Créé le: 06.07.2022
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Jour de tournage

Auto(biographie), Fiction

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© 2022-2025 a Thierry Villon

Quelque part, au fond de ma mémoire, le solde des journées studieuses d'un film en gestation.
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Encore un jour, un mercredi, je crois, peut-être, mais qu’importe ! Le temps file à toute allure, vers je ne sais quoi. Une ombre, une vie vite faite, une ambiance puis une autre, une sensation, une émotion, une rémission et puis s’en va. S’en va-t’en guerre, parce que la guerre, c’est toujours ça de pris sur l’ennemi, tant pis si les gens meurent, si les bâtiments tombent, si les armes tonnent, qu’on pleure dans les chaumières. Rien ne compte, sauf l’orgueil des puissants, des inarrêtables, des dominants intouchables, assassins de la paix, meurtriers de la joie, saccageurs de l’amour ! Un peu de raison ne nuirait pas, ce serait de bonne guerre (si j’ose) !
Planté le décor, réglées les lumières, peaufiné le scénario, briefés les acteurs, pomponnées les actrices. Et je crie : moteur ! Une libellule s’envole du bouquet d’acacias et vient se poser sur la caméra. J’ai envie de hurler, mais non, je lui laisse faire sa discrète station sur mon précieux outil. Puis la scène se construit, seconde par seconde, réplique par réplique, mouvement par mouvement. Combien d’images ? Combien de minutes de tournage exploitables ? On le saura plus tard, au montage. En attendant, je crie : action ! Et toute la scène s’illumine de milliers de lux colorés, qui donnent au décor cet accent de réalité qu’on ne trouve d’ailleurs pas dans le monde réel. Bienvenue dans le monde de la fiction, du trompe-l’œil, du maquillage, du magouillage, et que sais-je encore ?
Peu de réalité dans ce kaléidoscope de faux-semblants. J’y crois, donc les spectateurs y croiront aussi. Ils se laisseront prendre par l’illusion, parce qu’ils le veulent bien, parce qu’ils sont venus chercher un monde qui n’existe que dans mon imagination, parce qu’ils ont un besoin urgent d’échapper, l’espace d’un moment, à la laideur de leur vie ici-bas, à la violence des êtres réels, à la vanité, à la décadence, au vide sidéral de leurs âmes perdues.
J’écris encore un paragraphe, certain que la lumière finira par s’allumer, à l’autre bout du livre, au mot : fin, ou au fin mot ? Audiard et Bacri, Michel et Jean-Pierre, main dans la main, referont les dialogues, pour plus de clarté, plus de clinquant, celui qu’on met sur les grandes productions. Je n’ai plus de mots, muet d’admiration devant tant de verve, tant de trouvailles inédites. On approche le chef-d’œuvre et cette petite musique me trotte dans la tête, avec tout l’orchestre qui joue ensemble. Sortez les violons, la veuve va pleurer, les amants vont s’aimer dans la pénombre de leur chambre au bord de l’eau, les enfants vont jaillir de leur école en hurlant : vive les vacances, enfin, les soldats vont quitter leur caserne, rendre leurs fusils, retrouver leurs vêtements civils et monter dans le train du retour, en chantant : victoire, liberté !
Drôle d’ambiance, quand la journée s’achève : les figurants décontractés, les acteurs démaquillés, les techniciens déconnectés. Je rôde entre les tables recouvertes de victuailles, je pique au passage un fruit dans la corbeille et je me retrouve nez-à-nez avec l’accessoiriste qui me fait les gros yeux, secoue la tête et je comprends : la pomme est fausse. Je la repose en souriant. La dame la replace dans la position exacte où elle est censée être demain, quand on refera la scène, une fois de plus.
Je crierai : moteur, action ! La danse repartira pour un tour, la valse retentira sous le chapiteau déguisé en salle de bal, les danseurs tournoieront avec leurs cavalières, jusqu’à ce que tout le monde supplie qu’on en termine, qu’on les laisse souffler, que je leur permette de respirer un peu.

Loin des grandes discussions qui se sont éternisées après l’orage, j’élabore la suite du travail, un jour après l’autre, ne rien brusquer, rester concentré, à l’écart dans le van qui me sert de bureau, de chambre à coucher et de refuge parfois.
Soif, soif, pas de répit, je descends la bouteille d’Evian pétillante… faire boire les seniors qu’ils m’ont seriné durant tout l’été. Vangelis résonne dans mes écouteurs. Demain, je demanderai du Kitaro, en ouverture et… action !

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