Créé le: 27.03.2015
5294 1 0
Grand prix du silence

Nouvelle

a a a

© 2015-2025 a André Birse

La visite . Dire, déjà dit, ne pas trop en dire.
Reprendre la lecture

Grand prix du silence

Je l’ai revu. Son silence est le même. De lui, de ses tréfonds, il ne dit rien.

Bien sûr, nous avons parlé de tout et de rien justement. Mais ce tout est

impressionnant sans parler du rien qui est si présent, en abîme. Il ne l’admettra pas,

n’entrera pas en matière. Il aura ses sujets, son champ libre. La politique et la formule

un. Ses prédilections. Enfin, ses prédilections verbales, formelles ses sujets de surface.

Là où il semble vivre. Les chiffres, les noms, les classements et les votations tout cela

sera dit, exprimé. Assertif, descriptif, il ne cède rien. Il est lui-même. C’est bien. J’ai essayé.

Je ne devrais pas, mais j’ai essayé. Il ne faut ni provoquer ni surprendre dans ces cas-là,

mais suggérer, prolonger. Aller dans son sens comme on dit. Une narration ininterrompue

et factuelle exclusivement. Les faits les uns après les autres, chronologiquement.

Logiquement. L’histoire se défait, se déroule, emplit l’espace relationnel.

Il reprendra bien son souffle. Chaque mot est prononcé avec une apparente sérénité

mais le tout, la phrase, la suite des phrases, leur accumulation, le tout devient envahissant.

C’est bien ça, il m’étouffe avec son vide. Je dis cela amicalement, référence faite au temps

où l’échange avait lieu. Un espace libre était créé. Une disponibilité par le silence, la nuance,

l’humour, l’espoir, relationnel. La présence sociale. Un élan. Parler pour ne rien dire est une

expression peu judicieuse à son propos. Ce qu’il dit a tout son sens, dit quelque chose.

Parler pour ne pas dire, pour taire, serait plus opportun. Prononcer un mot clairement.

Eviter toute hésitation. C’est un ajustement des mots, une ribambelle de vocables,

une transition du chiffre au verbe. En l’écoutant, je cherche une stratégie

pour l’exorciser de son silence émotionnel. Je ne la trouverai pas. Elle serait maladroite

inefficace et blessante. Son silence partiel m’impose une totalité silencieuse.

Il faudrait une hésitation, un doute, un mot qu’il chercherait. En lieu et place

il me condamne à l’évitement, le sien et à la prolixité vierge de sensibilité.

La sensibilité est tue. Elle n’est pas à considérer. La réflexion n’est pas ouverte.

La chasse oui. Mais la remise en question reste proscrite. Le grand prix est parti.

Du départ à l’arrivée. Le nombre de tours est connu. Les messages sont clairs.

Les positions des pilotes sans cesse rappelées. Leurs changements. Le questionnement

n’est que mécanique. Ça roule bien. Ça communique. On entend des instructions

et de l’échange. Les commentateurs savent exactement quoi dire et ce qu’ils disent.

À chaque tour. Les faits parlent d’eux-mêmes. Implacablement. L’enjeu est défini,

le sort circonscrit. Le déroulement et l’issue de la course réservent un mystère déterminable.

L’accident s’explique. L’impondérable est analysé. Là c’est moi qui tombe en panne sur ma chaise.

Je n’avance plus. Rien à dire. Pas grand-chose à penser. Surtout ne pas blesser.

Son silence intérieur devient le mien. L’incompétence est partagée. Je n’ai que des certitudes

muettes et interchangeables. Comme une roue. La formule un est devenue silencieuse. Il s’en plaint.

Il faut entendre le bruit des moteurs selon lui. Là, je tiens une occasion sur la vacuité du silence.

Mais je suis à plat.

Aucune puissance d’accélération. Lui dire qu’il m’aura appris tout

ce que l’on peut cacher derrière les faits, les mots désignant une chose. L’absence

de première personne du singulier devant les mots qui expriment un doute, révèlent

un désarroi. Seule la troisième personne du même singulier atteint une existence abstraite.

Je et tu ne sont admis que dans le réel le plus immédiat. Il ou elle existent abstraitement

dans l’indéfini émotionnel ou mental. Le singulier seul. Le silence n’a pas de genre.

L’absence oui. Elle apparaît dans ses silences, dans les miens aussi. Tout ne sera pas dit.

C’est gagné. Le grand prix a son vainqueur. Il s’en satisfait. Les ingénieurs ont bien travaillé.

Le circuit, le nombre de tours. La maîtrise. Il faut admettre le refus, l’angoisse du pilote,

la déception en course, la répétition des images, la vitesse et les plans fixes. Comment dire ?

Dire comment et s’arrêter là. Accepter que la course s’arrête là. Et que l’on en parle plus.

Il faudrait. Il aurait fallu. C’est bien comme ça. C’est comme ça. Ça ne veut rien dire.

Et c’est bien ce que je disais. On tourne en rond. Ça n’a pas de sens. Je suis venu te dire

que tu t’en vas. Elle aurait aimé t’entendre dire. Définitivement. Indiciblement.

Ce n’est pas dit. Je reviendrai. J’en reste là. Il faudra ne pas en parler. Faire attention.

N’en parlons plus. Tu me dis de te dire. De ne pas oublier. Non elle n’a pas oublié.

Je n’en sais rien. Oui, il m’arrive d’écrire. Je t’écrirai. C’est ça, je t’écrirai.

Pourquoi je reste sans rien dire ? Mais je ne sais pas. Je ne sais plus quoi dire. Tu le sais bien.

Dire ce qu’on pense et penser à ce qu’on dit. La nuance choisie. Le malentendu. L’entente parfaite.

On y revient. Je m’en vais. Ça m’a fait plaisir de te voir. De te voir seulement.

De la voir aussi m’aurait fait plaisir. Nous en aurions parlé, c’est sûr.

Infiniment, tout n’est pas dit. Pas le lieu. Pas le moment. Il m’a accompagné sur le pas de la porte,

dernier lieu des non-dits. Et celle-ci s’est refermée. Je crois comprendre

à me relire que j’ai dû repenser à ce moment. Sans rien dire.

En poème, ça donnerait ceci:

Thèmes vainement récurrents

Il ne se perd pas en conjectures

Silences l’évoquant

Silences éloquents

Silences assourdissant

Abasourdissement

Abrutissement à force de non-dit

Faux verbiage

Prolixité des taiseux

Commentaires (1)

Mouche
25.11.2015

Bonjour André, merci de ton message. Oui, nous planchons, c'est exactement cela. D'ailleurs j'ai posté une nouvelle nouvelle pour laquelle j'ai dû plancher tout un week-end... Attention, elle est osée... Je viens de lire "Grand prix du silence" et une phrase m'a frappée : "Je et tu ne sont admis que dans le réel le plus immédiat. Il ou elle existent abstraitement dans l'indéfini émotionnel ou mental." C'est sans doute pour cela que j'écris presque toujours à la première personne ?! Si jamais, pour rester en contact sans passer par ces commentaires, tu peux m'écrire sur mouche.mjg@gmail.com

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire