Chapitre 1

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Depuis la nuit des temps, les Hommes ont cultivé une culture profonde de la haine. Les guerres et évènements tragiques recouvrent les pages des chapitres de l'histoire de l'humanité. Question de survie ou instruments politiques ? La fierté et les sentiments de l'Homme n'en sont pas des moindres.
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Salut, j’espère que tu vas bien (faux, c’est faux).

Mes jolies parenthèses donnent d’entrée le ton, la direction de cette lettre.

Elles me permettent de faire vivre ce papier, de transmettre mes émotions à travers l’encre de mon stylo. Je ne m’en cache pas, elles me facilitent la tâche, que t’aurais-je dit à toi mon ennemi si nous étions face à face à l’heure où je t’écris ? Probablement rien. Nous n’aurions pas osé nous adresser ne serait-ce qu’une onomatopée. M’aurais-tu parlé ? Tu penses qu’on se serait battus ? Moi, non.

Ce ne sont que dans les films de super-héros ou de cartels mexicains que cela arrive, deux hommes masqués à moto tirent par la fenêtre d’une voiture et déclenchent une vendetta sur plusieurs générations. Dans ce que j’appelle la « vie réelle » c’est tout autre chose.

Permets-moi de t’expliquer mon ressenti, ce que je pense.

Je ne vis pas pour toi, c’est seulement quand je te vois agir que je me rends compte que j’éprouve une certaine haine pour qui tu es. Un style, une façon d’être qui extirpent de mon corps des pensées négatives. Tu es sûrement trop différent de moi, loin de mon idéal et à des années lumières des personnes que j’aime. Serait-ce les symptômes de l’intolérance ?  Il y a des chances, oui. Tu en penses quoi toi ? Te poser la question en face aurait été plus simple. Quoique, je suis bien devant ma feuille.

Si on s’en réduit aux fois où je me suis imaginé écraser ta tête sur un sol mouillé un jour de pluie, tu penserais que je suis un fou, un assassin ou un psychopathe. En réalité j’en suis un, mais j’ai également des allures plus affables. Je me suis déjà imaginé rigoler, discuter, passer du temps avec toi. Je suis mignon je sais, on dit que les opposés s’attirent alors pourquoi pas nous. Je cherche parfois à te comprendre, pour quelles raisons tu es comme ça, pourquoi je te déteste autant, ce que tu penses de moi. Connaître ton point de vue sur la personne que je suis suscite en moi une grande excitation. Énumère sur un bout de papier tous les préjugés que tu me portes et montre-le-moi, s’il te plaît. C’est plutôt fou non ? Je réclame des services à mon ennemi.

Bref, ce serait drôle d’oublier qui nous sommes seulement le temps d’une soirée et de parler. Tu en penses quoi ? Tu trouves sûrement cette idée pathétique, elle l’est, ne t’inquiètes pas.

Parfois les ennemis sont d’anciens amis. Une histoire d’amour, d’argent ou de principes et tout un monde bascule, du meilleur au pire. Il est toujours possible d’inverser la tendance, se réconcilier, admettre ses torts et pardonner ceux de l’autre. Cependant l’humain est doté d’un égo, d’une fierté, il est important d’avoir cette partie en soi mais sans elle d’innombrables querelles auraient pris fin quelques secondes après leur départ. C’est possiblement ma fierté qui m’empêche d’aller vers toi. Ou alors c’est la tienne qui par télépathie me conseille de ne pas t’approcher. Peut-être même que c’est écrit, acté, signé… on ne s’aime pas et c’est la fin de l’histoire. Tu es mon ennemi et je suis… attends.

Au fait, suis-je le tien ?

Moment de flottement, j’ai posé le stylo quelques secondes, cette dernière question est perturbante et en provoque en moi des centaines d’autres.

Ça change tout, et si c’était une simple illusion de ma part, et si tu m’appréciais. Tu n’en as peut-être rien à faire de moi. Ça ne peut pas être vrai, dis-moi que tu ne m’aimes pas s’il te plaît.

Imagine que tu ignores totalement mon existence, tu vas te dire « Quel détraqué envoie ce genre de lettre à une personne qui ne la connaît pas ». Je suis sans doute tombé dans un piège, une farce. Je me suis trompé.

J’ai affilié mes sentiments à la définition d’ennemi que l’on nous montre à l’école ou dans les films. On nous apprend que l’URSS et les Etats-Unis d’Amérique étaient les pires ennemis. Rien pour les réconcilier, une haine de l’autre sans limites. Deux opposés voire extrêmes qui se détestent au point de se faire la guerre (désolé pour la leçon d’histoire, je cherche à nous comprendre).

Il y a toujours cette notion de réciprocité dans le terme « Ennemi ». Mais pourquoi ?

Tu es mon ennemi, mais je suis peut-être ton ami. Mes sentiments ne sont peut-être propres qu’à moi-même.

Tout se mélange, tu es alors peut-être innocent, une victime de mon imagination. Le produit de ma paranoïa. Si c’est le cas, je te prie de m’excuser pour toutes les horreurs que j’ai pensées et dites sur ta personne. En toute honnêteté, si le monde tournait autour de mon cortex, tu serais sans doute mort. Ce n’est pas le cas, heureusement (ou dommage).  Physiquement tu ne risques rien, ne t’en fais pas, je ne suis ni impulsif ni violent, c’est plutôt mon côté rêveur et fantasque des films d’action qui s’imagine te faire du mal.

La haine qu’un Homme peut éprouver pour un autre est fascinante, on résume souvent le départ de guerres pour des causes politiques, mais ce sentiment violent qui nous pousse à vouloir le mal n’est forcément pas anodin.

Si tu n’avais pas d’avis sur moi, nul doute que ton opinion a changé. Un fou à moitié historien se prenant pour un psychologue qui t’envoie des messages étranges au plus haut point. Tu risques d’avoir peur, mais encore une fois tu n’as pas à t’en faire.

J’aimerais être là pour voir ton visage au moment tu liras cette lettre, j’espère que tu m’en écriras une autre. Une lettre brutale avec des menaces, un texte d’incompréhension ou un message rassurant, je m’en fiche, écris-moi. Encore une fois, s’il te plaît. Je veux comprendre

 

Voilà, je te laisse mes coordonnées, contacte-moi si tu peux, si tu en as envie. Si tu lis cette phrase alors je te remercie d’avoir lu jusqu’ici. J’attends une réponse, je ne bouge pas. En attendant, ma vie reprend, la tienne, elle, ne s’est jamais arrêtée (seulement dans certains de mes rêves). T’écrire a comblé quelques minutes de ma vie morose. T’écrire m’a interrogé sur toi, sur moi, sur nous, l’Homme… sur tout. Un ennemi dérange, tu remplis ta fonction et l’étends sur d’autres horizons. Bravo.

Dans l’attente d’une réponse,

Cordialement

Ton ennemi entre parenthèses.

Commentaires (1)

Thomas Poussard
17.09.2021

Existe-t-il un syndrome de l'ennemi imaginaire ? Si c'est le cas, il est possible que votre narrateur en souffre... Cela se soigne : en allant vers l'Autre, en faisant tombés ses préjugés. Je souffre de l'opposé : j'ai tendance à considérer toute personne comme amicale à premier abord - quitte à être déçu. Mais c'est plus facile à vivre!

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