Créé le: 01.07.2021
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Imbécile heureux

Correspondance, Humour

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© 2021-2024 Oscar Semillon

Lettre à mes pensées. J'abandonne mes pensées au profit de la confortable imbécilité.
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Chères pensées,

Dans votre dernier envoi groupé vous me demandiez quoi faire, quoi dire, où aller, comment agir et pourquoi. Vous étiez particulièrement insistantes et vous aviez, dans votre flux, cette urgence particulière que je déteste tant et que je dois subir depuis trente ans déjà. Je vous ai lu toute la nuit et toute la nuit je vous ai pensé, si bien qu’il m’a été impossible de fermer l’œil et de me reposer. C’est pourquoi je voulais vous prévenir que j’ai décidé de continuer sans vous.

Je ne peux plus accepter de perdre autant de temps en votre compagnie. Depuis des décennies, j’écoute, à chaque instant, votre incessante logorrhée et je perds mes moyens. Et pour quoi faire ? Vous ne m’apportez ni réponses ni solutions miraculeuses et plus je fais attention à votre chuchotement, moins je suis capable d’agir.

Longtemps, vous m’avez fait croire que votre compagnie me serait profitable puisque vous pouviez démêler le vrai du faux, éclairer les problèmes difficiles sous de nouvelles lumières, bref rendre le monde plus lisible et plus facile à vivre. Mais, tout cela était de la publicité mensongère. Non seulement vous écouter ne pas aider à mieux comprendre, mais elle a rendu ma vie presque insupportable car rien n’est plus intenable que la lucidité.

Ma colère grandit depuis que je constate qu’il est agréable d’être stupide. Le bonheur simple de l’imbécile heureux qui est né quelque part, voilà mon horizon. Mais, avec vous, il est presque impossible de devenir suffisamment crétin. Vous ne cessez d’objecter en moi, de douter en moi, de me rendre fébrile, incertain, vous ne pouvez pas vous empêcher de déployer sous le couvercle de mon crâne les milles et uns motifs de la complexité, de la difficulté et vos assemblées bruissent dans ma tête comme l’écho d’un chœur de cathédrale. Vous raisonnez jusqu’à l’insupportable.

Nous allons donc arrêter notre relation. Je vais, dès ce soir, couper le fil qui me rattache à vous. Votre absence me rendra disponible à l’amour et à ses crétineries, aux débats politiques des repas de famille, aux colères simples et sans nuances des automobilistes de l’autoroute A10 que j’emprunte fréquemment, bref, à toutes les petites joies mesquines et merveilleuses qui font le sel de la vie et sont les marques essentielles du bonheur simples que je vise. Terminées les considérations philosophico-théologiques sur la nature problématique des preuves de l’existence de Dieu ou les questionnements existentiels sur le sens profond de mon ipséité. Demain, sans vous, je mangerai, en souriant niaisement, des merguez trop cuites et déclarerai, de but en blanc, mon amour à Amélie, sans considérer les motifs souterrains de mon sentiment et sans envisager la dimension régressive de la consommation de saucisse trop cuite dans un contexte amical simple.

Je serai heureux.

Adieu.

Oscar

Commentaires (2)

Thomas Poussard
12.08.2021

Des fois j'y songe aussi... Mes pensées me clouent souvent sur place et c'est embêtant pour avancer... Essayez la méditation, peut-être...?

André Birse
10.07.2021

C'est bien sorti cet adieu aux idées, aux pensées, au mental. Bravo. Mais nous n'y arrivons pas tant que ... Même un commentaire est une idée dont on n'aurait pu faire l'économie. Quelqu'un s'exerce en nous (non, ça m'est venu comme ça en vous lisant).

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