Créé le: 02.04.2023
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J’irai dormir chez vous
Il pleuvait fort sur la grand-route... Nous n'avions pas de parapluie.
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La pluie bat sur les feuillages. Sombre dimanche après-midi. Écartant les rideaux du ciel, je me retrouve soudain au loin, en Finlande, à 2.500 km d’ici.
Il pleuvait fort, là aussi. Un petit bourg sans grand intérêt. Alentour, la forêt, les lacs. Nous avions cassé la croûte, Frantz et moi, assis sous un auvent, à la lisière du cimetière : sardines et pain suédois, en regardant tomber la pluie. Rien de glorieux sans doute, mais, nous le savions : nous serions au sec pour la nuit.
Nous voyagions avec une carte Interrail, et parcourions ce pays nordique avec curiosité. Les trains n’étaient pas des rapides, ils s’arrêtaient un peu partout. Le soir approchait, où dormir ? L’un de nous avait lancé témérairement : — Le prochain patelin, on descend, et on se débrouille. Entendu. « Joroinen », disait la pancarte de la gare.
Des fermes, des habitations qui semblent plutôt confortables. Errant dans les rues, nous nous adressons à une passante, qui ne parle aucune langue civilisée, mais qu’à cela ne tienne ! Elle nous embarque d’autorité dans sa voiture ; on se demande bien vers où, jusqu’à ce que, étant descendue frapper à une porte, elle nous présente à une dame, une copine à elle manifestement… qui est prof d’anglais.
Nous voilà tout confus : nous expliquons tant bien que mal que nous sommes Français, que nous cherchons un coin de garage ou de grange, juste pour passer la nuit, demain matin on disparaît, promis ! Elle nous considère un instant puis décrète :
— Vous allez dormir ici.
Et elle nous indique la chambre de sa fille. On n’en demandait pas tant. Une qui n’a pas l’air trop ravie, c’est sa fille (elle dormira dans une autre pièce). Retour du mari, sommairement mis au courant en langue finnoise par sa femme, et qui, semblant légèrement surpris, mais sans plus, vient nous serrer la main en grommelant quelque chose, peut-être un message de bienvenue. La dame s’excuse de nous faire coucher au sol, sur des matelas mousse. Cela nous fait sourire : nous avons dormi dans des trains, sur les escaliers de l’université d’Oslo, dans une maison abandonnée aux vitres brisées (à Boden, en Suède, à l’intérieur d’une zone militaire avons-nous compris plus tard), au fond de soubassements en béton, dans des wagons de marchandises vides… Là, c’est du luxe !
Nous sommes donc allés manger nos sardines, le soir, en bordure du cimetière, ne voulant tout de même pas nous imposer pour le dîner. Mais le lendemain matin (nous sommes encore abrutis de fatigue), elle nous offre le petit déjeuner, biscuits fait maison, confiture de myrtille… Nous convoquons toute notre science de l’anglais pour faire bonne figure. Être accueillis ainsi, au fin fond de la Finlande, par des gens que nous ne connaissions absolument pas… C’est gênant. Je demande à la dame d’écrire sur mon carnet comment on dit « Merci » en finnois. Amusée, elle s’exécute : KIITOS.
Nous l’abandonnons, elle et son mari (sa fille semble toujours bouder plus ou moins), en lui promettant de lui envoyer une carte de France, à notre retour. Nous l’avons fait. Nous avons écrit KIITOS ! en lettres capitales au dos de la carte, au milieu de quelques phrases de circonstance. Merci Madame. Je n’ai jamais oublié comment on dit « merci » en finnois. Et désolés pour avoir squatté la chambre de votre fille, dont je n’ai pas retenu le prénom.
Les jours suivants, nous avons vu Savonlinna (« la perle du Saimaa »), nous sommes passés, de nuit, juste à côté de la frontière de la Carélie soviétique (à Parikkala). Helsinki, Turku… Stockholm. Soleil et pluie. Nous étions jeunes : j’avais seize ans et demi. Le monde était grand, merveilleux, et plein de promesses.
La pluie bat sur les feuillages. Je songe à la petite gare de Joroinen, où je ne retournerai jamais. Il fait un peu moins noir, me semble-t-il.
(Longtemps après, j’ai découvert l’émission télé d’Antoine de Maximy (celui qui ressemble à Graeme Allwright), « J’irai dormir chez vous », diffusée sur France 5, puis sur RMC Découverte. Nous étions donc des précurseurs.)
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