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© 2021-2024 Hemera

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« Je me bats contre moi-même ». C'est mon père qui disait ça quand il se battait contre son corps, quand il essayait désespérément de perdre du poids. En y regardant de plus près, on se bat tous contre nous-même au quotidien, non ?
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Héméra,

Rue du Petit Scel,

Montpellier,

Madame Peur,

Route du Futur,

 

Jeudi 02 Septembre 2021

Je m’écrie

 

« Je me bats contre moi-même ». C’est mon père qui disait ça quand il se battait contre son corps, quand il essayait désespérément de perdre du poids. En y regardant de plus près, on se bat tous contre soi-même au quotidien, non ?

 

Si aujourd’hui j’écris cette lettre, c’est pour faire sortir tous les maux que je garde en tête et que mon sommeil ne veut plus garder. Si j’écris cette lettre, elle t’est destinée. Oui toi ! La peur. Celle qui me ronge au quotidien, celle qui m’a fait échouée avant même d’avoir essayé. Pourquoi faut-il que tu te mettes toujours entre moi et mes rêves ? Je t’ai raconté mes peines, écouté les tiennes, je ne dirais pas que tu es ma plus belle rencontre, mais la plus ancienne, ça oui !

J’étais une enfant sage, sans problème, solitaire, discrète, autonome, créative. Et si bien souvent l’on me disait introvertie, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, moi j’étais juste une enfant qui jouait dans son coin, sans rien demander à personne. Aujourd’hui, je dis que je suis introvertie, et alors ? Ce n’est pas une maladie. Pendant le temps de l’insouciance, je ne connaissais pas la légèreté de la vie, parce-que toi, tu étais là depuis le début. Tu t’es agrippée à moi, tu m’as accompagnée, suivie sans jamais me guider. Mes rêves d’enfant devenus des illusions d’adultes, mes grandes ambitions devenues des inaccessibles, j’ai eu peur d’avoir peur toute ma vie. Peur d’échouer, d’aimer, de parler, de faire des choix (thé ou café ? Aujourd’hui, les deux sans doute, cent doutes effacés), peur de la foule, des rendez-vous, de l’inconnu, de tout. Je suis restée figée dans ma tête pendant des années parce-que je suis capable d’y vivre. Me couper du monde extérieur pour me réfugier dans mes rêveries éveillées parce-que c’est plus facile que d’affronter la réalité de la vie.

Grandir à tes côtés n’a pas été un jeu d’enfant. Je me défiais avec des « cap ou pas cap ? » pour te contrôler quand tu prenais trop de place avec ton amie, l’angoisse. « Cap ou pas cap de dire bonjour au monsieur que je m’apprête à croiser ? », « cap ou pas cap de répondre au téléphone qui ne s’arrête pas de sonner ? », « cap ou pas cap de déposer un bisou sur la joue insensible de mon père ? ».

Tu es sans doute responsable de ma carence affective. Tu es certainement responsable de mes rendez-vous manqués. Je n’ai pas souvent pleuré par ta faute car je crois qu’il faut plus de courage pour se retenir que de se laisser aller, et j’essayais désespérément de garder le peu de contrôle que tu me laissais, comme la laisse que l’on met autour du cou de son chien. Un jour, j’ai pensé que si je faisais l’inverse de ce que tu voulais, tu partirais enfin. Mais tu es toujours restée, fidèle compagne. Je commence à me dire que tu m’as sans doute aidée à ta façon, je commence à comprendre.

Merci mon ennemie ! Peut-être bien que je me suis perdue à cause de toi, mais c’est bien grâce à toi aussi que j’ai trouvé la force de me découvrir, d’essayer et d’échouer. Maintenant je sais que parfois le plus grand des échecs est la plus belle des réussites. L’erreur n’est plus permise dans cette société mais je m’autorise à la vivre quand même. Toutes ces peurs inutiles m’ont appris une chose, si je n’essaie pas, je ne saurai jamais et si je ne sais pas alors, j’aurai toujours peur d’essayer. Bien sûr j’ai été seule et perdue, mais Madame la Peur, un jour j’ai rencontré Monsieur le Temps et il m’a dit une chose : « Tu vas peut-être te perdre pendant quelques temps mais ce n’est pas grave. C’est peut-être quand tu crois te perdre que tu te trouves un peu. D’ailleurs, on ne se perd pas, on se cherche. Tu trouveras un sens à ta vie en temps voulu, la peur d’échouer et d’accepter la réalité fait partie de nous. ».

T’arrive-t-il de te reposer parfois, de laisser la place à d’autres ? N’es-tu pas agacée de te cacher derrière chaque petite décision ? Ne penses-tu pas que cette relation fusionnelle que l’on a bâtie tout au long de ma petite vie est en réalité toxique ? Ne penses-tu pas que c’est peut-être toi qui a peur de me laisser partir ? Co-dépendantes, comme un chien et son maître, l’allumette et sa cigarette, aurons-nous un jour l’audace et le courage vivre l’une sans l’autre ? Je te souhaite de t’assagir et de trouver ta place auprès de ceux qui puiseront en toi la force qu’ils ne trouvent pas ailleurs pour avancer.

Bien sûr, tu n’es pas bête, tu sais déjà que personne ne te réclame, tu ne languis à personne et pourtant tu es bien utile parfois, si je n’avais pas eu peur peut-être que je n’aurais rien tenté du tout, puisque n’avoir peur de rien peut souvent nous laisser au même point. Se laisser vivre (ou mourir), se complaire dans une vie qui ne nous ressemble pas mais qui nous satisfait à peine, c’est peut-être le début de l’échec et de la médiocrité. Le vrai courage, c’est de te faire face, c’est de te combattre mais c’est surtout de t’accepter, car c’est bien quand on te pense malveillante que tu te révèles et nous élève. Je t’ai souvent pris pour la « méchante », mais n’est-ce pas plutôt une faiblesse de ma part que de te blâmer, de trouver des mauvaises raisons et des bonnes excuses pour abandonner ? Vulnérable, coriace et pourtant téméraire, j’ai arrêté de prendre peur pour des futilités puisque aujourd’hui toi, ma peur, tu me rends plus forte au quotidien. Je n’aurais jamais osé tout ce que j’ai accompli si au fond de moi, une infime partie n’avait peur. Et de toi à moi, je dois dire que tu es la plus honnête de toutes les émotions que j’ai pu rencontrer. Un peu dangereuse parfois il est vrai. Mais tu es comme le mandarin-citron de César que Marius n’arrive pas encore à doser, ou le bon Irish Coffee qu’il faut savoir doser pour bien le savourer. Alors que l’on apprenne à se connaître davantage, trouver un équilibre où nous aurions toutes les deux notre place !

Tu ne me définis pas et si bien souvent je t’ai laissé autant de place dans mon esprit et dans ma vie, si bien souvent j’ai pensé avoir besoin de toi parce-que c’était plus facile d’abandonner que de te battre, aujourd’hui je ne suis pas à l’abri de te voir revenir et si tu viens (oh oui, viens s’il te plaît), je t’accueillerai à bras ouverts et te demanderai de devenir mon amie. Si l’on ne peut pas effacer le passé, on peut se réconcilier avec lui. Assez de te faire jouer un rôle médiocre dans cette lettre comme dans ma vie, je dois bien admettre que tu as été bénéfique à certains moments, nul besoin de te consulter à nouveau pour prendre mes décisions, tu devras me soutenir, me forcer à continuer.

Pendant longtemps j’ai cru que tu appartenais au passé mais j’ai finalement accepté l’idée que tu ne seras pas bien loin toute ma vie, c’est simplement à moi de décider de nos rendez-vous.

Mon ennemie, c’est moi.

 

– H.

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