regard suivait déjà les tourterelles qui se posèrent sur les épaules d’Erato. Celle-ci soupira et dit:

– De tout temps, les humains ont été inspirés par l’amour qui reste le plus noble des sentiments. Pour quelle raison faut-il créer une autre source d’inspiration?

Mélpomène leva les bras en s’exclamant que les temps avaient changé. L’activité des humains s’était accélérée dans un tourbillon de pensées néfastes qui les menaient droit à la catastrophe. La créativité perdait du terrain au détriment de l’appât du gain qui menait à la guerre et….

– Suffit! cria Calliope. Nous savons qu’il faut créer une nouvelle Muse et le temps est venu. Il en a toujours été ainsi. Que serait devenue la danse sans la musique? Et la tragédie sans la comédie? Vous savez toutes à quel point notre rôle est primordial. Vous savez toutes que chacune d’entre-nous complète à merveille toutes les autres. Le monde est devenu plus complexe, les arts se sont diversifiés et il est de notre devoir de créer cette nouvelle sœur qui saura inspirer les générations à venir. Et, j’insiste, créons-la dans la joie qui nous caractérise!

On entendit les papillons voler, tant le silence se fit lourd. Euterpe qui avait déjà bu plus d’hydromel que les autres émit un rot élégant qu’on prit pour un gargouillis.

– Oui, c’est important, mais ce n’est pas une raison pour s’énerver en début de soirée, murmura Thalie.

Clio reprit la direction du débat et posa la question: que celle qui a une proposition nous en fasse part… Et elle se tourna vers Urania qui avait manifestement longuement réfléchi.

Celle-ci se leva:

– Il est évident que depuis la nuit des temps, les poètes, les écrivains, les artistes, et même les inventeurs, enfin tous les créateurs en général trouvent leur inspiration la nuit. Même l’amour, chère Erato. Tu avoueras que c’est aussi la nuit qui abrite les sentiments amoureux. En conséquence, je suggère une Muse céleste et nocturne qui complétera ma tâche devenue assez lourde.

– Avoue surtout que tu te sens seule dans ton ciel et que tu voudrais de la compagnie, lança Mélpomène avec un rictus ironique.

– Si tu as une autre proposition Mélpomène, tu peux nous en faire part au lieu de vipérer inutilement, coupa Clio.

Les convives d’exception se trouvant autour de cette table continuèrent à se servir avec plaisir des nombreux délices préparés par les demi-dieux envoyés par Apollon. Ce dernier, qu’on soupçonnait d’avoir été l’amant de Calliope, se faisait chaque fois un honneur d’organiser cette soirée exceptionnelle afin de s’attirer les faveurs des Muses. Euterpe prit la parole pour rendre ses sœurs conscientes que de nouvelles formes d’expression existaient avec l’arrivée de l’ordinateur. Des jeux d’adresse et de lumière envahissaient les écrans, les façades des maisons et même le ciel. La poésie pouvait courir le long des murs, la musique envahir les rues. L’art éclatait sur des supports multiples.

– Oui, mais cela reste de la poésie. Les mots sont les mots, qu’ils soient sur des supports différents n’y change rien, dit Terpsichore.

C’était au tour de Calliope.

– Mes sœurs, je propose d’élever le débat et de porter notre attention, non pas sur les supports, ni même sur les formes d’art contemporain qui deviendront obsolètes dans peu de temps, mais sur la source: l’émotion qui mène à l’inspiration.

Polymnie ne put s’empêcher de faire remarquer que l’émotion n’était pas forcément à la base de la création.

– Et pourquoi pas, répondit Erato. C’est bien le sentiment amoureux qui…

– Mais l’amour ne mène pas le monde Erato ! coupa Mélpomène. Il n’y a pas que l’amour crois-moi. On assiste même à une absence d’amour depuis des siècles ! Les histoires d’amour mènent aussi à la guerre, au suicide, au meurtre. Rends-toi à l’évidence.

Clio comptempla ses sœurs: le débat n’avançait guère. Melpomène et Erato, d’habitude en accord, se querellaient sur un terrain glissant. Euterpe qui avait bu encore plus que de coutume, tombait de sommeil et Uranie s’était enfermée dans son monde… Il fallait trouver une diversion.

Terpsichore pris sa harpe pour harmoniser les auras et l’atmosphère devint plus lisse, plus transparente. Polymnie se leva bien droite dans son drapé blanc et d’un air solennel déclama qu’il n’y avait pas besoin de sentiments pour créer. Il fallait de l’intelligence, de la persévérance, de la rigueur… A côté des autres muses, Polymnie ressemblait à une statue de marbre dépourvue de charme. Son discours fut coupé par un méli-mélo de protestations et de rires.

– Poly, mais tu délires… enfin si seulement», dit, en riant, Thalie. Les qualités que tu énumères sont certes nécessaires, mais ne sont que des accessoires de la création. De tout temps, ce qui motive les hommes, c’est la tristesse, la colère, le malheur.

– C’est vrai, dit Erato, rien de plus productif pour nous qu’un amoureux éconduit. La douleur le rend vulnérable au sentiment créatif et ses larmes deviennent mots, peinture… La grandeur du sentiment amoureux dont une personne est la cible – si cette cible n’est plus – se métamorphose en un sentiment universel tourné vers les autres.

– Pour une fois, je suis d’accord, entonna Mélpomène, la tragédie est le terrain fertile qui donne naissance à la transformation et la seule transformation qui trouve grâce à nos yeux est celle qui mène à la beauté.

Soudain, Uranie, qui semblait dormir, gonfla ses voiles pour imposer le silence.

– Ce discours m’est familier, moi dont la nuit donne naissance au jour et qui abrite tant d’astres en feu dont l’éclat ne brille que la nuit. Ainsi, j’abonde dans votre sens, il nous faut une Muse obscure pour faire naître l’éclat de la création.

Une Muse obscure. Le mot était lâché. Une Muse aussi tragique que Mélpomène mais à qui il restait un fond d’espoir, comme une promesse. Terpsichore murmura timidement:

– Euh… Comme une chrysalide qui se transforme en papillon?

Toutes regardèrent Terpsichore dans un silence bienvenu. Saisissant ce moment de grâce, Calliope prit la parole:

– Nous avons maintenant tous les ingrédients pour former notre nouvelle sœur. Il faut se hâter car l’aube approche. Je vous demande de bien vouloir vous lever, donnons nous la main et fermons les yeux.

Les Muses s’exécutèrent.

L’air devint très dense, presque liquide. Et dans un silence total, au centre de ce cercle parfait apparut une forme gracieuse suspendue dans le vide, entièrement enroulée dans une matière translucide qui se craquela peu à peu. Ainsi naquit Noctilène, la muse de la nuit pour inspirer les insomniaques.

 

FIN

Commentaires (1)

Starben CASE
19.05.2020

Je découvre par hasard que la réalité rejoint la fiction: Anna Maria van Schurman, savante et artiste (1607-1678), première femme universitaire d’Europe, a été surnommée la dixième Muse par ses contemporains. A 30 ans, elle parlait 14 langues dont l'arabe et l'hébreu. Elle a sa place dans l'oeuvre contemporaine The Dinner Party (Brooklyn Museum, New York) réalisée par l'artiste Judy Chicago, pour honorer les femmes qui ont fait l'histoire.

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