Genève, automne 2001. Maguy Chauvin est une légende vivante dont le fait la connaissance. Celle qui fut l'imprésario suisse de Johnny Hallyday, Amalia Rodrigues, Joséphine Baker et tant d'autres, coule dans "l'obscurité" des jours illuminés par un impressionnant stock de souvenirs.
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Genève, automne 2001. Maguy Chauvin est une légende vivante dont je fais la connaissance. Celle qui fut l’imprésario suisse de Johnny Hallyday, Amalia Rodrigues, Joséphine Baker, Ivan Rebroff et tant d’autres, coule dans « l’obscurité » des jours illuminés par un impressionnant stock de souvenirs : quasiment aveugle depuis ce fameux voyage à Cuba où elle avait suivi Joséphine Baker sur invitation de Fidel Castro, elle reste intarissable sur sa propre vie, qui n’a pris de réelle signification que par les artistes du music-hall, pour les artistes.

Sa mémoire est sans faille lorsqu’il s’agit de me dire à quel point Fidel avait été aimable à son encontre. Pour Joséphine et ses combats moraux contre une certaine Amérique, le « lider maximo » avait cultivé du respect, voire même une grande dévotion. A chacun des 12 enfants adoptifs de la Perle noire, il aura distribué à cette occasion un uniforme de petit révolutionnaire ! Mais en quittant Cuba, Maguy était devenue non-voyante pour avoir consommé de l’eau frelatée.

Toujours active elle a conçu, exploré et réalisé de nombreux projets, jusqu’à sa disparition. Elle m’avait contacté plusieurs fois, afin de pouvoir aller de l’avant et mettre à contribution mon expérience dans le marketing culturel. Ivan Rebroff, entre autres, était resté en phase avec elle, ce qui lui inspira à mon adresse, une suggestion :

– Pourquoi n’écririez-vous pas sa biographie ? Il y a je crois dans sa vie des zones d’ombres de toute première importance, que lui seul pourrait se résoudre à éclaircir en vous les dévoilant.

Après avoir reçu mon accord de principe, Maguy Chauvin prend contact avec lui. Il accepte de me voir prendre en main la rédaction de ses mémoires. Mais pour le rencontrer nous devons aller à Yverdon-les-Bains où va se dérouler l’enregistrement télévisuel des « Coups de cœur d’Alain Morisod ». Émission de variétés très kitch, très riche en paillettes de saison, qui sera diffusée à l’occasion de la fête de Noël.

Pour la 4.265e fois (à la louche), Hugues Aufray va y fredonner avec éclat « Santi-a-a-no », précédant sur scène cette autre vieille gloire tout aussi inoxydable, notre flamboyant Ivan Rebroff.

Malgré ses 70 ans bien tassés, ce « Russe absolu » qui en fait est un Allemand d’origine lithuanienne, de son vrai nom Hans-Rolf Rippert, bondit sur scène comme on attend de lui qu’il le fasse : « Kakaliiin-ne-kakaliiin » et ainsi de suite. Sa toque de fourrure, son vêtement ruisselant de lumière, ses bottes de moujik, tout y est. Entre deux chansons il éclate, ici et là, d’un rire lancé comme autant d’arpèges hypertrophiés. A côté de lui, ceux qui avec talent l’accompagnent aux instruments et aux registre des annonces, font figure de nains de jardin.

A l’issue du spectacle, Alain Morisod m’autorise à rejoindre Ivan Rebroff au sous-sol de la salle, là où les artistes peuvent se maquiller, se démaquiller et se changer. Maguy Chauvin est toute à son affaire, virevoltant comme au bon vieux temps. Affublée d’un très large chapeau bleu vif et de lunettes noires, elle m’accompagne dans le but de faire les présentations. Comme elle y voit peu ou prou, je m’empresse de lui faire remarquer :

– Mais il n’y a personne, ici, qui ressemble à Ivan Rebroff ! Je vois juste, assis sur un tabouret, un vieil homme chauve, courbé, l’air triste et fatigué, transpirant abondamment.

– C’est sûrement lui ! Bonjour Ivan.

– Achh Maguy !  Wie geht’s Dir ?

Je viens de comprendre une chose. Notre homme, et c’est bien lui, a l’air d’être au bout du rouleau. Usé, exténué, il a sans doute rassemblé ses forces pour monter sur scène et faire une fois encore, belle figure. Afin de ne pas trahir son impérieuse légende.

– Je suis venue avec Monsieur Santo Cappon pour le projet du livre.

– Cela m’intéresse, bien sûr, mais il faut d’abord, pour la forme, demander à mes agents ce qu’ils en pensent. Allez les voir, ils sont installés dans la loge au bout du couloir.

Ce couple d’Allemands nous reçoit, ainsi que ma proposition. Tout de go vont-ils s’empresser de me dire :

– Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faudrait que vous viriez une somme d’argent dont il convient de fixer le montant, en prévision des révélations que vous seriez amené à publier.

– Ecrire une telle biographie ou un livre, d’une manière générale, reste un projet aléatoire, et nous ne pouvons rien vous verser de façon anticipée.

Attitude autoritaire pour le moins étrange, venant de simples agents. Sans même prendre en compte l’avis supposé régalien d’Ivan Rebroff.

Face au refus obstiné de ces deux personnes, je demande à Maguy :

– Mais qui sont ces gens-là ?

– Son ancien chauffeur et son ancienne femme de chambre. Avec le temps et lui vieillissant, ces deux modestes employés ont pris l’ascendant sur Ivan, voire même de l’emprise. Il est complètement dominé par eux. Il semblerait qu’ils prennent désormais toutes les décisions à sa place !

Je repense alors au film de Joseph Losey, « The Servant », où l’on a vu un serviteur prendre progressivement l’ascendant puis le pouvoir.

– Monsieur Rebroff, les conditions préalables de vos agents sont inacceptables.

– Je regrette, croyez-le bien. Mais que voulez-vous. Etant quelque peu affaibli, je suis devenu entièrement dépendant de ces deux êtres. Ils me tiennent par la barbichette !  Je n’ai pas le moindre répit. Pour les satisfaire, je dois enchaîner concert sur concert. Encore et encore, malgré ma fatigue.

Avec le désir de leur échapper, je me réfugie le plus souvent possible en Grèce, dans ma petite île de Skopelos, dont je suis citoyen d’honneur. J’y possède une maison. Là-bas, je suis encore quelqu’un d’autonome. Lorsque je m’assieds dans le bistrot du village, je bois gratis. Alors que son propriétaire s’empresse, chaque fois que j’y suis, de doubler temporairement le prix des consommations. Pour tout ceux qui dès lors viendraient s’y installer :

« – L’honneur et le privilège de vous contempler attablé dans mon établissement est une faveur qui a son prix ! » , c’est du moins ce qu’il a décrété une fois pour toutes.

Après le disparition en 2008 d’Ivan Rebroff, un livre écrit par Jacques Pradel et Luc Vanrell est publié dans la foulée immédiate de cette nécrologie. Il est intitulé : « Saint-Exupéry, l’ultime secret ». Ce livre balance au grand jour une révélation de taille : sans doute celle que Monsieur et Madame Wagner auraient voulu monnayer séance tenante lors de notre passage à Yverdon :

Les deux factotums avaient estimé en toute vraisemblance qu’une telle divulgation assaisonnant la biographie que je me proposait de rédiger puis publier, permettrait d’éclaircir un des plus grands mystères de l’aviation militaire durant la Seconde guerre mondiale :

Jusque-là, on ignorait QUI avait abattu le 31 juillet 1944, au-dessus de la Méditerranée, l’appareil de Saint-Exupéry auteur du Petit Prince…

Or, l’aviateur allemand de la Luftwaffe responsable de cet acte belliqueux était, selon ses propres dires, un admirateur inconditionnel de l’écrivain au prestige universel. Sauf que, le descendant en flammes, il n’avait alors pas su de qui il s’agissait. Ce n’est que quelques années avant sa mort en 2013 et toute honte bue, qu’il fit l’aveu de son acte (sans en fournir la preuve), à ceux qui avaient mené l’enquête. Rappelons que la découverte et l’identification de l’épave au fond de la mer se situe en 2003.

Et il se trouve que l’aviateur en question n’était autre qu’un certain Horst Rippert … frère aîné d’Ivan Rebroff, né en 1922.

 

Santo Cappon

(Article publié par moi-même sur le site infoméduse.ch)

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