Chapitre 1

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Et si un tueur en série écrivait une lettre au capitaine de la police ? Et s'il avait attendu 30 ans pour l'écrire ? Et s'il décidait de revenir ?
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Joyeux Anniversaire ?

 

1er mai 2054. Quelque part.

 

Très cher et respecté Capitaine Loyt, et agents de la police de Genève,

JOYEUX ANNIVERSAIRE !

 

Je gage qu’aucun d’entre vous ne s’attendait un jour à être témoin du jour où cette missive, aussi improbable soit-elle, ne vous arrive.

Je vous devine, jusque-là, lire ces premières lignes, le sourcil droit levé, vous interrogeant sur ce que cette lettre aura de si particulier et quel en est

son expéditeur.

Soyez-en sûr, amis policiers, votre curiosité sera comblée au-delà de vos attentes.

 

Aujourd’hui, 1er mai 2054 est un jour spécial. C’est un anniversaire. Souvenez-vous :

Genève, il y a 30 ans. Une nuit de lourde pluie et de pleine lune, sur les routes pavées de la vieille ville, à 50 mètres des canons, vous découvriez

Martine Mauvin, 22 ans, poignardée donc à 22 reprises, baignant dans son propre sang et l’auriculaire gauche en moins.

Ma première.

 

C’est la larme à l’œil que je repense à cette nuit-là. Savez-vous que l’on n’oublie jamais sa première fois ?

Je revois, comme si c’était hier, ses cheveux noirs et mouillés adhérant à sa peau. Je revois son maquillage, juste trop présent, dont la capacité

waterproof avait atteint ses limites. Je revois sa surprise sans peur, mêlée à l’incompréhension sur son visage lorsque sa vie quitta son corps frêle.

Elle s’étendit sur les pavés irréguliers et resta sereine et immobile, telle qu’elle le resterait éternellement.

Veuillez excuser cette digression poétique.

Je vous écris tout d’abord pour ne pas célébrer cet anniversaire seul et être bien certain que, vous non plus, malgré la distance qui nous sépare depuis

si longtemps, vous n’omettiez pas l’importance de cette journée.

Évidemment, cela n’enlève en rien l’importance qu’ont eue Alexandra Alic, Clémentine Carline, Fabienne Faure et Pauline Peret qui, cette même

année, ont perdu respectivement leur annulaire, majeur, index et pouce.

 

Mais que serait un anniversaire de 30 ans sans un cadeau à sa mesure, me direz vous. Vous trouverez, jointe à cette missive, une photo des bois de

Jussy avec une croix rouge. Sous cette croix rouge, enfouie à 1 mètre 50, une grande malle en métal et dans cette malle, celles qui m’ont permis de

me faire une main supplémentaire l’année suivante.

 

Peut-être l’avez-vous déjà deviné, que le doute vous assaille depuis des années ou depuis le début de cette lettre, mais non !

Marcel Grach qui a hurlé son innocence et crié à l’erreur judiciaire pendant les 20 années de son incarcération n’était PAS « le tueur des rues basses »

ou « le collectionneur de phalanges ». Vous pouvez vous en mordre les doigts. Il était bel et bien un simple et charmant jeune homme dont

l’innocence aurait dû vous crever les yeux. Il n’avait pas l’étoffe, pas les capacités cognitives, ni même le doigté pour élaborer une œuvre aussi

merveilleusement complexe.

 

Pourtant, à l’époque, vous fûtes à deux petits doigts de me coincer. Aussi, je vous avoue que cette petite « bavure » comme l’ont dit affectueusement

dans votre jargon euphémique m’a permis de prendre mon temps et je puis vous assurer que depuis, j’ai de quoi remplir de nombreuses autres paires

de gants. Cependant, je suis las de jouer au chat et à la souris avec des enquêteurs dont l’incompétence n’a d’égal que leur laxisme. C’est d’un ennui

mortel ! J’ai écumé les villages et les ports, croyez-moi et partout la même médiocrité a contaminé les forces de l’ordre !

Ils semblent incapables de lever le petit doigt pour tenter d’endiguer l’hécatombe de leurs villes. Cela ne permet absolument pas à mon art d’être mis

en valeur ni à mon talent d’être reconnu. Je suis contraint de modérer mes aspirations, de laisser volontairement des indices : Une empreinte par-ci,

un bout d’ongle par-là, tel le petit Poucet, pour que ces ersatz de limiers daignent pointer le bout de leurs museaux.

Je ne retrouve pas le minimum de l’excitation que vous avez pu me faire ressentir Capitaine Loyt !

 

Mais me brider comme je le fais est de la malhonnêteté intellectuelle. Avec vous, jamais je n’aurais eu besoin de tels artifices. Avec vous, je pouvais

réaliser mes œuvres sous leurs formes les plus pures, exposer mes toiles de Maître à la vue de tous et laisser l’art primordial, l’art ultime me pénétrer

et faire de moi le pinceau de ces fresques éphémères…

Jouer avec vous me manque.

Avec vous, j’étais MOI.

 

Je me permets de faire un aparté dans cette lettre d’anniversaire et je profite, Capitaine Loyt, pour vous faire mes plus sincères condoléances avec

quelques années de retard pour le regretté lieutenant Marco. Je sais que vous étiez amis et qu’il était un proche de votre famille. Son enterrement fut

émouvant. Quant à votre discours si touchant, même votre femme Laurie Loyt sanglota en vous écoutant. Je me rappelle n’avoir pu m’empêcher de

lui tendre un mouchoir qu’elle saisit délicatement entre son pouce et son délicieux index.

 

Pour revenir sur une note joyeuse, mon petit doigt m’a appris que vous vous approchiez gentiment de la retraite Capitaine Loyt. Et comme j’étais

présent à vos débuts, il me tenait à cœur d’être présent pour votre fin. Que voulez-vous ? Je suis un sentimental. On ne se refait pas.

En ce qui me concerne, en revanche, aucune retraite de prévue.

« Choisis un travail que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie », disait le sage Confucius.

J’aimerais que vos deux dernières années soient l’apogée de votre carrière, qu’elles finissent en apothéose ! Et je vous aiderai à cela.

 

Le temps à fait son office et vous vous êtes amoindri mon ami. Vous vous êtes reposé sur vos lauriers ! Vous vous êtes adouci !

Avec moi, vous étiez VOUS !

Vos sens étaient perpétuellement en alerte, vous étiez d’une ténacité incessante, votre ingéniosité était légendaire et votre sagacité diablement

affutée.

Je vais vous remettre en selle, Capitaine !

Croyez-moi, jamais vous ne vous serez senti plus vivant.

 

La Cité de Calvin me manque, je serai bientôt de retour.

À nouveau, les murs de la ville vibreront aux sons des sirènes.

À nouveau, les pavés de la ville exposeront mes nouvelles scènes.

 

Que la partie recommence !

 

 

Votre partenaire, votre ami,

 

S : Le Maître

 

 

FIN

Commentaires (1)

Thomas Poussard
14.09.2021

Original ! ça change de la majorité des autres textes qui sont (trop) souvent introspectifs et égo-centrés. Bien joué !

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