Toute une année écoulée côte à côte à New York. Des disques bien vendus, des prises de vue à Central Park, le métro pris tous les jours et la signalisation « Walk. Don’t Walk » qui scande les feux de la Big Apple encore dans leur tête.
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Toute une année écoulée côte à côte à New York. Des disques vendus, des prises de vue à Central Park, le métro pris tous les jours et la signalisation « Walk. Don’t Walk » qui scande les feux de la Big Apple encore dans leur tête.

Le célèbre couple Armstrong pose enfin ses valises. Leur seule et unique pause de l’année au bord de l’océan prend ses quartiers. Le sable chaud clignote, étincelant de la lumière de Floride.

Epuisés, Jack et Ella oublient de ranger leur malle. A peine arrivés, ils la plantent dans le sable, telle un menhir, symbole du passé ou de leur vie d’artistes à New York. Tant pis si elle chauffe. La crème anti-âge d’Ella va fondre. Peut-être…

La photographe de Broadway et le clarinettiste s’effacent, se posent, sur le banc en bois face à la vue plongeante sur l’Atlantique. Arrêt sur image. Enfin, leurs chemins se retrouvent ou du moins ils ont envie d’y croire. Las et pensif, Jack s’affaisse, les yeux légèrement baissés. Il espère qu’elle va lui caresser le dos même sans crème solaire. Ella n’a pas le courage d’aller nager même si elle est prête, en tenue de sirène. Son cœur bat. Elle attend un geste de son mari mais n’entend que les vagues bleues frémir et le soleil taper sur ses pieds.

Qui fera le premier pas ? Le temps passe lentement. Ils restent une, deux, trois heures sur le banc et se laissent abrutir par le soleil. Rien n’est planifié. Ella s’endort, se réveille en sursaut et son esprit se vide petit à petit.

Les mots « c’est trop tard » surgissent et viennent engourdir Jack. Trop d’espaces, trop de “clicks”, et de vide se sont infiltrés dans leur quotidien ou est-ce juste la lassitude de la vie ? Il baisse légèrement la tête pour réfléchir et tenter de comprendre cet accablement.

Mais soudain, les nuages semblent s’adresser aux torchons qui sèchent au soleil comme des drapeaux prêts pour une fête nationale. Le corps d’Ella tressaille et d’un geste précis, elle croise ses jambes musclées. Le courant circule entre sa hanche et le bas du dos de Jack. Elle ferme les yeux et délicatement, de sa main gauche, remonte le long de la colonne vertébrale de Jack. Comme quand elle photographie, elle sait exactement ce qu’elle veut. Jack ferme les yeux, pose ses mains sur ses genoux et lâche prise. Il jette mentalement tous les contrats manqués à l’eau, efface l’année et respire à tire d’aile.

Et quand il entend dans la torpeur de cet après-midi, la voix d’Ella qui lui lance à la volée :

-« On va nager ? »

Telle une étincelle, un accord de swing lui vient à l’esprit. Il la serre contre lui et l’entraîne en courant dans l’océan.

-“Come on… Let’s fly!”

Suzy Dryden

Inspiré de : “Sea Watchers”, Edward Hopper, 1952.  Huile sur toile, 76.2 x 101.6 cm

Collection particulière.