Créé le: 26.12.2020
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Entracte

Amour, Journal personnel, Nouvelle

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© 2020-2024 Tornado

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Assise sur un banc, j'avais besoin de prendre l'air.
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Entracte

 

 

Assis sur un banc, j’avais besoin de prendre l’air. Face à moi, un lac, des montagnes et une promenade, je ne pouvais plus rester dans mon appartement. Tout m’était devenu insupportable.

 

C’est en rentrant chez moi ce soir que mon appartement m’avait renvoyé de plein fouet ma propre image. Cette décoration faussement décontractée. Ces meubles chinés hypocritement utilisés comme argument écologique, mais qui contribuait surtout à l’image décomplexée que je voulais donner. Le vin cher posé naïvement en évidence dans la cuisine. L’affiche de la dernière exposition visitée placardée à l’entrée. Le paillasson humoristique mais pas trop, les pailles réutilisables en bambou, le sac à dos fait en toile et tout le reste. Si cet appartement était mon miroir, j’étais prêt pour les sept ans de malheur.

A ça, s’ajoutait le job qui met la pression mais qui fait bien socialement. Les hobbys qui ne passionnent pas mais qui occupent. La copine qui remplit les coches de sélection imaginaires mais qui est un laissez-passer obligatoire pour faire bien. Les copains, tous dans le même milieu pour faire juste. Ce reflet était définitivement dégueulasse.

 

L’année écoulée avait était difficile, celle entamée semblait prendre le même chemin. Alors, dehors, je pouvais souffler.

 

J’ai fermé les yeux durant quelques secondes, le temps de me ressaisir, le temps de laisser pénétrer les premières chaleurs de l’été sur mon visage, entendre les rires des passants, la respiration courte des coureurs, le clapotis des vagues et le piaillement des oiseaux. J’ai fermé les yeux quelques secondes parce que plus, les promeneurs m’auraient pris pour un aliéné.

 

Au moment de les rouvrir, j’ai vu cette fille. Elle était seule. Sur le muret qui longe la promenade, à une quinzaine de mètres de moi, elle engloutissait une salade de pâtes dans un contenant en plastique – usage unique.

 

Elle était franchement mal coiffée. Je jugeais son style vestimentaire bon si nous étions il y’a 5 ans. Assise en tailleur, une jambe était pliée avec son pied calé sous les fesses et l’autre se balançait le long du muret. Je voyais son amie la scoliose la rejoindre dans peu de temps. En mangeant ses pâtes, elle ne faisait rien d’autre, pas de téléphone pour combler la solitude de son repas. Son visage n’exprimait rien. Enfin, je l’ai vue esquisser un sourire discret, je crois qu’un souvenir drôle passait dans sa tête. Et puis, sa salade terminée, elle a utilisé son doigt pour saucer l’emballage. Elle a regardé l’heure sur sa montre et s’est allongée. Elle a fermé les yeux.  Je pense qu’elle laissait les premières chaleurs de l’été pénétrer son visage. Je ne pouvais pas la quitter des yeux. C’était un spectacle dont je tombais amoureux. C’était fou cette simplicité. Elle a fermé les yeux plusieurs minutes et s’est pas inquiétée qu’on la prenne pour une aliénée. J’étais admiratif, presque jaloux de son détachement. Ses problèmes ne devaient certainement pas ressembler aux miens. Je n’ai pas entendu le son de sa voix, mais j’imaginais un rire qui réchauffe, une voix forte et beaucoup de mots. J’étais amoureux.

 

Elle s’est ensuite levée du muret, s’est étirée comme un chat et a remballé ses affaires. Elle marchait en ma direction. Je lui ai souri, poliment, elle m’a rendu mon sourire. Elle s’est approchée de la poubelle à tri qui était à côté de moi et a jeté son contenant en plastique – usage unique dans le compartiment papier.

 

C’était la fin de notre histoire.

Commentaires (1)

Webstory
28.12.2020

Bienvenu à Tornado qui à son tour, en toute simplicité, a su dépeindre la force de ces deux scènes, intérieures et extérieures, avec une belle originalité.

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