Créé le: 24.08.2022
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Innocente veccini
Innocente Vecini
Innocente était le rejeton de sa famille et son avenir risquait d'etre aussi misérable que son présent.
Mais la roue du Destin avait d’autres prévisions pour ce garçon et ne dit-on pas que les voix du Signore sont impénétrables ?
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De tous ses frères et sœurs, Innocente était le seul qui pouvait jouer dehors. Il faut dire que la famille Veccini n’avait pas grand espoir en lui. Cadet de quatorze frères et sœurs, ses parents n’avaient pu lui offrir un destin digne de leurs autres enfants.
Il passait donc ses journées à lire et jouer à la toupie en compagnie des enfants de mauvaise rue, rêvant d’un futur où il serait quelqu’un, tout en sachant que cet avenir n’arriverait pas.
Mais la roue du Destin avait d’autre prévisions pour ce garçon.
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C’est par un après-midi pluvieux que Dio offrit sa chance à Innocente. Lui et ses compagnons ( qu’il méprisait presque autant que lui-même) était parti à la rencontre d’une voyante de la vielle ville, l’une de ces bohèmes qui finance son existence par la divination.
Ses amis espéraient recevoir la prévision d’un mariage avec une belle femme ou une fortune héritée, mais ils en sortirent déçus. La gitane ne parlait que de banalité qu’elle répétait en boucle.
Jusqu’au tour d’Innocente.
La bohème lui demanda d’abord de tendre sa main, ce qu’Innocente refusa. Cette femme ne lui inspirait pas confiance. Mais ses amis, la gorge déployé, le forcèrent.
Le doigt rempli de vernis noir fit le tour de chaque reliure innocente d’Innocente, et plus elle avançait, plus ses yeux vert s’écarquillaient. Elle commença à marmonner des mots dans une langue disparue, puis ordonna au jeune sicilien de ne pas bouger. De sa large manche, un jeu de vielles cartes de tarot tomba. Innocente comprit que plusieurs générations les avait déja brassé.
La femme posa toutes les cartes en revers devant Innocente. « Choisis-en une. »
Dehors, la pluie crépitait contre la tente de fortune.
Innocente n’hésita pas une seconde. Une intuition le mena à prendre la seconde carte de droite. Le symbole de la roue du destin.
La vielle femme sourit, dévoilant ses dents brunes. « Intéressant… Reprend une carte. »
De nouveau, Innocente n’hésita pas et les crépitement contre la tente augmentèrent. Lorsque la carte de la roue du destin se révéla encore, les chuchotements étonnés se multiplièrent.
Les mains de la vielle dame tremblaient. Elle ravala sa salive. « Maintenant, choisis ta troisième carte. Ton Destin en dépend. Réfléchis bien. »
Innocente ne réfléchit pas. Lui qui prenait cette attraction pour un divertissement s’était soudainement pris au jeu. Tout son corps lui indiquait de prendre la carte du coin supérieure gauche et quand il la montra à ses amis, les chuchotements devinrent cris de surprise et la pluie orage.
La voyante recula. Son doigt aussi fébrile que noir pointa Innocente alors que sa gorge meurtrie criait: « T… Tu es l’élu de Dio! Il profeti ! »
L’intérieur devint silencieux. La tente vacillait au rythme du vent et l’orage grondait à quelques kilomètres.
Innocente redevint lui-même. Tout en enfilant sa veste beige, il soupira. « Allons-nous en… Il commence à pleuvoir. »
Ses amis lui obéirent immédiatement. Lui qui était le plus moqué d’entre eux avait acquis une certaine aura.
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Dés qu’il arriva au manoir, Innocente se coucha dans son petit lit.
Quelle drôle de soirée…. Cette gitane avait retourné le cerveau de ses compagnons. Avoir trois fois la même carte ne voulait rien dire et s’ils étaient restés, la bohémienne lui aurait sûrement proposé d’autres prévisions extraordinaires contre quelques lires.
Et pourtant…
Innocente sentait que quelque chose s’était produit là-bas. Une intuition profonde circulait tout au long de sa peau. Il n’arrivait pas à se la conceptualiser, mais son père disait que les mots ne pouvait pas décrire les choses les plus importantes.
Le jeune garçon ignora ces pensées pour plonger dans le sommeil ; le bruit de la pluie l’avait toujours aidé à dormir
Alors que l’orage mitraillait le toit du manoir, l’esprit d’Innocente s’éleva dans d’autres mondes, mais son visage resta bien sur terre. Et il grimaça de terreur.
Jamais Innocente ne gardera un souvenir clair de cette nuit, mais jamais il ne l’oubliera.
Seule une agitation constante restera gravé en lui, accompagné d’une présence qui fouillait son esprit.
Innocente se réveilla en sueur. Il y a quelques années, sa mère serait venue le prendre dans ses bras. Mais sa mère avait mieux à faire maintenant. Seule sa serviette était là et Innocente l’utilisa pour se débarbouiller.
Le jeune garçon se dirigea alors vers la salle à manger tout en tentant de se rappeler son rêve, mais rien y faisait. Plus il y pensait, plus la matière inconsistante s’évaporait.
Mais en arrivant à la cuisine les choses devinrent plus étranges. Comme d’habitude, les filles étaient placées à gauche de la table, les garçons à droite, et ses deux parents aux extrémités. Les servants versaient le jus d’orange dans les verres et les œufs dans les assiettes. Mais contrairement à d’habitude, autour de la tête de chacun de ses personnages, d’étranges pictogrammes tournaient comme des roues…
Lorsqu’il fit remarquer les symboles à Genaro, son frère de gauche, le grand blond éclata de rire.
-Eh ! s’empressa-t-il d« crier à toute la famille. Innocente dit que des dessins tournent autour de nos têtes. Precilia, surveille la réserve de vin. Je crois qu’Innocente a piqué une bouteille ou deux !
Tous, sans exception, éclatèrent de rirent.
Innocente voulait les traiter d’aveugles mais treize années de coups de ceinture apprenait le silence.
Et il savait que s’il se répétait, on l’enverrait à l’asile – ou pire, au monastère.
Alors que tous avalaient leur succulent repas, Innocente ne mangeait pas. Il se contenait de regarder les étranges symboles en mouvement.
En plissant les yeux, il crut reconnaitre un caractères. « Mange » ou « café », ce n’était pas clair. Soudainement, ses yeux s’arrêtèrent. Individuellement, les pictogrammes était incompréhensiblesen, mais la suite de mots semblait former des images dans son esprit et une des phrases prit sens.
Genaro mange une veneziena tout en riant.
Dans la réalité, son frère mangeait trois œufs à la coque accompagnés de jus d’orange.
Qu’est-ce que cela signifiait ?
Il tenta de lire les autres têtes. D’abord celle de sa sœur, Angelina.
Angelina mange une veneziana d’un air réservé.
Elle aussi mangeait des œufs à la coque.
Une idée folle, presque blasphématoire, traversa alors Innocente. Ses yeux se tournèrent vers la tête de son père. Il n’osa jeter qu’un rapide coup-d’œil, mais cela lui suffit pour saisir la phrase.
Don Veccini mange une veneziana tout en pensant à l’étrange comportement de son cadet, hier.
Qu’avait-il fait de si étrange hier ?
À la recherche de réponse, il observa les autres membres de sa famille.
Leurs phrases indiquaient tous qu’ils mangeaient une veneziana et seule leur expression ou leur pensée changeait.
Innocente était de plus en plus perdu et Genaro n’hésita pas à le faire remarquer au reste de la famille qui rit de nouveau.
Innocente avala les remarques comme d’habitude. Il préférait se concentrer sur le mystère.
Une idée le traversa alors. Observer les majordomes. D’abord la plus jolie ; Precilia.
Precilia sert du café à Don Veccini.
Dans la réalité, Precilia tenait le récipient de jus d’orange calmement, bien loin de son père.
Il se tourna alors vers le majordome le plus moustachu ; Alfredo.
Alfredo conduit sa mama fiat vers la ferme de ses parents.
Innocente réfléchit. Alfredo ne prenait ses congés qu’une journée ; le samedi. Il y partait voir ses parents. Et samedi, le petit déjeuner était toujours le même ; Veneziana accompagnée de cappuccino.
Les yeux d’Innocente s’écarquillèrent.
-Quel jour sommes-nous aujourd’hui ? marmonna-t-il à Prescilla, la seule qui ne se moquerait pas de sa question.
-Nous sommes Vendredi.
Innocente lâcha le jus d’orange qui éclata contre le carrelage italien. Tout venait de prendre sens.
-Oh, désolée Precilla. dit-t-il en sortant de la table. Tu vas devoir laver tout cela. Quant à moi, je n’ai plus faim, je vous souhaite une excellente journée.
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Observant la pluie éclater contre la vitre de sa chambre, Innocente réfléchissait. Devenait-il fou ? Ou était-ce bien réel ?
Innocente n’avait qu’un moyen de le savoir, il devait tester la véracité des prédiction.
Tout d’abord, il partit dans la salle de bain et se fixa dans le miroir. Aucune écriture ne tournait autour de sa tête. Si son pouvoir était réel, il pouvait donc connaitre chaque destin sauf le sien.
Innocente partit donc retrouver ses amis et tout le long de sa route, il observa les passant, découvrant leur destin à toute vitesse, jusqu’à s’arrêter devant un groupe de jeunes loubards eux aussi entourés de pictogrammes.
Ses amis, comme d’habitude, était assis en rond. Il lançait leurs dés contre le bitume craquelé et celui qui avait le chiffre le plus grand donnait une claque à son adversaire.
Innocente arrêta leur jeu stupide en abordant son pouvoir.
Évidemment, ils rirent de lui.
-Tu prends la gitane un peu trop au sérieux… dit Antonio.
-Je ne rigole pas… marmonna-t-il. ( Il pointa Antonio : ) Toi, par exemple. Demain, tu seras ici, en train de demander au passant de s’approcher.
-Je suis ici chaque matin… Et pourquoi je demanderai au passant quoi que ce soit ?
-Je n’en ai aucune idée, sourit Innocente, c’est ça qui est géniale!
Après un court silence, les amis repartirent en fou rire.
Énervé, Innocente se décida de leur prouver. Il se concentrera alors sur l’un des passants.
-Regardez ça, les mecs…
Innocente tapota l’épaule du grand homme qu’il leur avait pointé. Celui-ci se retourna.
-Excusez-moi, monsieur, marmonna Innocente. Vous allez bien à Messine, n’est ce pas ?
L’homme hocha la tête. « Mon train part tout de suite d’ailleurs, je dois y aller. »
Les amis rirent. Il n’y avait qu’à lire l’horaire de la gare pour faire cette «prédiction».
Humilié, Innocente réfléchit quelques secondes avant de rattraper l’homme.
-Attendez ! Vous êtes horloger, n’est ce pas ?
L’homme était déjà dans son train. Il caressa sa moustache tout en dévisageant Innocente. «Comment tu sais ça, petit?»
Les portières se refermèrent avant qu’il n’obtienne de réponse.
Innocente se tourna vers ses compagnons. « Vous me croyez, maintenant ? »
-Moueh… hasarda Antonio. Il avait une mallette d’horloger. N’importe qui aurait pu le deviner.
Les autres compagnons hochèrent la tête, même si aucun d’entre eux n’avait remarqué une quelconque mallette.
Innocente réfléchit, puis il se tourna vers Mattie, le plus maigre des compagnons.
-Demain, à la même heure, tu seras au chevet de ta sœur.
Les yeux de Mattie s’écarquillèrent. « C..comment tu sais qu’elle est malade ? »
-Je vous l’ai déjà expliqué. Je peux voir ce que vous ferez demain.
Les amis qui doutaient tous pour le moment, commencèrent à croire Innocente
-Ca ne suffit pas… dit Antonio. Montre nous plus de preuves !
Innocente sourit. Il partit voir une jeune dame en noir qui se promenait seule, puis l’arrêta d’un geste de bras. « Vous vous appelez Maria, n’est-ce-pas ? »
La femme, surprise, acquiesça. «Qu’est ce que vous me voulez ?»
-Je désirais simplement vous souhaiter mes condoléances pour votre mari.
La visage de la femme devint plus mélancolique, puis elle continua sa route sans répondre.
Les amis n’en revenaient pas. «Comment… »
Innocente éclata de rire. « Je vous l’ai dit ! Je suis l’élue du Signore ! »
Les amis sautèrent tous sur Innocente, le bombardant de questions. Seule Avaro, le plus malin d’entre eux, s’éloigna. Il plaça ses deux mains devant sa bouche, puis s’écria :
-Venez voir le grand Innocente ! Pour vingt lires, il devine votre nom et votre métier ! Venez voir il profeta !
Avant même qu’Innocente ne s’en rende compte, la foule l’entoura et les premiers curieux déposèrent leur lires.
Innocente sourit. C’était le début, certes modeste, de sa grande gloire.
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En fin de journée, les amis s’assirent dans une de leur ruelle préféré. Ils passèrent à coté d’une boulangerie, d’où Innocente acheta des cadolles à chacun.
Et alors que ses compagnons dégustait les sucreries, Innocente les observa. Lui qui était moqué de tous voyait le respect briller dans chaque pupille qui se tournait vers lui.
Son pouvoir avait bien plus d’avantage qu’il ne croyait. Et il sentait en avoir à peine effleuré le potentiel.
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Innocente rentra chez lui les poches pleine d’argent. Il rangea précieusement ses lires sous son oreiller, puis partit souper.
Son visage était plus calme et confiant que d’habitude.
Il mangea tranquillement son bœuf cuit au vin rouge, admira chaque tête puis demanda à la servante : « Demain, nous mangerons des spaghettis, n’est-ce-pas ? »
La femme sourit. « Oui ! Je voulais en faire une surprise. Qui vous l’a dit ? »
Innocente toucha son nez. « Simple intuition. »
Ses frères et sœur le regardèrent étrangement. D’où venait sa confiance soudaine ?
Ils ne pouvaient pas le savoir, mais elle provenait d’un savoir précieux. Celui que son ambition pourrait être assouvi.
Il se tourna alors vers son père, curieux de savoir ce qu’il ferait demain. Mais étrangement, aucune écriture ne tournait autour de ses cheveux.
Innocente réfléchit. De l’écriture tournait autour de toutes les autres têtes.
Et une théorie horrible traversa son esprit. Difficilement, il demanda à son père.
–Padre…. Qu’as-tu prévu demain ?
Son père le dévisagea et un silence enveloppa la table. Ce n’était pas le genre de question qu’un cadet posait à son père.
Mais Don Veccini se sentait indulgent aujourd’hui. Il termina le morceau de viande qu’il dévorait, puis s‘essuya la bouche à l’aide de la nappe.
-Demain, j’ai rendez-vous avec les Ferandino. Nous allons signer un accord de paix.
-Maintenant, rigola Genaro, le petit Innocente s’intéresse aux affaires de son cher papa. Comme c’est mignon.
Innocente n’entendit même pas les moqueries.
Sa tête devint lourde.
Si rien ne tournait autour de son père, était-ce que…
Il devait en avertir son père. Le jeune homme réfléchit à un moyen de le dire sans passer pour un fou, mais aucun ne lui traversa l’esprit.
Tant pis. Le monastère valait mieux que la ruine de sa famille.
Innocente se releva brusquement et poursuivit son père qui partait vers sa chambre..
-Père ! s’écria Innocente juste avant que la poignée de la pièce ne se referme.
Son père se retourna. « Qu’y a-t-il ? »
Innocente se tut. Il réfléchit quelques secondes et l’infini des possibilités défila devant lui. Un sourire d’allure angélique défigura son visage.
-Je voulais te souhaiter bonne nuit, père !
Son père hocha la tête, puis claqua la porte de velours.
Innocente marcha lentement vers sa chambre, le cœur léger, mais l’esprit rempli de réflexion.
La mort de ce père qui ne l’avait jamais aimé lui offrirait bien des possibilités. Il devait simplement savoir en profiter pour s’élever.
À cet instant, dans ce couloir éclairé par un chandelier d’argent, le petit Innocente perdit la pertinence de son nom.
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Arcane m’ayant inspiré : la roue de fortune
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