Créé le: 19.05.2022
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Gallen

Fantastique, Fiction, Roman

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© 2022-2024 Rynn Swan

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Chapitre 1. Les désignés

Dans un monde où les dragons dévastent tout, les Gardiens forment des guerriers. Ils ont pour seule mission de les éradiquer. Relvenn fait partie des jeunes recrues qui doivent encore faire leurs preuves. Avec ses compagnons, elle part à la poursuite d'un spécimen qui les menace.
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Gallen. Cet illustre royaume qui a traversé les âges se dresse de toute sa hauteur contre les montagnes, évoquant un géant. Le château aux imposantes tours en pointe, s’adosser à la roche solide. La ville s’étend devant lui comme un millier de sujets se prosternant, les rues s’étalant en largeur dans la vallée verdoyante. Le reste du territoire est constitué de champs, de forêts et de lacs. Depuis maintenant plus de vingt ans, Gallen est gouverné par le roi bon et juste Tristan, qui a su rendre cette époque prestigieuse et prospère. La paix y règne depuis son accession au trône et n’a jamais, de mémoire d’homme, duré aussi longtemps.

En effet, les contrées ont connu des heures bien plus sombres, lorsque les dragons étaient encore nombreux. Créatures cracheuses de feu, violentes et uniquement constituées de haine, elles détruisaient tout sur leur passage, réduisant de multiples régions à néant où désormais même l’herbe ne pousse plus. C’était une époque sans âge où aucun monarque n’avait été élu. Tristan fut le seul à oser se dresser contre ce fléau, et, armé de sa lance, accompagné de quelques valeureux compagnons, s’opposa contre les reptiles volants pour les repousser et les éradiquer.

Les quatre survivants, dont Tristan, furent touchés par les grâces des esprits, car la magie coula dès cet instant dans leurs veines. Dès lors, ils ne connurent plus aucun échec sur le champ de bataille. Ainsi, le roi put rallier les diverses peuplades éparses en une unique et même bannière, offrant paix et sécurité. Quant à ses trois fidèles compagnons, élevés au rang de champion, ils fondèrent ensemble une troupe d’élite nommée « les Gardiens » ayant pour dévotion de protéger Gallen des dragons réchappés de la guerre, et ce, au péril de leurs vies.
Pour ce faire, les quelques élus choisis, ceux touchés par l’œil sage de Duncan, l’archimage, suivirent un entraînement intensif et particulier afin de contrôler à la perfection l’art du maniement des épées, de l’archerie et de la magie.

Cet événement avait lieu tous les ans et était devenu, au fil du temps, une fête pour laquelle tout Gallen se mettait en liesse. C’était ici, dans le grand marché décoré spécialement pour la journée, que la foule commençait à s’amasser.

 

***

 

Le regard courroucé de Malvina à l’attention de Locklan qui venait de chaparder une pomme ne m’échappa pas. Cette première lui donna un coup de poing dans l’épaule.

 

–        Arrête ça ! tu ne vaux pas mieux que ces voleurs de bas étage !

 

Mon amie avait toujours eu un grand sens de la justice, au diapason de ses yeux noisette vif et à l’affut. Elle avait un corps fin, mais souple et agile. Sa courte chevelure brun miel ondulée s’étendait de part et d’autre de ses joues et n’atterrissait jamais devant sa vision perçante.

Le garçon aussi haut qu’un cheval de trait à la tignasse blonde hirsute et aux larges épaules ne put s’empêcher de pouffer de rire, son regard amusé bleu azur coulant dans ma direction.

 

–        À force de charrier ces tonneaux sur les bateaux toute la journée, tu as perdu toute ta cervelle en dépit des muscles. Continua la jeune femme.

–        Oui bah on ne peut pas tout avoir.

 

Il croqua dans sa pomme avec désinvolture sous le regard courroucé de Malvina qui me fixa alors comme si elle cherchait du soutien chez Kendall et moi.

 

–        Vous n’allez rien dire ?

–        Oh euh… ce n’est pas bien Locklan, v… vilain garnement, bouh !

 

Osais-je dire sur un ton théâtralement exagéré et exaspérant qui fit éclater de rire les deux garçons, mais pas mon amie qui me foudroya du regard. Je me rattrapais bien vite.

 

–        Tu rapporteras au moins un poisson à ce vendeur.

–        Évidemment.

 

Me promis le voleur de fruits en m’accordant un clin d’œil. Puis, il se tourna vers Malvina pour s’excuser, ce qui eut pour effet de la calmer. Un petit soupir traversa mes narines tandis que je balayais l’endroit du regard.

Que de monde il y avait ici !

La place était gigantesque, c’était là que tous les marchands de Gallen exposaient leurs échoppes. Il y avait de tout. De la nourriture en passant par la poterie et les tisserands sans oublier les musiciens. En ce jour de fête, l’emplacement avait été embelli de décorations florales verdoyantes rappelant la période de renaissance de la nature que nous étions en train de vivre après ses longs mois froids et rudes. Les bannières rouge et dorée aux armoiries du roi, un dragon couché sur le dos, pourfendu d’une lance par un chevalier, flottaient au vent.

Sans doute que cette place aurait pu accueillir une douzaine de ces sauriens s’ils n’avaient pas été tués.

 

–        Je me pose quand même une question… Lorsque je fus certaine d’avoir l’attention de mes amis, je reprenais. Pourquoi est-ce qu’on continue d’élire des Gardiens si les dragons ont tous été anéantis ?

–        C’est pourtant évident. Répondit Kendall en me souriant. On suppose qu’ils sont tous morts parce qu’on ne les voit plus depuis une vingtaine d’années, mais je pense que le roi et les trois maîtres ne veulent rien laisser au hasard et encore former des Gardiens pour le jour où les dragons réapparaîtraient.

–        Et s’ils ne reviennent jamais ? questionnais-je.

–        T’es pessimiste ! Tu crois vraiment que des créatures aussi viles et dangereuses n’auraient pas quelques petits œufs cachés quelque part ? Moi, j’en mettrais ma main à couper !

–        Pour ce qu’elle te sert. Rétorqua Locklan avec un sourire goguenard.

 

Les deux garçons vinrent à se frapper, se chamaillant devant notre air désabusé, à Malvina et à moi. Pour autant, les explications de Kendall me tournèrent dans la tête. En gros, c’était une manière d’assurer un événement qui n’arriverait peut-être jamais. Je n’avais pas connu la guerre ni mes compagnons d’ailleurs, nous étions trop jeunes, nous sommes nés juste après. C’était par ailleurs un miracle que nos mères purent mener à terme leurs grossesses. Elles avaient été rares, car soit les autres femmes avaient été dévorées ou carbonisées, soit elles avaient perdu leurs descendances à cause des horreurs de la guerre.

C’était une époque étrange que nous vivions là, peut-être même charnière. Les conflits avec les lézards ailés semblaient lointains… mais paradoxalement si proche. Lorsque j’y pensais, j’étais assez décontenancée, et j’en venais à me demander si nous avions véritablement un rôle à jouer dans tout cela.

Un baiser volé sur ma joue me tira de mes songes et je souris à Kendall qui me prit tendrement les doigts. À mon goût, ce garçon était beau comme un dieu. Ses cheveux courts étaient d’un noir de jais si foncés que certains reflets bleutés apparaissaient sous les éclats du soleil. Ses yeux émeraude laissaient deviner toute son intelligence.

 

–        Encore en train de rêvasser ?

–        Encore et toujours.

 

Il me sourit et leva sa main vers mon visage, sans doute pour m’embrasser, lorsque les cors retentirent, l’interrompant dans son geste.

L’attention de toute l’assemblée fut alors tournée vers les quatre hommes qui descendaient la rue principale, celle menant jusqu’aux murs du château. Le quatuor était entouré d’une garde rapprochée, prête à remettre à sa place le moindre fauteur de trouble. Le roi Tristan fut le premier à s’arrêter, à bonne distance de cette foule qui l’acclamait comme un seul et même homme tandis que ses trois compagnons chevaliers, fondateurs des Gardiens, s’avancèrent.

Tous les quatre étaient dans une tranche d’âge similaire, mais en soi, Sa Majesté semblait être le moins frappé par les lourdes tâches qu’incombait la magie, ce qui pouvait paraître étrange puisqu’il devait, en sus, gouverner Gallen. Sans doute avait-il accès aux meilleurs traitements qui soi. La magie, m’avait-on dit, dévorait lentement celui qui la possédait, de l’intérieur, comme une maladie pour laquelle nous n’avions aucun remède.

Ainsi, le monarque avait gardé un teint chaleureux et une chevelure brune impeccable. Il était rasé de près et son regard, tout aussi brun que ses cheveux, observait la foule avec sagesse et bienveillance. Il était vêtu d’une armure en cuir d’un blanc nacré presque éblouissant. D’aucuns diraient qu’il s’agissait là de la peau d’un des dragons qu’il avait occis.

Kenan fut le deuxième à s’arrêter. C’était un homme grand, comme Locklan, sauf que lui avait une véritable prestance, à l’inverse de mon ami d’enfance. Ses cheveux châtains mi-longs étaient rassemblés en une queue de cheval et ses yeux rappelaient ceux de Malvina. Le même noisette aux aguets et perçant. Sa tenue de cuir était verte et brune et dans son dos étaient accrochés un carquois et un arc imposant aux nombreuses décorations.

Declan, qui lui arborait une armure plus lourde, faite de plaques, était tout en muscles saillants et à la mâchoire carrée. Ses cheveux gris courts lui tombaient sur le visage et le front, caressant à chacun de ses pas sa barbe poivre et sel. Deux épées étaient rangées dans leurs fourreaux, soigneusement suspendus derrière sa nuque. À sa ceinture pendait encore une dague.

Il ressemblait en tout point à son frère, Duncan, en dehors du fait que ce dernier n’était vêtu que d’une toge bleu marine aux fines broderies dorées et qu’il avait une carrure bien plus fluette. Il était également le seul à posséder un bâton qu’il tenait dans sa main gauche tandis qu’il s’avançait au plus proche de nous, flanqué par Declan.

Les traits communs entre les trois maîtres étaient leurs peaux légèrement plus pâles que le voulait la normalité, et des joues plus creusées, comme s’ils avaient un jour été touchés par la famine.

 

Tous les quatre m’impressionnèrent et me rendirent nerveuse, si bien que je serrais davantage la main de Kendall tout en retenant un peu mon souffle.

Aujourd’hui allait se jouer le destin de plusieurs d’entre nous. Duncan allait utiliser son don afin de voir qui, de par une naissance chanceuse, possédait la force et la volonté pour devenir Gardien.

Une fois qu’il fut au centre de la foule, il frappa par trois fois les pavés de la place marchande. Une ombre s’extirpa alors du bois de chêne qu’il tenait dans la main, pour commencer à s’étirer par terre. La forme évoquait un esprit humanoïde aux bras démesurés et aux interminables griffes acérées. Elle se mit à ramper sur la pierre, gardant toujours sa source au pied du bâton du mage. Lentement, elle déambula entre les pieds de toutes les personnes présentes. Une fois que quelqu’un paraissait l’intéresser, elle s’arrêtait et attrapait l’individu concerné, ses longs doigts squelettiques encerclant ses chevilles.

Un à un, les élus se rapprochèrent des deux frères, avant de rejoindre Kenan.
Le processus dura de longues, silencieuses et pesantes minutes. Plus personne n’osait ouvrir la bouche. Même lorsqu’il y avait des désignés, quand ces derniers partirent vers les Gardiens, le port altier, personne ne semblait se permettre ne serait-ce que de respirer.

Bientôt, l’esprit magique s’avança vers nous quatre et choisit mes trois amis les uns après les autres. Lorsqu’elle se tourna vers moi, elle eut comme un instant d’hésitation. Elle n’avait pas d’yeux visibles, et pourtant, j’avais la désagréable impression qu’elle scrutait au plus profond de mon âme en cet instant précis. C’était glacial.

Après quelques longues secondes écoulées, elle vint encercler mes chevilles. Son toucher me fit frissonner l’échine. Il était étrangement intangible, mais à la sensation osseuse dégoûtante.

Je fronçais les sourcils et grimaçais, et, en échangeant un regard aussi circonspect que conquérant avec mes compagnons, nous nous avancions en direction du maître épéiste et de son frère.

L’ombre, qui semblait maintenant avoir terminé sa tournée, rebroussa chemin pour revenir auprès de son invocateur. Cette dernière ralentit soudainement le rythme en arrivant à ma hauteur, puis ce fut au tempo de mes chaussures sur le pavé qu’elle m’accompagnait. Encore une fois, je me sentis affreusement sondée et je frissonnais une nouvelle fois. Bon sang, que voulait cette chose à la fin ?

Fort heureusement pour moi, elle disparut dans le bâton, et, en passant devant lui, le mage me fixa d’une œillade profondément pensive. Son frère m’adressa quant à lui uniquement un bref coup d’œil avant que, d’un geste de la main, il congédia l’assemblée.

 

Dans mon dos, et ceux de tous les désignés, les murmures reprirent, la musique s’éleva et bientôt la liesse s’enhardit. La cérémonie était terminée, et à présent le monarque et ses Gardiens emportèrent avec eux leurs précieux apprentis.

C’était pour moi un rêve qui allait se réaliser, je sentais une certaine ardeur monter en moi.

Mais pourquoi étais-je si désagréablement angoissée ? Comme si l’ombre avait gelé une partie de mon être en me touchant.

Sans doute que demain, cette sensation sera oubliée.

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